CONFLIT SANS FIN - Alors que la guerre se poursuit au Yémen, l'ONU a annoncé vendredi son intention d'organiser des pourparlers de paix "rapidement". Un accord qui ne cesse d'être promis, et qui devient nécessaire pour les ONG présentes sur place. Gwenola Seroux, responsable des urgences pour MSF Yémen, s'est rendue dans le pays cet été. Elle raconte comment la population civile vit "perfusée a minima" depuis trois ans.
"Les civils luttent depuis beaucoup trop longtemps." Au Yémen, la situation est dramatique. C'est pourquoi l'ONU a annoncé ce vendredi 18 novembre vouloir organiser de nouveaux pourparlers "rapidement" afin de trouver un accord de paix dans le pays. Car depuis maintenant trois ans, une guerre sanglante oppose les forces pro-gouvernementales et une coalition menée par l'Arabie saoudite aux rebelles Houthis, soutenus par l'Iran. Les civils sont les premiers touchés, victimes aussi bien des combats au sol et des bombardements internationaux que de la détérioration des systèmes administratifs.
Gwenola Seroux est responsable des urgences à Médecins Sans Frontières (MSF) au Yémen. Alors, en juillet dernier, elle s'est rendue sur place, et tout particulièrement dans le sud du pays afin de répondre à l'offensive naissante d’Hodeida, point d’entrée de plus des ¾ des aides humanitaires et théâtre de combats meurtriers depuis début novembre.
Elle décrit à LCI le visage d'une population victime d'une guerre qui la dépasse, où même la survie devient compliquée.
LCI : Le conflit au Yémen bat son plein depuis les premières frappes de la coalition saoudienne dans la nuit du 25 au 26 mars 2015. Comment vit une population après trois ans de conflit ?
Gwenola Seroux : Nous sommes face à une coalition étrangère, soutenue par de grandes puissances, qui est très militarisée. Le conflit est disproportionné avec une rébellion Yéménite du Nord face à deux pays aux moyens nettement supérieurs. C’est ce qui entraîne dans tout le pays une détérioration de la totalité des systèmes administratifs, notamment ceux de la santé, provoquant une problématique d’accès aux soins.
Il est devenu de plus en plus compliqué de trouver des structures de santé, et de pouvoir s'y rendre. De plus, lorsqu'il en existe, elles sont moins approvisionnées, il y a moins de personnel, et ça coûte de plus en plus cher [une grande partie des fonctionnaires du pays, y compris hospitaliers, n’est plus payée depuis août 2016, ndlr]. Tout ça est lié a la problématique de l’inflation. Hodeïda est un grand port au Yémen, fragilisé par l’offensive qui a débuté en juin. Alors, les approvisionnements se font avec une augmentation très forte du prix des biens de premières nécessités.
Evidemment, cela touche les plus vulnérables, qui n’ont plus aucune réserve d’argent et qui, tous les jours, se demandent comment ils vont en trouver pour survivre. Et cela fait désormais trois ans que ça dure. Trois ans que la population s’appauvrit et se déplace pour fuir le conflit généralisé. La population survit de jour en jour. Et des personnes meurent par manque d’accès aux soins et à des biens de premières nécessités. Une situation qui amène les civils à être perfusés a minima. Et pour qui, tous les jours, il est de plus en plus compliqué d’avoir accès à la nourriture, l’eau, au travail et à de l’essence.
As fighting intensifies in #Hodeidah & other parts of the country, #MSF is extremely concerned for patients, medical staff & for thousands of people living near frontlines. All warring parties must ensure that civilians and health and public facilities are protected in #Yemen . — MSF Yemen (@msf_yemen) 12 novembre 2018
LCI : Selon l'Organisme Mondial de la Santé, le conflit a fait près de 10.000 morts, en majorité des civils. Pensez-vous que ces chiffres sont proches de la réalité?
Gwenola Seroux : Il est très difficile de compter tous les morts. En fait, personne ne peut faire ça. Par exemple chez MSF France, depuis 3 ans, si on comptabilise tous nos hôpitaux, nous sommes à plus de 80.000 blessés reçus dans nos structures. Des chiffres qui nous alertent sur l’ampleur des dégâts. Sur ce que subissent ce qu’on appelle trop souvent les "victimes collatérales". Nous pensons donc qu'il y a beaucoup plus de morts et de blessés du côté des civils. Il faut se rendre compte d'une chose : il y a des bombardements tous les jours, et même les hôpitaux ne sont pas épargnés.
Et ça ne va pas s'arranger avec l'offensive sur Hodeïda. Heureusement, une équipe de MSF est présente depuis septembre, ce qui fait de nous la seule ONG internationale sur place. Certes, nous avons dû réduire notre personnel afin de limiter le risque d’exposition aux combats, mais nous avons pu maintenir notre présence et ce malgré la reprise d’une offensive très violente.
Alors, au quotidien, l’hôpital de la ville, dans lequel travaillent aussi bien des médecins de MSF que des Yéménites experts, reçoit un afflux massif de blessés. C’est un travail dur car il faut absorber les blessés et les évacuer vers des zones plus stables. Pour donner un ordre d’idée : depuis le 12 novembre, nous avons traité plus de 420 blessés dans les trois hôpitaux de la zone.
C’est une urgence et ce n’est pas la peine de se projeter : aujourd’hui les gens souffrent.
Gwenola Seroux, responsable des urgences pour MSF Yémen
LCI : Vous avez pu vous rendre sur place cet été. Comment décrivez-vous la situation du pays ?
Gwenola Seroux : J’ai encore en tête la situation dans l’hôpital de Mocha, à 180 km au sud de Hodeïda. Un jour où j’étais sur place, il y a eu une arrivée massive de plusieurs blessés. C’était tous des civils, des enfants et des personnes âgées. Les enfants, il a fallu les amputer, souvent au pied à cause d’une mine. Tout ça dans un endroit qui est un désert sanitaire. Et là j'ai réalisé que, si c'étaient des enfants et des amputations, alors j'étais face à des blessés de guerre. Les Yéménites luttent depuis beaucoup trop d’années. Et tous les jours. Tout ça dans un conflit totalement déséquilibré pour qui les civils ne sont que des "victimes collatérales".
LCI : Que peut-on espérer pour l'avenir du Yémen?
Gwenola Seroux : Pour l’instant, nous sommes sortis de la phase d’oubli et c’est le plus important. On reparle du Yémen grâce à l’affaire de Jamal Khashoggi [qui a donné un regain d’intérêt à la responsabilité de l’Arabie Saoudite dans le conflit, ndlr] et la communication simultanée des Nations Unies sur le risque de famine. Donc actuellement on observe une volonté réelle de pousser les acteurs à se mettent à la table des négociations. Nous sommes entrés dans une phase que nous n’avions pas vue depuis longtemps, alors, on peut être optimiste.
Quoi qu'il en soit, la solution ne sera que politique. Sans elle, si la conférence prévue en novembre ne mène à rien, la situation va continuer à se détériorer. Et même la survie deviendra compliquée. Actuellement, sans même parler des répercussions du conflit sur le long terme comme les pathologies liées la malnutrition, la situation est catastrophique. C’est une urgence et ce n’est pas la peine de se projeter : aujourd’hui les gens souffrent.