Peut-on parler de "révolution" en Ukraine ?

Publié le 19 février 2014 à 18h27
Peut-on parler de "révolution" en Ukraine ?

DÉCRYPTAGE - "Crise", "contestation", "violences"... mais très rarement "révolution". Pourquoi médias et observateurs n'utilisent-ils pas ce terme pour qualifier le mouvement contre Viktor Ianoukovitch, comme ils l'avaient fait en 2004 ?

"C'est une révolte ? Non sire, c'est une révolution !" La célèbre réplique de La Rochefoucauld à Louis XVI pourrait-elle s'accorder au mouvement de contestation en Ukraine ? Pas si l'on s'en tient à la définition stricte du terme. Pour le Petit Larousse, une révolution est un "changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d'un Etat, qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place et prend le pouvoir". Viktor Ianoukovitch n'ayant pas été renversé , parler de révolution à Kiev serait incorrect, ou au moins prématuré.

Mais les mots qui s'imposent dans les médias ne respectent pas toujours à la lettre les lois du dictionnaire : en 2004, les observateurs n'avaient pas attendu la fin du processus pour donner le nom de "révolution orange" (c'était la couleur du parti de l'opposition) au mouvement populaire qui allait permettre l'alternance politique. Celle-ci s'était pourtant faite de manière pacifique, sans mort. Cette fois, même au moment où la violence semble avoir atteint un point de non-retour , on parle de "crise", "d'affrontements" ou de "contestation", mais quasiment jamais de révolution dans les journaux. "Le fait que le sang coule peut conduire à militer pour ce terme", admet le géopolitologue Pierre Verluise, qui note qu'avec le durcissement politique du mouvement, "certaines composantes de l'opposition ont sans doute des ambitions de type révolutionnaire". Mais selon lui, "pour l'instant ce ne sont que des contestations violentes d'un pouvoir politique qui semble avoir considérablement perdu en légitimité."

"Le signe d'une certaine réserve"

Le géopolitologue avance néanmoins plusieurs hypothèses au fait que les médias ne se risquent pas, cette fois-ci, à employer ce terme. D'abord par manque d'enthousiasme. "Cela peut être le signe d'une certaine réserve, d'une absence de soutien franc et massif au processus, étant entendu qu'en France on est plutôt légaliste et que l'on considérait en novembre que le président ukrainien avait été élu démocratiquement. Cela peut aussi témoigner du fait que les Français se sentent assez peu concernés par cette affaire éloignée, et que certains considèrent qu'on ne va pas se fâcher avec la Russie pour récupérer l'Ukraine, contrairement à d'autres pays prêts à aller au clash, comme la Lituanie et la Pologne."

En Pologne d'ailleurs, la presse parle-t-elle de "révolution" ? "Non, nous répond-on à l'ambassade de France à Varsovie, même si on l'entend parfois dans la bouche de parlementaires". Selon notre interlocuteur, la presse polonaise relate des "actes de violence" ou des "assauts sanglants". Mais elle considère que les événements de Kiev ne rencontrent pas suffisamment d'écho dans le reste du pays : "Contrairement à ce qui s'est passé en Pologne dans les années 1980, il ne s'agit pas d'un mouvement de solidarité soutenu par des millions d'Ukrainiens. Il faudra voir comment cela évolue si les affrontements violents continuent". En attendant, s'il est un pays où le terme de révolution en Ukraine devrait, quoi qu'il arrive, rester banni, c'est la Russie. Vladimir Poutine, qui avait qualifié les premières manifestations de "pogrom", a dénoncé mercredi une "tentative de coup d'Etat" par la voix de son ministre des Affaires étrangères.


Gilles DANIEL

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