Pourquoi la disparition d'al-Sahraoui est un "gros coup" porté au groupe État islamique au Grand Sahara

Propos recueillis par Aurélie Loek
Publié le 17 septembre 2021 à 6h26

Source : TF1 Info

INTERVIEW - Emmanuel Macron a présenté comme un "succès majeur" la mort d'Adnan Abou Walid al-Sahraoui, le chef du groupe de l'État islamique au Grand Sahara, tué par une frappe française. Bruno Clément-Bolée, expert de la sécurité en Afrique, décrypte les conséquences de cette opération.

Dans la nuit du mercredi 15 au jeudi 16 septembre, le président Emmanuel Macron a annoncé la mort du chef du groupe de l'État islamique au Grand Sahara, Adnan Abou Walid al-Sahraoui. Présenté comme "ennemi prioritaire" au Sahel lors du sommet de Pau en janvier 2020, cette figure historique du djihadisme au Sahel a été tuée par une frappe de l'armée française.

Si le chef de l'État a annoncé au printemps une reconfiguration de la force Barkhane dans la région, la France continue de s'engager au Sahel. Cette dernière annonce en est la preuve, pour l'ancien directeur de coopération et de défense du Quai d'Orsay et expert en sécurité en Afrique, Bruno Clément-Bolée. Pour ce dernier, cette disparition va affaiblir l'organisation djihadiste. 

Barkhane est extrêmement efficace, même en début de reconfiguration
Bruno Clément-Bollée, expert en sécurité en Afrique

Emmanuel Macron a présenté la mort d'Adnan Abou Walid al-Sahraoui comme un "succès majeur" et la ministre des Armées, Florence Parly, a assuré jeudi que c'était "un gros coup" pour le groupe État islamique au Grand Sahara (EIGS). Est-ce aussi votre analyse ? 

Oui, sans aucun doute. La disparition d’al-Sahraoui, c’est un gros coup et un bon point pour Barkhane. Cela montre que Barkhane est extrêmement efficace, même en début de reconfiguration. Les résultats sont là. Parce que finalement, la mort d'al-Sahraoui suit la disparition en juin du numéro deux de cette organisation. En juillet, le financier et le chef de la justice traditionnelle du mouvement ont disparu. Maintenant, c’est le chef lui-même. Je pense donc que c’est un coup majeur, et je ne suis pas du tout étonné que ce soit le président de la République lui-même qui l’annonce et que l’affaire soit présentée par Florence Parly. 

Est-ce que la disparition de ses principaux cadres et de son chef pourrait entraîner la disparition du groupe en lui-même ?

Non, je ne pense pas. Ça l’affaiblit considérablement, il n'y a pas de doute, et il va probablement être déstabilisé pour une période que je juge assez longue. Mais il ne faut pas en conclure tout de suite, et trop prématurément, que c’est la fin de l’EIGS. Cette organisation est une espèce d’hydre. Quand vous coupez une tête, même la tête principale, d’autres têtes ne mettent pas longtemps à apparaître. 

Donc je crois que maintenant, il faut être extrêmement vigilant pour voir comment l’EIGS va rebondir, et essayer de gérer ce coup. Sans nul doute, l’organisation de l’État islamique est très fortement déstabilisée. Mais il faut s’attendre, dans les mois qui viennent, à voir les activités continuer. On verra alors comment le groupe se réorganise.

Une menace islamiste encore vive dans la région

L'absence de ce chef ne va donc pas permettre une stabilisation de la région ?

Non. Car il y a deux grandes organisations islamiques dans la région. Il y a l’EIGS, fortement touché, et puis il y a le GSIM, le groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans tenu par Iyad Ag Ghali. On pourrait aussi situer un autre mouvement, la Katiba Macina d’Amadou Koufa. Avec ces groupes, on n'est plus dans l'État islamique, mais dans le groupe Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Ceux-là ont été désignés par notre ancien chef d’état-major des armées, le général Lecointre, début 2021, comme l’ennemi prioritaire, et ils sont encore tout à fait puissants. 

Donc la menace islamiste, qu’elle soit de nature Aqmi ou qu’elle soit de nature EIGS, reste encore très vive dans la région. Peut-être que dans les semaines, les mois à venir, dans la zone des "trois frontières" [région sans délimitation physique où se rencontrent le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ndlr], qui était fortement déstabilisée par Abou al-Saraouhi, un certain calme pourrait revenir. Mais je pense que l'armée est encore vigilante dans la région et elle a raison de l’être.

Est-ce qu'il était important de montrer que Barkhane lutte toujours contre le terrorisme bien que la reconfiguration ait été amorcée, comme l'a confirmé la ministre des Armées, Florence Parly ? 

Cette reconfiguration a été annoncée au printemps et je note que le bilan des forces Barkhane est quand même assez éloquent. Il est extrêmement important de montrer que la reconfiguration de Barkhane n'impacte pas son action même si, à terme, ses troupes seront quasiment divisées par deux. On va passer de 5100 à 2500 soldats, en gros, en l’espace d’un peu plus d’un an.

À partir du moment où on adopte un dispositif plus léger, plus souple, plus réactif, très mobile, mais quand même percutant, qui travaille beaucoup sur le renseignement, c’est une stratégie qui peut très bien fonctionner. On en a là les prémisses. Ça montre que cette reconfiguration a été bien pensée, et que cette affaire va pouvoir marcher. 

Il faut se rappeler que Barkhane est repensé par rapport à l’ensemble des acteurs, des alliés, que sont la mission des Nations unies, la Minusma, mais aussi le groupement des forces spéciales européennes Takuba. Le cœur de la reconfiguration va se reposer sur cette force Takuba qui est extrêmement réactive, légère, plus souple, et travaille beaucoup sur renseignement. Elle va pouvoir agir rapidement sur les velléités des djihadistes de porter le mal. 


Propos recueillis par Aurélie Loek

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