Et si Trump refusait de partir ? Les scénarios du pire

Publié le 25 septembre 2020 à 16h13, mis à jour le 25 septembre 2020 à 16h22
Et si Trump refusait de partir ? Les scénarios du pire
Source : MANDEL NGAN / AFP

ETATS-UNIS - Le président américain a refusé de s'engager sur une transition pacifique si son adversaire démocrate venait à l'emporter. Le scénario d'un Donald Trump refusant de quitter le pouvoir commence à inquiéter sérieusement le camp démocrate.

C'est le cauchemar que font beaucoup de démocrates ces derniers temps : l'élection présidentielle a eu lieu, et le duel a été serré le 3 novembre entre Joe Biden et Donald Trump. Dans plusieurs Etats-clés, Donald Trump est donné légèrement en tête, mais il faut encore dépouiller les votes par correspondance. Ceux-ci arrivent au compte-gouttes, et commencent à inverser la tendance. Retranché à la Maison Blanche, Trump accuse les démocrates de fraudes massives et proclame sa victoire. Les partisans des deux camps s'affrontent dans les grandes villes, on déplore même des victimes... 

Nous n'en sommes pas là, mais à 40 jours du scrutin, cette perspective funeste pour la démocratie américaine, invraisemblable il y a peu, prend chaque jour un peu plus de consistance. 

Il va falloir que nous voyions ce qui se passe
Donald Trump, président des Etats-Unis

Depuis plusieurs mois, Donald Trump entretient l'équivoque. Mercredi soir à la Maison Blanche, invité par un journaliste à s'engager sur le respect du résultat du scrutin, il a répondu par un inquiétant : "Il va falloir que nous voyions ce qui se passe"

Le président américain a ensuite enchaîné sur sa cible habituelle : les votes par correspondance. "Je me suis déjà plaint fortement de ces bulletins, ils sont désastreux". C'est sur eux que Donald Trump fait peser le soupçon depuis quelques mois : ils seraient faciles à falsifier, et les démocrates prépareraient une fraude massive. 

Techniquement, les Etats envoient à leurs administrés des bulletins qu'ils sont libres d'utiliser ou non. Les électeurs voient donc arriver dans leurs boîtes à lettres ces formulaires longs et complexes. C'est à ces envois massifs que Donald Trump fait référence, en accusant par avance les démocrates de fraude. Selon l'historien Simon Grivet, le président américain "joue sur cette confusion depuis des mois et des mois". La complexité du système électoral américain favorise d'ailleurs le soupçon : "Ce sont 50 élections qui se jouent en même temps, une par Etat", rappelle ce spécialiste des Etats-Unis.

L'hôte de la Maison Blanche mobilise ainsi son électorat, en l'invitant dans cette fable paranoïaque qu'aucun fait ne vient étayer. Il tétanise également ses adversaires démocrates, qui redoutent l'après-scrutin : une Amérique divisée comme jamais. Même élu, Joe Biden verrait sa légitimité contestée dès le départ.

Pour cause de Covid, on anticipe effectivement un recours massif au vote par correspondance, qui permettra aux électeurs d'éviter la promiscuité des files d'attente. Or, le respect des règles de distanciation sociale est en lui-même devenu une ligne de clivage entre républicains et démocrates : les bulletins par correspondance devraient majoritairement porter le nom de Joe Biden, aux deux tiers selon un récent sondage. Simon Grivet insiste sur ce point : "Le dépouillement de ces bulletins ne débutera que le jour de l'élection, et il prendra des jours, voire des semaines". Donald Trump jette donc par avance le soupçon sur une situation qui pourrait bien être la sienne au soir des élections : vainqueur en trompe-l’œil dans les isoloirs, il pourrait voir son adversaire le dépasser dans les jours suivants.

"Ce président va essayer de voler l'élection !"

En juin dernier, Joe Biden s'alarmait déjà et en faisait son "principal sujet de préoccupation : ce président va essayer de voler l'élection". Un think tank démocrate, Transition Integrity Project, a même testé plusieurs scénarios : en cas de résultat serré, ou en cas de victoire nette de l'un ou l'autre des candidats. Un panel d'élus, journalistes et experts, a travaillé sur toutes les hypothèses, et en retire un scénario du pire : en cas de victoire serrée de Joe Biden, proclamée après un long examen des votes par correspondance, Donald Trump pourrait refuser de reconnaître sa défaite. La suite, c'est l'inconnu, un saut dans le vide inédit pour la démocratie américaine. Simon Grivet n'identifie d'ailleurs aucun précédent historique : "Même avec les soupçons de fraude portés sur le clan Kennedy en 1960, Nixon n'avait pas engagé de bras de fer, alors que cette défaite l'a hanté toute sa vie".

L'hypothèse est prise suffisamment au sérieux pour que Facebook s'en inquiète :  le réseau social a annoncé mercredi interdire par avance tout clip d'un des candidats qui proclamerait sa victoire avant l'annonce officielle. La firme de Mark Zuckerberg, régulièrement accusée de complaisance pour la diffusion d'informations sans lien avec le réel, avait déjà décidé le 3 septembre de suspendre les campagnes politiques dans la dernière semaine avant le scrutin.

Le traumatisme de l'élection 2000

Cette semaine, avec la mort de la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, ce scénario du pire prend une nouvelle dimension. La course pour nommer un juge conservateur à sa place a déjà commencé, et les républicains espèrent y parvenir avant l'élection. Les enjeux d'une majorité conservatrice nette à la Cour suprême sont très nombreux, mais parmi eux, il pourrait y avoir celui de la validation du scrutin. 

Dans le camp démocrate, le traumatisme de l'élection de 2000 est encore vivace : Al Gore défait par George Bush après une décision de la Cour suprême, qui avait renvoyé au Parlement de Floride le choix de trancher. Cette fois, le parti a levé une armée de juristes et d'avocats, prête à batailler dans toutes les juridictions litigieuses

Donald Trump semble lui-même être convaincu d'une issue de ce type. Il déclarait justement mercredi, à propos du résultat des élections  : "Je crois que tout ça va finir à la Cour suprême, donc je crois qu'il est important que nous ayons 9 juges en place".

A 40 jours du scrutin, Joe Biden est cependant toujours nettement en tête des intentions de vote. Si le raté historique des instituts de sondage américains en 2016 joue son rôle dans la fébrilité actuelle, il ne présume pas mécaniquement d'un nouveau retournement de situation en faveur de Trump. C'est d'ailleurs la seule chose qui pourrait sauver le candidat démocrate d'une interminable bataille juridique : une victoire indiscutable le 3 novembre prochain.


Frédéric SENNEVILLE

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