Qui est Oleg Sentsov, l'homme emprisonné en Russie qui entame son 100ème jour de grève de la faim?

Publié le 21 août 2018 à 8h00
Qui est Oleg Sentsov, l'homme emprisonné en Russie qui entame son 100ème jour de grève de la faim?
Source : SERGEI VENYAVSKY / AFP

RUSSIE - Ce mardi, Oleg Sentsov entame son 100ème jour de grève de la faim. Emprisonné en Russie depuis 2015, ce cinéaste ukrainien est accusé de "terrorisme" par le Kremlin. Retour sur le parcours de l’homme qui milite contre l’invasion de la Crimée par la Russie.

"Si nous sommes supposés devenir les clous dans le cercueil d'un tyran, j'aimerais en devenir un." C’est ainsi qu’Oleg Sentsov décrit son combat. A 42 ans, ce cinéaste entame son 100ème jour de grève de la faim ce mardi 21 août. Particulièrement affaibli, il est déterminé à se battre contre l’invasion de la Crimée. Il exige aujourd’hui la libération de 70 prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie. Condamné à vingt ans de prison pour "terrorisme", il était, il y a encore quelques années, un cinéaste pro-européen au premier film prometteur. 

Cinéaste ukrainien

Âgé 42 ans, Oleg Sentsov est un citoyen ukrainien. Il est né à Simferopole, en Crimée, le 13 juillet 1976. C’est là qu’il vivait avec sa femme et ses deux enfants, une fille et d’un garçon âgés de 13 et 12 ans, jusqu’au 11 mai 2014. Élevé dans une famille russophone modeste, il était passionné de jeux vidéo, et a travaillé dans le plus grand cybercentre de sa ville natale. Mais Oleg et surtout connu en tant que réalisateur, producteur et scénariste. Il a notamment reçu plusieurs récompenses pour son premier long-métrage, Gamer, sorti en 2011. Une création réussie, avec un budget minimaliste avoisinant les 17 000 euros environ, qui sera primée au Festival international du film de Sao Paulo comme meilleur film étranger.

Militant pro-européen, il avait reçu des subventions afin de réaliser son second film Rhino. Mais au moment où éclatent les premières manifestations en Ukraine en novembre 2013, il décide d’en suspendre le tournage afin de participer activement au mouvement Euromaïdan. Le cinéaste avait choisi de le reprendre à l'été 2014. 

Arrêté en Ukraine pour "terrorisme"

Mais le 11 mai 2014, en sortant de chez lui, il est enlevé. Il affirme alors avoir été torture par le FSB, le service de renseignements russes, pendant trois semaines. Il réapparaît après en Russie, menotté. Il est accusé, avec un jeune militant antifasciste, Alexandre Koltchenko, d'avoir lancé deux cocktails Molotov contre les locaux d’une organisation pro-russe dans sa région, en Crimée. Amnesty International considère que le procès de cet homme,  pro-européen et opposé à l’annexion de la région ukrainienne de Crimée par la Russie en 2014,  doit servir de message pour les autres dissidents. Le 25 août 2015, Oleg Sentsov est condamné par la justice russe à 20 ans de prison pour "terrorisme" et "trafic d’armes". Procès qualifié de "parodie de justice" par Amnesty International, qui le compare aux "procès pour l'exemple de l'ère stalinienne contre des dissidents". 

En quatre ans, le jeune homme est passé d'un visage timide et arrondi des premières compétitions cinématographiques, à des traits tirés et creusés par la fatigue. Lors de son procès, il apparaît avec des poches noires sous ses yeux bleus et des cheveux blancs dans ses cheveux. Son regard est vif et perçant, révélateur d’une nervosité palpable. Dans le documentaire The Trial, Askold Kurov enquête sur la vérité autour d’Oleg Sentsov. L'une des scènes le montre debout, dans sa cellule. Il rappelle calmement qu’il ne reconnait pas l’annexion de la Crimée. Et le jour du verdict, les caméras ont capté un autre moment particulièrement significatif. Lorsque la sentence tombe, Oleg sourit. Il tape ensuite dans la main d’Alexandre Koltchenko, lui aussi condamné pour "terrorisme". L'ancien cinéaste achève la séquence par un V de victoire avec les doigts, en direction des caméras. Un comportement sarcastique qui souligne ses convictions. Ainsi, dans une lettre écrite depuis sa prison et publiée dans le quotidien The Guardian, on peut lire: "Je ne sais pas ce que vos croyances peuvent valoir si vous n'êtes pas prêt à souffrir ou à mourir pour elles."

Une grève de la faim en prison russe

Parmi ses convictions les plus profondes, celle du progrès, poussé par l’Union Européenne. Dans sa lettre il écrit également : "Je ne vais pas dire: ‘nous verrons qui gagne’. Je sais qui va gagner. Le désir de liberté et de progrès est imparable." Des valeurs que rappelle la Société des Réalisateurs de Films dans un appel à sa libération. On y lit: "Si la Communauté européenne et internationale ne fait rien de plus, Oleg Sentsov va mourir. (...)On l'a envoyé pour vingt ans au fin fond d'un trou glacial, au bord du cercle arctique. Et l'Europe, l'Europe dont il rêvait au point de se battre pour que son pays en fasse partie, l'Europe, a laissé faire."  

Alors depuis le 14 mai, pour protester contre sa détention en Russie et exiger la libération de 70 prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie, il a entamé une grève de la faim. Dans une lettre de l'auteur Michel Eltchaninoff, publiée par l'association Les nouveaux dissidents en juillet 2018, l'écrivain décrit le cinéaste et son combat : "Il est devenu le porte-drapeau d’un mouvement de résistance pacifique à l’arbitraire. Aujourd’hui, le véritable homme fort — au sens propre du terme — de la Russie, ce n’est plus Vladimir Poutine, mais un Ukrainien russophone et incroyablement têtu, nommé Sentsov."

Une personnalité d’homme têtu qui l’a conduit à perdre 15 kilos dans sa contestation. Aujourd’hui, alors qu’il entame son centième jour de grève de la faim, il "perd espoir".  C’est en tous cas ce qu’a affirmé sa cousine à l’AFP, assurant que les Occidentaux disposent des "leviers" pour le libérer. Un sentiment partagé par son avocat. Vendredi 10 août, Dmitri Dinze a confié que son client était "prêt à mourir",  dans un entretien au site russophone Meduza. "Oleg est devenu un kamikaze ukrainien qui a mis sa vie en jeu pour sauver la vie des autres, pour ses idéaux, pour son pays", a-t-il ajouté. Des idéaux qui le poussent à souligner qu'Oleg Sentsov "n'est pas un suicidaire, ni un malade mental".

De son côté, le cinéaste refuse de faire la seule chose qui pourrait le sauver : demander une grâce à Vladimir Poutine. Parce qu’Oleg Sentsov compte continuer son combat. Dans sa lettre, il conclut ainsi : " Il n'est pas nécessaire de nous sortir de là à tout prix. Cela ne nous rapprocherait pas plus la victoire. Cependant,  nous utiliser comme une arme contre la volonté de l’ennemi pourrait. Vous devez savoir: nous ne sommes pas votre point faible. Si nous sommes supposés devenir les clous dans le cercueil d'un tyran, j'aimerais en devenir un. Sachez simplement que ce clou là en particulier ne se pliera pas."


Felicia SIDERIS

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