Présidentielle US : les leçons de 2016 à retenir avant de risquer un pronostic

par Olivier RAVANELLO
Publié le 27 octobre 2020 à 14h18, mis à jour le 2 novembre 2020 à 16h34
Présidentielle US : les leçons de 2016 à retenir avant de risquer un pronostic
Source : Jim WATSON, Dominick Reuter / AFP

ANALYSE - La question se repose comme tous les quatre ans : peut-on avoir une idée de l’issue de l'élection présidentielle américaine du 3 novembre ? Avant d’y répondre, il faut se remémorer ce qu’il s’est passé en 2016 et essayer d’en tirer quelques leçons.

On pourrait, bien sûr, éluder la question. "Attendons mercredi matin et on aura le verdict de l'élection présidentielle américaine..." - à condition, tout de même, que l’écart soit suffisamment net entre Joe Biden et Donald Trump. Attitude tout aussi sage que radicale, qui induit d’arrêter ici la lecture de cet article.

On peut décider néanmoins de poursuivre. Non par goût de la voyance, inclinaison à la forfanterie afin de pouvoir plastronner, mercredi 4 novembre, "je vous l’avait bien dit", pas plus que par esprit partisan - suivre la politique étrangère avec une boussole morale étant rarement la garantie de comprendre les choses. 

Non, si comme beaucoup, on peut aimer se plonger dans les méandres du scrutin américain, c’est qu’il raconte beaucoup de ce pays et qu’il est un fantastique moyen de le comprendre.

Un scrutin complexe

Au cœur de cette élection, il n’y a pas les électeurs, mais les Etats. Ou plutôt les électeurs de chacun des 51 Etats américains. Ce sont ces Etats et leurs "grands électeurs" qui vont faire pencher la balance. Pour être élu, il faut additionner 270 grands électeurs. La Californie, si elle est remportée en apportera 55 à elle seule, l’Ohio 18, le Wyoming 3, le Texas 38... Pour faire basculer ces Etats dans son escarcelle, une seule voix d’avance d'un grand électeur suffit au candidat. En revanche, avoir cinq voix d’avance chez les électeurs en Californie, ou cinq millions de voix, ne changera rien à l’affaire : elles rapporteront toujours 55 grands électeurs au candidat. Pas plus pas moins. 

D’où l’écart parfois colossal qu’il peut y avoir entre le nombre de grands électeurs obtenus et le nombre d’électeurs tout court. On peut perdre une élection aux USA avec une large majorité des citoyens qui ont voté pour vous. C’était le cas de Hillary Clinton face à Trump en 2016. La candidate démocrate avait 2,8 millions de voix d’avance au niveau national.

Une fois le principe bien intégré, il faut donc se pencher sur chacun des ces Etats, dont beaucoup font la taille d’un pays d’Europe. Chacun avec ses préoccupations particulières : ici l’industrie, là l’environnement, ailleurs les questions d’immigration. Tel argument d’un candidat sera clairement adressé à tel Etat. Et dans la dernière ligne droite, les candidats iront choyer ceux qui hésitent à basculer d’un côté ou de l’autre, que l’on appelle les "swing state", ou Etats vacillants.

De la difficulté d'un pronostic

Lorsque l'élection est serrée, elle peut tenir à quelques centaines d’électeurs d'écart dans une quinzaine d’Etats. C’est ainsi que George W. Bush a été élu en 2000 après de longs recomptes grâce à la Floride et plus précisément avec 431 voix d’avance en Floride. Son adversaire malheureux, Al Gore, avait dans le même temps 550.000 voix d’avance au niveau national.

On comprend bien la difficulté qu’il y a à trouver des grandes tendances déjà en temps normal. Mais si l’on revient quatre ans en arrière, il faut se rappeler deux évènements imprévisibles qui sont venus perturber encore davantage les analyses et les commentaires. Celui qui écrit ces lignes en sait quelque chose pour avoir, durant cette campagne 2016, estimé qu’il agissait pour Trump "d’une mission impossible". Mais encore une fois, le but n’étant pas de prédire mais de comprendre, on peut revenir sur ces évènements. Une analyse se base sur les faits existants, les tendances, les évolutions. La réalité de 2016 est bien que deux évènements imprévisibles et perturbateurs se sont produits : 

1 - Le taux d’abstention chez les démocrates, particulièrement élevé. Même face à Trump, la déception d’Obama et la personnalité très "patricienne" d’Hillary Clinton ont conduit une grande partie de l’électorat démocrate - notamment l'électorat noir - à ne pas aller aux urnes. Les sondages se basent toujours sur une estimation raisonnable de la participation. Cette débandade-là était improbable. Elle a faussé les chiffres des sondeurs, et du coup les analyses.

2 - "Cambridge Analytica", du nom de ce cabinet anglais qui avait déjà opéré lors du Brexit. La mise en place d’une stratégie de désinformation ciblée sur les électeurs indécis via les données laissées sur Facebook, juste pour aller chercher ces centaines de voix décisives, Etat par Etat, était là aussi impossible à voir venir. La manipulation n’est pas quantifiable. 

Enfin, et pour être parfaitement honnête, il faut aussi admettre que la dimension irrationnelle, provocatrice et fantasque de Donald Trump pouvait laisser penser que la raison des électeurs aller faire pencher la balance (sans enthousiasme mais quand même) en faveur de Hillary Clinton. Il s’agissait bien là d’une erreur de perception, dont il faut aujourd’hui se souvenir.

Quels enseignements pour ce scrutin ?

Une fois qu’on a compris cela, que dire de ces élections ? Sans doute rappeler des évidences. Les Américains ne sont pas nous. Nous ne sommes pas des Américains. Ils ne sont pas des Français ou des Européens qui habiteraient de l’autre côté de l’Atlantique. Même la côte Est, historiquement plus proche d’une culture européenne, évolue. Les Américains ne sont pas non plus des New Yorkais comme on en croise tant dans le cinéma ou les séries. Les motivations, la vision du monde de la majorité des électeurs américains sont bien loin des nôtres. Lorsqu'on se pose cette question, "comment peuvent-ils être fiers de Trump", il ne faut jamais oublier que ceux-là même nous regardent en se posant celle-ci : "comment peuvent-ils être fier de leur président ou de leur système européen". Il y a toujours un océan entre nous.

L’attachement à l’Etat (Texas, Pennsylvanie, Nevada, Utah) est très fort. Il est constitutif de la culture politique de ce pays qui se méfie comme de la peste d’un pouvoir central. C’est cet attachement qui explique le système de vote par les grands électeurs. On peut le trouver injuste, il a néanmoins une logique historique et politique. 

En outre, Trump est un ovni politique. Dans sa manière de diriger, de parler, de communiquer, de réagir. Il bouscule les règles et les électorats. C’est ce qui a fait sa force en 2016. Certains disent que quatre ans plus tard, les instituts de sondages ont intégré des "correctifs Trump". Néanmoins, la manière dont il est encore parvenu récemment à faire de son infection au Covid un atout reste étonnante. Son "potentiel d’imprévisibilité" reste très haut et de facto son impact sur l’électorat reste sans doute difficile à mesurer. Sa base électorale fait de la destruction des règles classiques de la politique (et donc des analyses) un ciment. Certains ont même fait un principe de déjouer les instituts en racontant n’importe quoi aux sondeurs. 

Enfin, le sondage donne un rapport de force à moment donné. En une semaine, il peut avoir changé. Mais les lire et regarder les Américains réagir aux évènements de cette campagne permet toujours de mesurer à quel point ils ne sont pas nous.

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Olivier RAVANELLO

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