La Biélorussie sous haute tension après la réélection controversée de Loukachenko, un manifestant tué

Publié le 11 août 2020 à 7h55, mis à jour le 19 août 2020 à 16h56

Source : TF1 Info

CONTESTATION - Au pouvoir depuis 1994, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a remporté l'élection présidentielle avec 80,23% des voix, selon des résultats de l'agence d'État. De nouvelles manifestations de protestation ont été dispersées lundi soir par la police. Cette dernière a indiqué qu'un manifestant avait été tué par son propre engin explosif.

L'élection semblait jouée d'avance. Les résultats n'ont fait que le confirmer. Le président sortant Alexandre Loukachenko, qui dirige la Biélorussie d'une main de fer depuis 1994, a remporté ce lundi 10 août le scrutin présidentiel avec 80,23% des suffrages exprimés, selon l'agence étatique Belta. L'opposante surprise Svetlana Tikhanovskaïa a elle récolté 9,9% des voix, selon ces premiers résultats officiels, au lendemain d'une élection tendue sur fond de violences et d'accusations de fraudes.

Quelques heures après l'officialisation du maintien au pouvoir de Loukachenko, des manifestations se sont déroulées dans le pays. Dans la capitale Minsk, un journaliste de l'AFP a vu des centaines de manifestants rassemblés en divers endroits de la ville, et la police procéder à des arrestations. Un témoin a fait état de ces tirs et de l'utilisation de gaz dans le centre ville, où se trouvait un important dispositif policier. Selon des médias russes et bélarusses, des interpellations ont également lieu dans d'autres villes de cette ex-république soviétique.

Dans un communiqué diffusé lundi soir, la police du pays a indiqué qu'un manifestant avait été tué en essayant de lancer un engin explosif sur les forces de l'ordre, qui "a explosé dans ses mains".

Un mort et des dizaines de blessés dimanche selon une ONG

Des manifestations spontanées émaillées de heurts avec les forces de l'ordre avaient déjà eu lieu dimanche soir, peu après l'annonce de premiers sondages officiels donnant le président sortant Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994, largement en tête. L'agence de presse russe Ria Novosti a fait état de heurts entre des manifestants antigouvernementaux et les forces de l'ordre, tout comme les médias biélorusses d'opposition tut.by, Nacha Niva et Nexta, dans les environs du monument Stella. La police a dit avoir utilisé des "équipements spéciaux", dont des grenades assourdissantes, et avoir procédé à des arrestations, sans en préciser le nombre. Selon l'ONG de défense des droits humains Viasna, plus de 200 personnes ont été arrêtées dans la soirée de dimanche. Le ministère de l'Intérieur a annoncé dans la matinée que ce sont finalement quelque 3000 manifestants qui ont été interpellés "à travers tout le pays". 

D'autres rassemblements d'opposition, théâtres par endroit d'interventions policières musclées, avaient aussi eu lieu, selon des médias locaux, dans des villes de province dont Brest, Pinsk, Gomel et Grodno. Plusieurs médias, dont la radio financée par les États-Unis RFE/RL, ont fait état d'usage de balles en caoutchouc. Ils ont diffusé des images de manifestants blessés, du sang coulant de leurs visages. Ales Bialiatski, à la tête de l'ONG Viasna, a dénoncé auprès de l'AFP une utilisation "disproportionnée" de la force par la police.  Un mort et des dizaines de blessés ont été recensés par l'association biélorusse. Une information démentie par le ministère de l'Intérieur, qui indique dans son bilan que "plus de 50 citoyens et 39 policiers ont été blessés" au cours de ces manifestations nocturnes "non-autorisées". En posant son bulletin dans l'urne, le président sortant Alexandre Loukachenko avait promis qu'il n'y aurait ni "perte de contrôle" ni "chaos" dans le pays.

L'ONG Viasna a dénoncé une utilisation "disproportionnée" de la force par la 
police dimanche lors des heurts avec les manifestants.
L'ONG Viasna a dénoncé une utilisation "disproportionnée" de la force par la police dimanche lors des heurts avec les manifestants. - SIARHEI LESKIEC / AFP

La journée de vote avait été marquée par une atmosphère tendue et des queues géantes aux bureaux de vote, qualifiées par la Commission électorale de "sabotage" de la présidentielle et de "provocation" organisée par l'opposition. La nouvelle venue en politique Svetlana Tikhanovskaïa, professeure d'anglais de formation, avait demandé à ses partisans de porter des bracelets blancs et de prendre en photo leur bulletin pour permettre un comptage indépendant. Elle avait dénoncé ces derniers jours des "fraudes éhontées" orchestrées par le pouvoir, en l'absence d'observateurs nationaux et internationaux indépendants. 

Une "falsification totale" des élections

Le pouvoir avait redoublé d'efforts en fin de campagne pour enrayer l'essor de l'opposante. La cheffe de son QG de campagne, Maria Moroz, avait été arrêtée samedi comme neuf autres collaborateurs. Dimanche, Tikhanovskaïa avait estimé que "la majorité" de ses concitoyens la soutenait, en dépit des premiers résultats à la sortie des bureaux de vote. "Je considère que nous avons déjà gagné car nous avons vaincu notre peur", avait affirmé la trentenaire, qui a su attirer les foules. Sur de son fait, elle a demandé, lundi 10 août, à ce que l'autocrate "cède le pouvoir". Peu désireux d'apaiser les tensions, Loukachenko a qualifié ses opposants de "moutons" téléguidés par des puissances "étrangères".

Sa montée en puissance s'est faite sur fond de difficultés économiques croissantes, aggravées par des tensions avec la Russie, accusée de chercher à vassaliser la Biélorussie, et de la réponse controversée de Loukachenko au Covid-19, qu'il a qualifié de "psychose". 

Dans le contexte ambiant, après cette "falsification totale" des élections dénoncée par les manifestants antigouvernementaux, la crainte que la répression ne s'accentue est partagée. "Connaissant la nature impitoyable de Loukachenko, quiconque s'intéresse au Bélarus s'inquiétera pour le peuple bélarusse dans les prochains jours", affirme à l'AFP Nigel Gould-Davies, analyste à l'International Institute for Strategic Studies (IISS) et ancien ambassadeur britannique à Minsk. À plusieurs reprises, les manifestations y ont été matées sans ménagement par Loukachenko, parfois appelé "dernier dictateur d'Europe".

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a condamné lundi la répression en cours et réclamé un décompte "exact" des votes exprimés pour la présidentielle. "Le harcèlement et la répression violente des manifestants pacifiques n'ont pas leur place en Europe. J'appelle les autorités du Bélarus à veiller à ce que les votes de l'élection d'hier soient comptés et publiés avec exactitude", a-t-elle demandé dans un message sur son compte Twitter. L'Allemagne, de son côté, a expliqué avoir de "gros doutes" quand à la sincérité du scrutin. Washington s'est dit "grandement préoccupé" et a appelé Minsk à s'abstenir de faire usage de la force.


La rédaction de TF1info

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