Tensions entre les Etats-Unis et l'Iran : "Donald Trump s’est fait avoir à son propre jeu"

Propos recueillis par Felicia Sideris
Publié le 21 juin 2019 à 17h50, mis à jour le 21 juin 2019 à 21h58

Source : TF1 Info

POUDRIÈRE - Donald Trump a annulé à la dernière minute une opération militaire contre l'Iran qu'il avait initiée en représailles à la destruction d'un drone américain. Pour la chercheuse Nicole Bacharan, spécialiste des Etats-Unis et de sa politique internationale, le président américain n’a plus la main mise sur l’engrenage qu’il a actionné.

"Les Etats-Unis font 150 morts en Iran." Ce titre aurait pu être celui des Unes de presse ce vendredi 21 juin. Car dans la nuit, le président américain a approuvé trois attaques ciblant des installations iraniennes. Une opération avortée in extremis, dix minutes avant, qui vient s’ajouter à la longue liste d’événements prouvant que les tensions entre les Etats-Unis et l’Iran sont à leur paroxysme.

Alors faut-il craindre un embrasement de la situation ? Quels sont les intérêts d’un tel conflit pour Donald Trump ? Pourquoi ces frappes ont-elles été annulées au dernier moment ? Nous avons posé ces questions à Nicole Bacharan. Historienne et politologue, elle consacre ses recherches à la politique américaine, et publiera à la rentrée Le monde selon Trump, un ouvrage pour lequel elle a étudié toutes les prises de position du président américain dans les médias.   

Trump amène dans la diplomatie internationale ses habitudes de promoteur immobilier
Nicole Bacharan

LCI : Quel signal faut-il voir derrière l’annulation de ces frappes, qui devaient intervenir en représailles au drone américain abattu par l’Iran ?

Nicole Bacharan : Je pense que c’est le signe d’un recul de Donald Trump. Un recul certainement bienvenu, mais un recul quand même. Car quand le président prend la décision de faire une frappe sur un pays, il n’est pas seul. Il a une équipe qui lui donne au préalable tous les scénarios possibles. Qu’il y allait avoir 150 morts, il ne l’a pas su dix minutes avant de frapper mais au moment de la prise de décision. Si ça peut aussi être interprété comme un avertissement, c’est-à-dire qu’on prévient qu’on est prêt mais qu’on a une certaine humanité, ça peut aussi être interprété comme le signe que Donald Trump a eu peur de l’engrenage dans lequel il s’engageait.

Quant à la façon dont cette information sera interprétée du côté iranien, je pense qu’ils se disent que finalement, les menaces américaines sont vides. 

LCI : Le président américain déclare qu’il avait prévenu l’Iran de cette attaque imminente et a demandé à dialoguer. Pourquoi vouloir discuter maintenant ? 

Nicole Bacharan : Il amène dans la diplomatie internationale ses habitudes de promoteur immobilier. Donald Trump veut toujours être le centre du sujet, le cœur de la négociation. C’est pourquoi il déteste les procédures de groupe, les accords multilatéraux. Il se dit : "c’est moi qui fait le deal, c’est moi qui suis autour de la table, et c’est moi qui vais vous montrer que tout seul je peux avoir un meilleur deal."

Car le sujet c’est bien l’accord sur le nucléaire iranien [signé en 2015, il prévoit la limitation du programme nucléaire iranien contre la levée des sanctions internationales contre le pays ndlr.] Il l’a jugé épouvantable, en est sorti et a accumulé les sanctions tout en disant qu’il voulait discuter, sans condition préalable. Avec cette stratégie, il pensait pouvoir mettre les Iraniens à genou et donc négocier avec eux le programme balistique. Mais aussi pouvoir mettre sur la table le rôle du pays vis-à-vis du Hezbollah ou du Yémen. Sauf qu’en réalité, il a surtout affaibli l’accord iranien, avec des Européens qui n’arrivent pas à compenser les pertes financières que subit le pays, et donc mis Téhéran dans la position où elle n’a plus aucun intérêt d’être dans cet accord. Alors les Iraniens font monter la pression. Leur économie va très mal, ils doivent montrer qu’ils sont durs aussi. Abattre le drone américain, c'était une façon de le montrer, en prouvant que le pays dispose d'une technologie sophistiquée. 

LCI : Quelle est la stratégie américaine vis-à-vis de l’Iran? 

Nicole Bacharan : La stratégie de Donald Trump n’est pas construite. Il ne pense jamais au coup d’après et il est pris dans une contradiction. Ainsi, le président américain a toujours dit qu’il pouvait mettre la pression avec la meilleure armée du monde, il aime beaucoup menacer d’actions militaires. Sauf que fondamentalement il ne veut pas de guerre. A un moment ces deux stratégies ne peuvent pas aller ensemble. Pour menacer, il faut que ça reste crédible. Donc pour lui, les autres viendront négocier. Sauf que cette fois-ci, il s’est fait avoir à son propre jeu. Un jeu très dangereux. Si j’ai la conviction qu’il ne veut pas de guerre, je pense qu’il ne maîtrise plus l’engrenage qu'il a mis en place parce qu'il n’a pas pris en compte le risque de la réaction en face. Il pousse tellement la menace que de l’autre côté on peut avoir une interprétation erronée. Et réagir. 

Quant à ses conseillers, John Bolton [conseiller à la sécurité] et Mike Pompeo [chef de la diplomatie américaine], ce sont des faucons. Bolton est un néo-conservateur très brutal et très naïf dans son interprétation du Moyen-Orient. Mais d’après ce qu’on dit, le président en aurait assez de lui, assez de se faire forcer la main vers une guerre. Si le conseiller à la sécurité est remercié dans les prochains jours ce sera, à mon avis, à cause de ces événements. Quant à Pompeo on le voit souvent s’avancer trois pas en avant vers le conflit avant d’être rattrapé par Donald Trump, qui est le décideur. 

LCI : Et maintenant, à quoi faut-il s’attendre ? 

Nicole Bacharan : Au fond je pense que ni les Iraniens ni les Américains n’ont d’intérêt dans cette guerre. Comme expliqué précédemment, Donad Trump ne veut pas la faire. En plus, j’estime que les Européens ne suivraient pas. Car ils ne vont pas se ranger derrière les Etats-Unis après avoir tenté de sauver l’accord iranien. En ce qui concerne l’Iran, a-t-il quelque-chose à gagner? Je suis persuadée que non. L’enjeu du pays est purement économique, diplomatique et de prestige dans la région. Côté alliés, ils seraient eux aussi bien seuls, les Russes n’auraient clairement pas les moyens de les soutenir dans une déclaration militaire. 

Après, les Américains ont mobilisé 1500 militaires en plus sur leurs bases et porte-avions dans la région, et s'apprêtent à en ajouter 1000 de plus. Évidemment, plus la présence militaire est grande, plus il y a de risques d'aller vers le conflit.


Propos recueillis par Felicia Sideris

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