COMPTE BLOQUÉ - Suite à l'insurrection au Capitole, le réseau social américain a décidé de confisquer le mégaphone de Donal Trump en désactivant son compte Twitter définitivement. Une décision radicale qui suscite de vives réactions y compris dans la classe politique française.
Privé de twitter. Définitivement. Vendredi 8 janvier, deux jours après les émeutes au Capitole qui ont fait cinq morts dont un policier, le réseau social a suspendu "de manière permanente" le compte personnel de Donald Trump. Une décision justifiée par les risques "de nouvelles incitations à la violence" de la part du président américain sortant explique le réseau social. Avec plus de 88 millions d'abonnés, ce qui en fait la cinquième personnalité publique la plus suivie dans le monde, Donald Trump a fait de son compte Twitter un média à part entière, celui qui lui sert à faire des annonces politiques, fulminer contre la presse ou insulter ses adversaires au quotidien. La décision de bannir l'actuel locataire de la Maison Blanche de sa plateforme suscite de vives critiques et place son fondateur, Jack Dorsey, dans une position délicate.
Pour justifier cette décision, deux tweets du futur ex-président des Etats-Unis publiés le 8 janvier sur la plateforme sont mis en cause en particulier par le réseau social. Le premier, dans lequel Donald Trump évoque son absence à la cérémonie d'investiture de Joe Biden, relève de "l'apologie à la violence" selon les équipes de modération de Twitter. Dans le second, il lui est reproché d'utiliser le terme "patriotes américains" qui s'apparente selon Twitter à un soutien aux émeutiers du Capitole. "Après examen approfondi des tweets récents de @realDonaldTrump et du contexte actuel - notamment comment ils sont interprétés (...) - nous avons suspendu le compte indéfiniment à cause du risque de nouvelles incitations à la violence" de la part du président américain sortant, soutient l'entreprise américaine, dans un communiqué.
Est-ce que, désormais, les fournisseurs d’électricité vont couper le courant à Trump ? Va-t-on lui couper l’eau ? Est-ce qu’il a encore le droit d’avoir le câble ?
Brad Parscale, l'ancien directeur de campagne de Donald Trump
Outre-Atlantique, les partisans de Donald Trump ont dénoncé, sans surprise, la décision du réseau social, qui s'apparente clairement à un abus de pouvoir selon eux. "Qui sera le prochain à être réduit au silence ?", interroge Rudy Giuliani, l’avocat de Donald Trump, sur son compte Twitter. "Est-ce que, désormais, les fournisseurs d’électricité vont couper le courant à Trump ? Va-t-on lui couper l’eau ? Est-ce qu’il a encore le droit d’avoir le câble ?", ironise de son côté l'ancien directeur de campagne du candidat républicain, Brad Parscale. Sur le réseau social Parler, devenu un bastion pro-Trump, l’avocate controversée Sydney Powell, qui a également été bannie de Twitter, dénonce pour sa part des méthodes relevant du "fascisme", rapporte Le Monde.
Pour certains, Twitter a enfin pris ses responsabilités, tandis que pour d’autres, la mise à l’index de Donald Trump relève d’une forme de censure sans la moindre assise légale, doublée d’un coup de glaive porté à la liberté d’expression. En cause, le caractère arbitraire de cette décision, qui a suscité de vives réactions y compris en France. "On peut combattre Trump et le chaos qu'il a entraîné mais refuser de se réjouir de voir les GAFA décider seuls, sans contrôle du juge, sans recours possible, quel président en exercice a le droit d'avoir un compte ou non sur Twitter. Cela n'aide certainement pas la démocratie", estime Aurore Bergé, la présidente déléguée du groupe LaREM à l’Assemblée nationale, dans un tweet publié ce samedi.
Le comportement de Trump ne peut servir de prétexte pour que les Gafa s’arrogent le pouvoir de contrôler le débat public
Le chef de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon
Parlant d'une "dérive très grave" pour la démocratie, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, juge pour sa part qu'il s'agit clairement d'un abus de pouvoir. "Il faut condamner très fermement ces géants du numérique qui en réalité veulent directement influer sur la démocratie en décidant qui a le droit de parler et ce que les dirigeants politiques ont le droit de dire", a-t-elle déclaré au micro de BFM. Le chef de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui a fait de l'espace numérique l'un de ses axes de campagne en vue de la présidentielle, y voit quant à lui une offensive des géants du Numérique. "Je ne suis pas d'accord pour que des grandes entreprises comme Facebook ou Twitter décident de couper des comptes comme celui de Monsieur Trump quoi qu'on pense de lui, a-t-il dénoncé sur LCI.
Je ne suis pas d'accord pour que des grandes entreprises comme #Facebook ou #Twitter décident de couper des comptes comme celui de Monsieur #Trump quoi qu'on pense de lui. #EnTouteFranchise #LCI pic.twitter.com/2Ms4YsYbsZ — Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) January 10, 2021
Une première pour un chef de l'État
Ces dernières années, le réseau social à l’oiseau bleu s’est imposé comme le nouvel amphithéâtre de la vie politique. À la fois outil de communication et de sondage de l’opinion, il est devenu un précieux allié pour les responsables politiques. Ce qui pose évidemment la question du contrôle de ces plateformes, Twitter en tête. "Avant, c’était le politique qui interdisait les moyens de communication. Aujourd’hui, ce sont les moyens de communication qui interdisent le politiques" résume la politologue Véronique Reille Soult sur le plateau de LCI. De fait, Twitter étant une entreprise privée, rien ne l’empêche d’exclure un utilisateur qui ne respecte pas le règlement établi par ses soins.
Généralement, et encore ce n’est pas systématique, le réseau social procède à la suppression des messages qui ne respectent pas les conditions générales d’utilisation - les fameuses "CGU", que chaque utilisateur doit approuver au moment de son inscription. Face aux critiques pour son inaction, le réseau social a toutefois durci le ton depuis quelques années. Et Donald Trump n'est pas le premier à en faire les frais. Déjà par le passé, un certain nombre d'agitateurs ont également vu leurs comptes être clôturés définitivement : que ce soit pour harcèlement (Martin Shkreli, en janvier 2017), insultes haineuses (Milo Yiannopoulos), racisme (Azealia Banks, en mai 2016), pour néonazisme (Tila Tequila, novembre 2016), notamment. En revanche, une telle décision visant un chef d’État, qui plus est en fonction, est totalement inédite.
Nous avons besoin d’inventer une nouvelle forme de supervision démocratique
Cédric O, secrétaire d'Etat au numérique
Se pose alors la question de savoir pourquoi l'entreprise américaine n'applique pas les mêmes règles aux autres chefs d'État, notamment ceux à la tête de régimes autoritaires ou faisant l'apologie de la haine. Le 29 octobre dernier, l’ex-Premier ministre de Malaisie, Mahathir Mohamad, avait lancé sur Twitter à ses 1,3 million d'abonnés des appels aux meurtres de Français, peu après l'attentat au couteau dans une église à Nice. Le tweet en question, rapidement signalé par les autorités françaises, avait d’abord été maintenu par Twitter pendant un certain temps, invoquant un "intérêt pour le public", tout en l'accompagnant d'un avertissement. Il avait ensuite été supprimé par la plateforme. Mais le compte de cet ancien responsable politique, lui, demeure actif encore aujourd'hui.
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Pour le secrétaire d'État au Numérique, la suspension permanente du compte Twitter du président américain Donald Trump est justifiable mais elle soulève néanmoins des interrogations. "La régulation du débat public par les principaux réseaux sociaux au regard de leurs seuls CGU (conditions générales d'utilisation), alors qu'ils sont devenus de véritables espaces publics et rassemblent des milliards de citoyens, cela semble pour le moins un peu court d'un point de vue démocratique", a déclaré Cédric O depuis son compte Twitter. "Au-delà de la haine en ligne, nous avons besoin d'inventer une nouvelle forme de supervision démocratique", a-t-il ajouté. La création d'un nouveau statut, à mi chemin entre celui d'hébergeur de contenus et d'éditeur, est à l'étude. ll permettrait de doter ces plateformes d'une plus grande responsabilité et d'obligations de transparence, de manière à mieux les contrôler et les sanctionner le cas échéant.