Religieuse, avocate et féministe : rencontre avec Seyran Ates, première femme imam en Allemagne

Publié le 6 février 2019 à 15h57, mis à jour le 6 février 2019 à 20h23

Source : Sujet JT LCI

RELIGION - Seyran Ates est l'une des rares femmes imams dans le monde. Cette avocate germano-turque, militante féministe, prêche au sein de la mosquée progressiste qu'elle a ouvert en 2017 à Berlin. Mais cela lui vaut d'être régulièrement menacée de mort, et d'être placée sous protection policière. A l'heure où des projets de mosquées progressistes sont à l'étude en France, LCI l'a interrogée sur son expérience, et sur la difficulté d'être imam pour une femme.

Actuellement en France, au moins deux projets de mosquées progressistes sont à l’étude. Dans les deux cas, des femmes endosseraient le rôle d’imam. Si cela serait une première dans notre pays, des imams femmes existent déjà aux Etats-Unis, au Danemark et en Allemagne.

Outre-Rhin, l’avocate germano-turque Seyran Ates a ouvert en 2017 la première mosquée progressiste du pays, dans laquelle les femmes et les hommes prient côte à côte, les voiles ne sont pas obligatoires, les homosexuels sont acceptés, et dans laquelle elle prêche. Une "audace" qui lui vaut aujourd’hui d’être placée sous protection policière, et de recevoir de nombreuses menaces de mort. LCI l’a interrogée sur son quotidien, la vie de sa mosquée, et sur la difficulté pour une femme d'être acceptée en tant qu'imam.

Pourquoi avez-vous eu envie d'ouvrir votre propre mosquée à Berlin ? Quelles étaient vos motivations ?

J'avais ce projet en tête depuis de nombreuses années. Je n'étais pas satisfaite du fait que nous n'ayons dans notre paysage que des mosquées "traditionnelles" car l'islam est pluriel, et que selon moi il devrait aussi y avoir de la place pour des mosquées "libérales". C'était une façon de rendre l'islam libéral plus visible. Nous interprétons la religion différemment des musulmans conservateurs mais nous n'en sommes pas pour autant de meilleurs ou pires musulmans, nous sommes juste différents. 

Pourquoi est-il important, selon vous, d'offrir aux fidèles des mosquées progressistes ?

C'est important parce que beaucoup de musulmans veulent vivre l'islam de façon spirituelle. Ils ne veulent pas associer leur religion avec la politique. De plus, l'islam libéral est compatible avec la tradition islamique et avec la démocratie et les droits de l'Homme. Nous voulons montrer que les deux peuvent aller de pair.

Est-ce que les fidèles qui fréquentent votre mosquée avaient l'habitude de fréquenter des mosquées traditionnelles ? Ou attirez-vous une audience différente ?

Certains fréquentaient les mosquées traditionnelles, d'autres ne se rendaient jamais dans les lieux de culte. Des gens m'ont dit qu'ils étaient ravis de venir à la mosquée Ibn Rushd - Goethe car dans d'autres mosquées ils entendaient des discours politiques, qui, peu à peu, les avaient fait se détourner de l'islam. 

Quelles règles, quels principes s'appliquent dans votre mosquée ?

Les principes sont les suivants : les hommes et les femmes peuvent prier ensemble, les femmes peuvent être imam, les voiles ne sont pas obligatoires pour les femmes, et les homosexuels sont les bienvenus. Nous ne sommes pas seulement sunnites ou chiites, nous avons des musulmans d'obédiences différentes.

Beaucoup de personnes étaient effrayées, à la fois de la réaction que pourrait avoir leur entourage, et de la réaction du public."
Seyran Ates

Quelles difficultés avez-vous rencontrées avant d'ouvrir un tel lieu de culte ?

La difficulté principale était de trouver assez de personnes. Beaucoup étaient effrayées, à la fois de la réaction que pourrait avoir leur entourage, et de la réaction du public. Mais dès que le lieu a été ouvert, les gens sont venus, la communauté a grandi. Je leur en suis d'ailleurs très reconnaissante.

Et maintenant que la mosquée est ouverte, à quelles difficultés devez-vous faire face au quotidien ?

La mosquée est bien accueillie par beaucoup, mais notre financement est encore très faible. Nous avons quelques donateurs récurrents très fidèles, mais ce n'est pas assez pour faire vivre la mosquée. Sa survie financière dépend de mes économies personnelles. J'espère que nous pourrons lever plus de fonds cette année.

Pensez-vous qu'une mosquée similaire à la vôtre pourrait ouvrir en France ?

Oui, je suis confiante dans le fait qu'un lieu similaire ouvrira en France. Des musulmans comme l'imam Ludovic Mohamed Zahed soutiendraient cette idée.

Il y avait des femmes imam ainsi que des savantes à l'époque du prophète. C'est un aspect de l'islam qui est souvent oublié."
Seyran Ates

Vous avez été la première femme imam en Allemagne. Pourtant, dans l'islam, rien n'interdit à une femme de prêcher ? Alors pourquoi sont-elles si peu nombreuses ? Pourquoi est-ce si difficile pour elles ?

Car les interprétations traditionnelles de l'islam interdisent aux femmes d'avoir des responsabilités religieuses. Mais si vous vous penchez plus en profondeur dans les sources, vous trouverez également des affirmations contraires. Il y avait des femmes imams ainsi que des savantes à l'époque du prophète. C'est un aspect de l'islam qui est souvent oublié. Je me bats pour que cette part importante de l'histoire ne soit pas oubliée.

Comment vivez-vous aujourd'hui ? Recevez-vous toujours des menaces ?

Oui, je reçois toujours des menaces de mort. Je pense que je ne suis pas seulement attaquée pour ce que je fais, mais parce que je le fais en tant que femme. C'est scandaleux pour de nombreuses personnes. Je suis sous protection policière depuis de nombreuses années. Sans cela, je n'aurais pas été en mesure d'exercer mon travail.

Parfois, regrettez-vous d'avoir fait tout ça, de vivre aujourd'hui sous une menace permanente ?

Non, je n'ai aucun regret. S'il fallait le refaire, je le referais. Je suis ravie d'avoir une famille et des amis qui me soutiennent. Quand je regarde ce que j'ai déjà accompli, je me dis que ça vaut la peine de se battre.


Justine FAURE

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