Oui, la justice italienne veut obliger Uber Eats et ses concurrents à salarier 60.000 livreurs

Publié le 26 février 2021 à 13h48, mis à jour le 26 février 2021 à 14h34
Oui, la justice italienne veut obliger Uber Eats et ses concurrents à salarier 60.000 livreurs

RÉGULARISATION - Des internautes rapportent que la justice italienne a pris une décision historique exigeant le salariat de 60.000 livreurs, jusque-là autoentrepreneurs. C'est exact, mais les sociétés visées comptent faire appel.

Dans les grandes villes, les livreurs de nourriture sont bien souvent les seuls à circuler en soirée, couvre-feu oblige. À vélo ou sur des scooters, ils arpentent les rues et permettent à des enseignes de restauration de poursuivre en partie leur activité. Leur statut suscite toutefois d'intenses débats depuis plusieurs années. La plupart des plateformes font appel à des microentrepreneurs, rémunérés à la course et qui se trouvent ainsi plus vulnérables que des salariés plus "classiques" disposant d'un CDD ou d'un CDI, en cas d'arrêt pour cause de maladie par exemple.

Une situation source de controverses dans de nombreux pays, y compris chez nos voisins italiens où Uber Eats, Deliveroo ou Glovo se sont développés ces dernières années. Là-bas, leur fonctionnement aurait fait l'objet d'une lourde condamnation par la justice transalpine. 

Sur Twitter, un ancien livreur à vélo, désormais porte-parole d'un comité "dédié à la défense des livreurs autoentrepreneurs" évoque en effet une "ÉNORME décision judiciaire". Il décrit la condamnation subie par 4 plateformes et note qu'elles disposent désormais de 90 jours pour salarier "environ 60000 livreurs dans toute l'Italie". Cela préfigure-t-il de jugements similaires ailleurs en Europe ? Difficile de le dire, mais le parquet de Milan a bel et bien statuer en faveur des livreurs, décidant par ailleurs d'infliger de lourdes amendes.

"La sécurité des travailleurs est en jeu"

Assez peu relayée dans les médias français, cette décision de la justice italienne a pourtant été largement détaillée par la presse italienne. Celle-ci a partagé les conclusions du parquet de Milan, qui a pointé du doigt quatre plateformes majeures, spécialisées dans le transport de nourriture aux particuliers : Foodinho-Glovo, Uber Eats Italy, Just Eat Italy et Deliveroo Italy. À travers un communiqué, le parquet a expliqué que ces sociétés devraient procéder à la régularisation du statut de quelque 60.000 livreurs, estimant qu'ils ne pouvaient pas être considérés comme des autoentrepreneurs au regard de leur activité.

"Il est indispensable de procéder à une modification du contrat" qui unit l'employeur à ses livreurs, explique le texte, puisqu'il "ne s'agit pas d'une prestation autonome et occasionnelle, mais d'une prestation de type coordonné et continu". En clair, la justice ne s'oppose pas au fait de recourir à des travailleurs en autoentreprise : le problème vient du fait que les livreurs travaillent exclusivement avec ces plateformes, ce qui est assimilable à du salariat déguisé. On évoque parfois le terme de "faux indépendants" en France pour désigner des situations similaires.

La sévérité de cette décision est notable : une amende de 733 millions d'euros a été décidée, sans compter le versement rétroactif des contributions sociales non effectuées. Une somme de près d'un milliard d'euros est évoquée par les médias italiens... Par ailleurs, un plus de 60.000 livreurs qui ont travaillé pour les quatre sociétés incriminées entre le 1er janvier 2017 et le 31 octobre 2020 devront voir leurs contrats modifiés. Le tout dans un délai réduit, 90 jours. 

Cité par La Repubblica,  le commandant des carabiniers Antonino Bolognani a estimé que dans ce dossier, "la sécurité des travailleurs est en jeu". "L'énorme majorité des livreurs travaille en vertu de contrats de travail autonome et occasionnel", mais l'enquête et les quelque 1000 entretiens menés ont permis d'établir que "cette qualification [...] est démentie par la réalité des faits", a pour sa part insisté le parquet.

Du côté des sociétés visées, on accuse logiquement le coup. Des bruits de couloirs relayés par les médias évoque le possible départ de l'une des entreprises du sol italien, mais il faut surtout noter que la justice devra à nouveau se saisir de la question. Sans surprise, les plateformes ont rapidement annoncé leur volonté de faire appel, une manière de peaufiner leur défense en vue d'un futur jugement, mais aussi de stopper au moins temporairement la procédure d'indemnisation. "L'enquête concerne d'anciens contrats et ne devrait pas avoir d'incidence sur les activités en Italie", a précisé Deliveroo, tout en indiquant ne pas souhaiter en rester là sur le plan judiciaire. 

Galvanisés par la décision du parquet de Milan, les livreurs ont de leur côté annoncé qu'ils allaient poursuivre leur lutte, et prévoient d'ores et déjà une vaste journée d'action et de grève le 26 mars. Celle-ci est organisée dans pas moins de 32 villes italiennes.

Vers une jurisprudence ?

Ce n'est pas un hasard que l'information de ce jugement ait été relayée en France par un collectif qui défend les livreurs. Dans de nombreux pays, un bras de fer est ainsi engagé depuis plusieurs années afin de faire évoluer le fonctionnement des plateformes. LCI évoquait il y a presque un an jour pour jour la condamnation de l'entreprise Deliveroo, tenue de verser 30.000 euros à un ancien livreur après la requalification de son contrat. Il s'agissait alors d'une grande première en France. 

"Les prud'hommes estiment que la plateforme a délibérément fraudé le Code du travail en obligeant le livreur à avoir un contrat de prestation de service", réagissait alors l'avocat du plaignant. "Cette décision est la suite logique de l'arrêt de la Cour de cassation rendu en 2018 qui estimait que qu’un livreur travaillant pour une plateforme n’est pas un autoentrepreneur, mais bien un salarié. "

Toute fin janvier, un acteur majeur du secteur a annoncé un virage dans son fonctionnement. La branche française de Just Eat a en effet indiqué opter pour le salariat des livreurs, et annoncé son souhait d'embaucher 4500 coursiers en CDI en 2021, dans une trentaine de villes du pays. La société d'origine britannique, rachetée en 2019, prône "une solution autre de livraison, plus responsable". Elle précise que "tous les livreurs sont payés à l’heure et non à la course, qu’ils soient sur le terrain ou non, ce qui leur assure une garantie de revenus quelle que soit leur activité journalière".

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Thomas DESZPOT

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