INTERVIEW - Le ARA San Juan, un sous-marin argentin, ainsi que ses 44 membres d'équipage, n'ont pas donné de signe de vie depuis le 15 novembre. Alors que les recherches se poursuivent au large de la Patagonie, LCI a contacté un ancien sous-marinier français, qui explique pourquoi il est "peu optimiste" sur les chances de survie des naufragés.
Luc* a servi dans l'armée française comme sous-marinier dans les années 1990 et 2000. Sous couvert d'anonymat, il a accepté d'expliquer à LCI les enjeux qui entourent la disparition du San Juan et de ses 44 sous-mariniers, au large de la Patagonie, le 15 novembre dernier.
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LCI : La marine argentine a annoncé qu'un "problème de batteries, un court-circuit" avait touché le sous-marin. Qu'est ce que ça signifie ?
Luc : La batterie d'un sous-marin a plusieurs fonctions : propulser le sous-marin quand il est sous l'eau et suppléer les moteurs diesel en cas de panne (le San Juan est un sous-marin qui fonctionne au diesel, NDLR). Les batteries se rechargent à la surface, en actionnant le moteur diesel. Donc, s'il y a un problème de batterie, ce n'est pas bon, car c'est déjà un système de secours. Normalement, s'ils ont perdu la batterie et qu'ils sont en surface, ils peuvent rentrer avec les moteurs diesel. Or, ils ne sont pas rentrés... Et s'ils sont sous l'eau, sans batterie, ils n'ont plus de moyen de propulsion.
Après une semaine de recherches, personne ne les a vus à la surface. Peut-on être optimiste ?
La mauvaise météo qui touche la zone peut ralentir les recherches. Quand ils flottent, les sous-marins ne sont pas stables avec de telles vagues, mais on peut penser qu'au bout d'une semaine, on aurait déjà retrouvé le San Juan s'il était à la surface. Pour ma part, je suis peu optimiste. Normalement, à la surface, un sous-marin dispose de nombreux moyens pour signaler sa présence : des fusées de détresse, une balise de secours qui doit se déclencher en cas de souci... Mais il arrive que celle-ci se déclenche trop vite, ou qu'elle ne se déclenche jamais.
Une course contre la montre pour retrouver le #SanJuan et ses 44 membres d'équipage qui ont disparu depuis 6 jours maintenant ! Les proches des marins réagissent ⤵ #LaMatinaleLCI pic.twitter.com/dVkDQ94DCk — La Matinale LCI (@LaMatinaleLCI) 21 novembre 2017
Et s'ils sont sous l'eau ?
Dans ce cas, tout dépend de la profondeur. À 300 mètres de profondeur, il est possible de les retrouver. Mais au delà du plateau continental argentin, on atteint très vite des profondeurs qui dépassent le kilomètre. Là, il y a peu de chances que le sous-marin encaisse la pression de l'eau. Très peu de sous-marins dépassent les 500 mètres d'immersion, les Russes uniquement. Mais le maximum, c'est le kilomètre.
Et s'ils sont à une profondeur acceptable, comment se passe le sauvetage ?
Les conditions pour sauver un sous marin au fond de l'océan sont très spécifiques. Il faut notamment qu'il soit posé à plat, à l'horizontal. Tout dépend donc du relief au fond de l'Atlantique. SI c'est le cas l'OTAN peut intervenir avec un sous-marin de secours : le DSRV. C'est un petit sous-marin qui vient se coller au sous-marin échoué mais, pour que ça marche, il faut que les accès du bâtiment échoué soient aux mêmes normes. C'est normalement le cas pour le San Juan, un TR-1700 de fabrication allemande.
En attendant, que peut faire l'équipage ?
Si la batterie est morte, ils n'ont plus de recyclage de l'air. C'est ça, la première urgence. Plusieurs dispositifs peuvent aider les sous-mariniers : il y a des cartouches pour piéger le CO2 que l'on rejette quand on respire, et des "chandelles à oxygène", c'est comme un obus qu'on percute, et ça dégage de l'oxygène. Mais ça pose un autre problème : si on relâche trop d'oxygène, la pression augmente et, au dela du double de la pression atmosphérique normale, ça devient toxique. Trop d'oxygène tue les poumons. C'est un jeu dangereux, il faut à la fois absorber le CO2 produit par l'équipage et produire de l'oxygène sans trop augmenter la pression.
Que se passe-t-il en cas de voie d'eau dans le sous-marin ?
Il y a toujours un moyen de limiter une voie d'eau, mais la difficulté dans un sous-marin, c'est qu'on a pas toujours accès à la coque. On trouve parfois plusieurs installations montées les unes sur les autres, ce qui rend difficile toute réparation. Mais, souvent, ce n'est pas la coque qui se déchire, mais les quelques points qui relient l'intérieur et l'extérieur : les tubes lance-torpille, le schnorchel (une sorte de tuba servant à naviguer juste sous la surface, ndlr), le périscope... Un sous-marin est conçu en tronçons, comme une série de gros robinets, mais une seule fuite peut entraîner des points de faiblesse partout.
Fiche du sous-marin San Juan, disparu mercredi au large de l'Argentine. #AFP par @AFPgraphics pic.twitter.com/34wC41IKJD — Agence France-Presse (@afpfr) 20 novembre 2017
Comment s'entraîne-t-on à ces cas extrêmes ?
Je ne sais pas comment sont formés les sous mariniers argentins, mais en France on suit un entraînement à la survie. Malgré cette formation, quand on comprend comment fonctionne un sous marin, on sait vite que c'est un peu du folklore. Il y a tellement de conditions à remplir pour être secouru de façon efficace... Donc on emmène des rations pour quelques jours de survie, parce qu'on sait qu'au delà, il n'y a pas grand chose à faire. Déjà, si on n'a pas réglé une première avarie très vite, on sait que d'autres problèmes arrivent en cascade. C'est comme être dans une station spatiale.
*le prénom a été changé