Le Liban en crise, un an après l'explosion à Beyrouth : "Les remontrances de Macron n’ont eu aucun effet"

Publié le 4 août 2021 à 6h09, mis à jour le 4 août 2021 à 16h47
Emmanuel Macron et son homologue libanais Michel Aoun, mardi 1er septembre, lors de la deuxième visite du président français après les explosions survenues à Beyrouth.
Emmanuel Macron et son homologue libanais Michel Aoun, mardi 1er septembre, lors de la deuxième visite du président français après les explosions survenues à Beyrouth. - Source : GONZALO FUENTES / POOL / AFP

INTERVIEW - Après l'explosion survenue à Beyrouth il y a un an, Emmanuel Macron s'est impliqué dans la recherche d'une solution à la crise politique qui mine le pays. Mais un an plus tard, rien n'a changé, constate Anne Gadel, spécialiste du Moyen-Orient.

Le Liban s'enfonce dans la pire crise économique de son histoire, aggravée par une impasse politique, laissant le pays sans gouvernement depuis le 10 août dernier. Un an jour pour jour après l'explosion du port de Beyrouth, une troisième conférence internationale se tiendra sous l'égide de la France, mercredi 4 août, afin de réunir une aide d'urgence pour soutenir la population, dont 55% vit désormais sous le seuil de pauvreté, avec moins de 4 dollars par jour, selon l'ONU. 

Cette aide d'urgence ne remplacera cependant pas l'aide structurelle dont le pays a besoin, mais qui reste conditionnée à la formation d'un gouvernement capable d'engager des réformes de fond. Anne Gadel, spécialiste du Moyen-Orient et membre de l'Observatoire Afrique du Nord-Moyen-Orient de la Fondation Jean Jaurès, revient pour LCI sur cette crise politique qui paralyse complètement le Liban.

Quelle est actuellement la situation politique au Liban ? 

Après neuf mois où absolument rien n'avançait et où la situation économique, financière et institutionnelle du pays se délitait totalement, la situation politique a un peu évolué depuis le 26 juillet. Le Premier ministre Saad Hariri a présenté sa démission et, en conséquence, le président Michel Aoun a désigné Najib Mikati nouveau Premier ministre, en charge de former un nouveau gouvernement. Najib Mikati, c’est quelqu'un qui, d'un point de vue purement politique, a peut-être un peu plus de marge de manœuvre que Saad Hariri pour former un gouvernement, du moins d’une manière un peu plus rapide. 

Seulement, le problème reste le même : c’est une personne qui est vraiment l’incarnation du système de corruption et du système de caste politique mafieuse qui caractérise le Liban. Quand bien même il réussirait à former un gouvernement rapidement - et ce n’est pas gagné -, il incarne vraiment le système. Or, tout ce système a intérêt à ce que la situation reste bloquée. C'est pour cela qu'on n'est pas tout à fait optimiste sur les capacités tactiques du Liban à former un gouvernement. 

"Même avec l’explosion du 4 août, tout a continué comme avant"

La communauté internationale tente pourtant depuis un an de faire pression sur la classe politique libanaise pour qu'un gouvernement soit formé, mais sans succès...

Effectivement, on se rend compte que deux visites d’Emmanuel Macron, une visite de Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, le fait d’avoir tapé sur la table, le fait d’avoir pris des sanctions, le fait d’avoir conditionné des aides financières à la mise en place d’un gouvernement, tout ce qui a pu être fait par la France depuis plus d’un an, tout cela n’a pas abouti. On est vraiment dans un système où tout s’emballe. La situation économique, financière, s’est dégradée au point que la Banque Mondiale a classé la crise que connaît actuellement le Liban parmi les trois pires au monde depuis 1850. Même avec l’explosion du 4 août, tout a continué comme avant et les remontrances d’Emmanuel Macron n’ont eu absolument aucun effet. 

Comment la communauté internationale va donc pouvoir faire évoluer la situation politique au Liban ?

Pour éviter un risque de guerre civile, d’embrasement, de réarmement des milices, pour éviter ce genre de scénario, la communauté internationale doit prendre les choses en main de manière un peu plus concrète. Alors bien sûr, il y a la conférence internationale, qui est une conférence d'aide, visant à donner de l'argent. C'est une mesure d'urgence immédiate, car il y a des cas de famine, cela devient très très grave.

Aucun pays européen n'a intérêt à avoir une crise migratoire à ses confins
Anne Gadel, experte du Moyen-Orient

Au-delà, d’un point vue politique et géopolitique, cela ne m'étonnerait pas que, dans les prochains mois, la menace d'Emmanuel Macron de "mise sous tutelle" - c'est-à-dire placement sous un système coercitif et de surveillance politique le Liban - soit mise à exécution. Cela pourrait être une forme assez inédite, mais ce n’est pas du tout à exclure.

Parce que la France n'est pas la seule à avoir intérêt à ce que le Liban ne s'embrase pas. Aucun pays européen n'a intérêt à avoir une crise migratoire à ses confins. Les États-Unis, eux, sont en pleine période de renégociation du traité nucléaire. Tout cela fait qu’il y a une équation politique interne au Liban qui est indissociable des intérêts géopolitiques d'autres puissances régionales et mondiales, qui font que la situation au Liban est très fortement observée. Cela ne m’étonnerait donc pas de voir une situation un peu plus radicale, dans les jours, les semaines, les mois à venir, si Najib Mikati n'arrive pas à mettre en place un gouvernement digne de ce nom. 

Comment l’implication de la France et d’Emmanuel Macron a-t-elle été perçue par la population libanaise ? 

Les premières interventions d’Emmanuel Macron ont été interprétées de manière assez mitigée. Évidemment, c’était important que la France s’implique et qu’Emmanuel Macron montre que la France s’inquiète de ce qui se passe au Liban. Parallèlement, dans un premier temps, il n’a pas du tout conforté l’opposition politique, ni l’émergence ou la consolidation de celle-ci. Il n’a fait que conforter le système institutionnel en place. 

Cependant, on a quand même bien constaté que la classe politique en place fait partie du problème et pas de la solution. C'est ce qui a un peu justifié l’infléchissement de ton qu'il y a eu à l’occasion de la visite de Jean-Yves Le Drian, en mai dernier. Le ministre est allé sur place et a encouragé l’opposition à se structurer et à se mobiliser en vue des élections en 2022. C’est un infléchissement intéressant, bien que peut-être un peu tard. 


Aurélie LOEK

Tout
TF1 Info