Proposer de racheter le Groenland, la suite logique de la stratégie de Trump pour réimplanter les Etats-Unis dans l'Arctique

par CASSANDRE AMOUROUX
Publié le 21 août 2019 à 17h35

Source : JT 13h WE

BUSINESS - Depuis que Donald Trump a dévoilé son ambition d'acheter le Groenland, ses déclarations chocs sur le sujet enflamment les sphères médiatiques et politiques. Cette communication osée cache plusieurs messages politiques adressés à la Russie et à la Chine, principaux adversaires des Etats-Unis dans la bataille pour contrôler l'Eldorado arctique.

Mais quelle mouche pique Donald Trump ? Après plusieurs jours de tweets et d'appel du pied pour acheter le Groenland, le président des Etats-Unis a décidé d'annuler son déplacement diplomatique prévu en septembre au Danemark. "Sur la base des commentaires du Premier ministre Mette Frederiksen, qui indique qu'elle n’aurait aucun intérêt à discuter de l’achat du Groenland, je vais reporter notre réunion prévue dans deux semaines (...) ", a-t-il écrit sur son compte Twitter.

Ce coup de comm' est en fait un ballon d’essai médiatico-politique
Mikaa Mered, professeur de géopolitique et d'économie des mondes polaire à l'ILERI

Donald Trump est-il réellement vexé du revers infligé par la Première ministre danoise ? Pas vraiment selon Mikaa Mered, professeur de géopolitique et d'économie des mondes polaires à l'Institut libre d'étude des relations internationales (Ileri). Selon lui, Donald Trump n'ambitionne pas réellement d'acheter la fameuse île malgré ses nombreuses publications sur le sujet.  "Même si c'est préjudiciable dans la relation avec le Groenland et le Danemark, ce coup de comm' est en fait un ballon d’essai médiatico-politique", explique Mikaa Mered sur son compte Twitter.

Contacté par LCI, le géopolitologue rappelle que l'intérêt américain pour l'Arctique ne se résume pas aux seules déclarations de Donald Trump survenues pendant l'été. Depuis un certain temps les Etats-Unis ont avancé leurs pions pour reprendre progressivement la main sur ce territoire très important d'un point de vue géopolitique, mais déjà investi par la Russie et la Chine. 

Un réengagement au Groenland depuis 2018

Depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis s'étaient désengagés de l'ensemble de l'Arctique, laissant le champ libre à la concurrence. La Russie a repris le leadership qu'elle avait perdu pendant la guerre, elle possède aujourd'hui la moitié du territoire arctique. De son côté, la Chine a été le premier pays à investir Groenland, notamment grâce aux nombreuses richesses naturelles du territoire. C'est un bon compromis pour le Groenland, territoire autonome depuis 2009, qui a besoin d'investisseurs pour se financer. 

En avril 2018, un événement va venir réveiller l’appétit des Etats-Unis pour l'immense île arctique. Au Groenland, le premier ministre indépendantiste élu après les élections législatives n'est pas opposé à l'idée de laisser la Chine construire les futurs aéroports du pays. "Le département d'Etat et le département de la défense américaine ont vu un risque stratégique direct. Si la Chine finance les aéroports, elle pourrait y implanter les outils qu'elle souhaite, le pays pourrait même demander la gestion de ces aéroports. Les Etats-Unis ont compris que si ils continuaient à laisser faire, l'emprise de la Chine deviendrait trop importante et ils ne pourraient plus jamais récupérer le Groenland ", détaille Mikaa Mered.

Aux yeux des Etats-Unis, le Groenland constitue un point stratégiquement intéressant au sein de l'Arctique. D'une part grâce à ses richesses, nombreuses et encore peu exploitées, mais aussi grâce à sa position géographique. Selon le géopolitologue, Donald Trump veut appliquer la doctrine Monroe : "A la fin du XIXème siècle, le président Monroe disait que l'ensemble du contient américain, du nord jusqu'au sud, constituait un jardin stratégique qui devait être contrôlé par les Etats-Unis. Il incluait le Groenland qui est une masse nord-américaine d'un point de vue géostratégique. L'île constitue effectivement le premier rideau de défense américain, notamment vis-à-vis de la Russie".

Un avertissement envoyé à la Chine et la Russie

Depuis un peu plus d'un an, les Etats-Unis ont donc décidé de s'engager concrètement pour ce territoire si convoité. "Plusieurs propositions ont été faîtes : une participation au financement des aéroports, une augmentation de la présence militaire américaine ou encore la création d'un consulat dans la capitale du Groenland (...) A la lumière des ces derniers mois, la communication choc de Donald Trump apparaît comme une suite logique".

Selon le géopolitologue, les déclarations de Donald Trump ont un véritable intérêt. Il envoie un message subtile et pose des barrières politiques autour du Groenland. "C'est une manière de dire à la Chine et à la Russie, qu'ils ne sont pas les seuls à prétendre remodeler l'espace arctique comme ils l'entendent pour protéger leurs intérêts". Bref, le président des Etats-Unis assène un "pas touche" à ses adversaires géopolitiques.

Une communication "à la Trump" mais réfléchie

Le président des Etats-Unis en profite aussi pour implanter le Groenland dans l'esprit de son électorat. "Personne ne connaît vraiment le Groenland, personne ne comprend les enjeux, estime Mikaa Mered. Avec ses tweets, Donald Trump donne du spectacle à son électorat mais il en profite pour élaborer un discours stratégique et facilement audible. Il montre à quel point il est visionnaire, stratège, un business man qui s'impose dans la bataille pour ce territoire. De ce fait, les électeurs vont aussi aiguiser leur intérêt pour le Groenland." 

Selon le géopolitologue, Donlad Trump pourrait également se servir du sujet pour décrédibiliser ses adversaires politiques aux Etats-Unis. "Dans l'hypothèse où les Etats-Unis viendraient un jour à voter un budget pour acheter le Groenland, ça ne pourra pas se faire car les démocrates s'y opposeront. Donald Trump pourra alors avancer l'argument que les démocrates sont contre la nation, la grandeur du pays...". 

Avec cette stratégie Mikaa Mered estime que Donald Trump "mène tranquillement la barque qui l’emmènera jusqu'en novembre 2020. Il fait l'agenda politique, décide du news cycle (...) c'était sa recette en 2016."


CASSANDRE AMOUROUX

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