"L'explosion a ravivé l'exaspération" : les ressorts de la colère des Libanais

Propos recueillis par CÉDRIC STANGHELLINI
Publié le 14 août 2020 à 20h03, mis à jour le 14 août 2020 à 20h16
L'explosion du 4 août a causé des dégâts considérables dans la capitale libanaise
L'explosion du 4 août a causé des dégâts considérables dans la capitale libanaise - Source : J. Eid / AFP

INTERVIEW - Près deux semaines après l'explosion qui a ravagé une grande partie de sa capitale, le Liban traverse une profonde crise institutionnelle. La démission du gouvernement et la promesse de nouvelles élections n'ont pas apaisé les tensions. Quel peut-être l'avenir politique du pays ? La journaliste Inès Gil, installée à Beyrouth, nous éclaire sur la situation.

Depuis l'explosion qui a ravagé Beyrouth le 4 août dernier, entraînant la mort d'au moins 171 personnes, les Libanais descendent dans la rue pour demander des comptes aux responsables politiques. Si les manifestations se concentrent essentiellement dans la capitale, tout le pays est mobilisé par cette vague de contestation. Excédés par des années de corruption et de clientélisme, les Libanais demandent un changement radical de leur classe politique.

Afin de mieux comprendre la situation sur place, LCI a sollicité l'éclairage d'Inès Gil, journaliste reporter installée à Beyrouth et spécialiste des questions du Moyen-Orient.

LCI : Dix jours après l'explosion, quelle est la situation sur place ?

Inès Gil : La situation est toujours critique. Le Liban traversait déjà une crise économique historique, avec une inflation galopante et un sous-investissement public qui ont conduit à des défaillances dans l'accès aux services publics élémentaires comme la santé, l'électricité, le ramassage des ordures. Depuis plusieurs années, de nombreux Libanais, surtout les jeunes, sont contraints de s'expatrier pour trouver un travail. Cette explosion a fini par achever une situation déjà chaotique sur le plan financier, mais aussi sur le plan institutionnel avec la reprise du mouvement populaire 'dégagiste', appelé thawra, (révolution en français) qui a débuté en octobre dernier. 

Comment les Libanais ont-ils accueilli l'annonce de la démission du gouvernement ? 

La population se montre très sceptique sur les suites que pourrait entraîner cette démission générale. En octobre dernier, le mouvement thawra avait obtenu la démission du Premier ministre Saad Hariri en moins de deux semaines. Mais les réformes demandées par une partie des Libanais n'avaient ensuite pas été engagée par le nouveau gouvernement Hassane Diab. Les gens se montrent donc très prudents sur les promesses de 'jours nouveaux', et l'avenir reste incertain. 

Quelles sont les revendications de ce mouvement de protestation ?

Le leitmotiv commun des manifestants est de mettre fin au clientélisme et à la corruption qui gangrènent le système politique de manière généralisée. Mais les Libanais qui manifestent sont aussi très divisés. Il y a ceux qui participent aux rassemblements sans affiliation quelconque et ceux qui sont ancrés dans des associations ou des partis politiques. Certains militent pour un changement total de régime, en modifiant la Constitution pour mettre un terme à ce système institutionnel qui exige une représentation de toutes les communautés. D'autres demandent un changement de la classe politique mais sont plus frileux à une modification radicale du régime. 

La thawra marque une différence avec les mouvements de contestation qui ont éclaté les années précédentes.
Inès Gil

Comment fonctionne ce système politique confessionnel ?

Le Liban est un pays divisé entre de nombreuses communautés : chiites, sunnites, druzes, maronites et de nombreuses autres communautés chrétiennes. Les institutions composent avec cette société hétéroclite. Le président est chrétien maronite, le Premier ministre est sunnite, le président de la chambre est chiite. Il y a aussi des quotas pour les parlementaires et dans la fonction publique. Des Libanais craignent de rompre cet équilibre, encore aujourd'hui. L'avenir des institutions est un débat houleux dans le pays car certains pensent que le système actuel favorise le clientélisme à travers la rhétorique communautaire, et non la défense de l'intérêt général. Ceux qui critiquent le système confessionnel aimeraient que les dirigeants soient plus détachés du discours religieux. 

Le mouvement n'est-il pas avant tout, un mouvement des jeunes et concentré dans la capitale ?

Non, la thawra marque une différence avec les mouvements de contestation qui ont éclaté les années précédentes. La thawra  est beaucoup plus étendue à l'ensemble du Liban, notamment à Tripoli, la deuxième ville du pays, mais aussi dans les campagnes. Une révolte qui a démarré, au début, sans distinction de communauté. Cela s'explique par le fait que les Libanais sont descendus dans la rue à la fois pour des considérations politiques - l'avènement d'un nouveau projet - mais aussi des revendications économiques - à cause de la dégradation du pouvoir d'achat. Une réalité qui touchait la classe moyenne comme les plus modestes. Cependant, si une grande partie des populations des régions à majorité chiite est descendue dans la rue aux premiers jours des manifestations, la plupart ont cessé la mobilisation à la demande du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah. 

Puis, les manifestations se sont essoufflées début 2020 à cause de problèmes structurels au sein du mouvement, qui avait du mal à dégager un leadership et des revendications claires. La crise sanitaire du coronavirus est ensuite venue achever le soulèvement. La fin du confinement a toutefois fait renaître de nouveaux rassemblements avec des revendications économiques. Et l'explosion du port de Beyrouth le 4 août a ravivé l'exaspération des Libanais envers les autorités qu'ils jugent responsables.


Propos recueillis par CÉDRIC STANGHELLINI

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