La Turquie a-t-elle vraiment reçu 50 milliards d'euros d'aide de l'UE ces 25 dernières années ?

Publié le 14 avril 2021 à 13h04
Les sommes évoquées par Jordan Bardella sont très éloignées de la réalité.
Les sommes évoquées par Jordan Bardella sont très éloignées de la réalité. - Source : Illustration Meg Jerrard via Unsplash

EXAGÉRATION - Vice-président du Rassemblement national, Jordan Bardela assure que l'UE a versé 50 milliards d'aides à la Turquie en l'espace de 25 ans. Un montant trompeur, trois fois supérieur à la réalité.

Invité de France Info mardi 13 avril, le député européen et vice-président du Rassemblement national Jordan Bardella a été interrogé sur le sort du Français Fabien Azoulay, emprisonné depuis quatre ans en Turquie. En lui apportant son soutien, le lieutenant de Marine Le Pen a profité de l'occasion pour dénoncer les aides massives qui auraient été perçues par Ankara depuis un peu plus de deux décennies, versées par l'Union européenne.

"La Turquie a bénéficié de 50 milliards d'euros ces 25 dernières années de la part de l'Union européenne", a-t-il lancé, "donc aujourd'hui on est très clair : pas un euro d'argent public pour la Turquie." Un montant qui interpelle, mais qui se révèle en réalité très supérieur à la réalité. Jordan Bardella inclut en effet dans son calcul des sommes relatives à des prêts, qui doivent être remboursées (avec des intérêts) et n'ont rien à voir avec des aides directes. Avant lui, Marine Le Pen avait déjà été épinglée sur ce même sujet. 

Des montants presque trois fois inférieurs

Les auditeurs qui écoutaient la radio à ce moment ont sans doute été surpris par les montants évoqués par le député européen. Pour en connaître le détail et les vérifier, LCI a contacté Jordan Bardella en lui demandant les sources sur lesquelles il s'appuyait. Du tac au tac, il répond et fait suivre un article publié sur le site de 20 Minutes. Mis en ligne en novembre dernier, il visait cherchait à vérifier une information partagée à l'époque par Marine Le Pen. Cette dernière assurait en effet que la Turquie avait touché 44 milliards de l'UE depuis 2005.

Après diverses vérifications, 20 Minutes ne donnait pas du tout raison à la présidente du RN. Et pour cause : l'ancienne candidate à la présidentielle incluait dans cette somme globale le montant de prêts accordés par la Banque européenne d’investissement (BEI). Des milliards d'euros qui n'ont rien à voir avec des aides directes, et ne peuvent donc pas être mis sur le même plan qu'un soutien financier plus classique. Jordan Bardella reprend ainsi à son compte un calcul similaire, et nous partage une source expliquant que la présidente du RN relaie des éléments factuellement faux. 

Pour faire le point sur les aides réellement perçues par Ankara, LCI a contacté la Commission européenne. Elle indique que "l'UE a alloué un montant global de 17,7 milliards d'euros à la coopération financière avec la Turquie depuis 1996, notamment par le biais de l'instrument d'aide de préadhésion, et de ses prédécesseurs, à savoir le programme PHARE et la facilité de préadhésion et de transition de la Turquie". Et ajoute que "ce chiffre de 17,7 milliards d'euros [...] comprend 6 milliards d'euros alloués à l'aide aux réfugiés en Turquie, dont 3 milliards d'euros de contributions au budget de l'UE des États membres de l'UE." 

Des prêts amalgamés à des subventions

Cette précision est importante puisque la Commission note que cette somme de 6 milliards d’euros ne soutient pas "les réformes en Turquie", mais permet de répondre aux "besoins des réfugiés", syriens en majorité. Des montants dont le pouvoir en place ne peut pas profiter, puisqu'il est versé aux organismes et associations qui agissent sur le terrain pour venir directement en aide aux personnes en détresse sur le sol turc. 

Si la Turquie a bien bénéficié de prêts de la Banque européenne d'investissement, à hauteur de 30,43 milliards d’euros depuis 1965, on constate plusieurs erreurs factuelles dans les propos de Jordan Bardella. Les sommes qu'ils évoquent ne se limitent ainsi pas aux seules 25 dernières années, tandis que ces prêts sont à tort ajoutés à des aides effectives. Un prêt consenti à un État est en effet comparable à celui dont disposerait un particulier, en ce sens qu'il donne lieu à un remboursement accompagné du versement d'intérêts. Laisser entendre que les contribuables européens auraient largement cotisé pour distribuer des milliards d'euros à la Turquie est donc trompeur, surtout au regard des montants présentés.

En résumé, Jordan Bardella utilise un chiffre presque trois fois supérieur à la réalité lorsqu'il évoque les aides de l'UE versées à la Turquie. Un calcul trompeur qu'il semble assumer totalement, n'hésitant pas à justifier ces éléments par des démonstrations déjà battues en brèche par le passé dans les médias. La Commission européenne est formelle et confirme pour sa part que depuis 1996, la Turquie a perçu 17,7 milliards d'aides de la part de l'UE. 

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Thomas DESZPOT

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