Venezuela : quels scénarios pour une sortie de crise ?

par Claire CAMBIER
Publié le 10 mars 2019 à 11h00, mis à jour le 12 mars 2019 à 14h14

Source : Sujet JT LCI

INCERTITUDE - Au Venezuela, le bras de fer se poursuit entre le président en titre Nicolas Maduro et son opposant, le président par interim autoproclamé Juan Guaido. La situation est devenue critique depuis que le pays est frappé par une panne d’électricité majeure. Comment le pays peut-il sortir de cette crise sans précédent ? LCI fait le point.

 Au Venezuela, la situation s'enlise. Aux difficultés qui touchent le pays - inflation, pénurie de vivres et de médicaments -, s'est ajouté une panne d'électricité majeure. Depuis ce jeudi 7 mars, le pays est plongé dans le noir, l'activité économique à l'arrêt et  les établissements de santé paralysés. En moins de 48 heures, quinze personnes souffrant de maladies rénales sont mortes faute de dialyse. La population est sous tension :  "Il n'y a pas d'eau, pas de lumière, rien à manger, on n'en peut plus", se plaint ainsi Jorge Lugo, un habitant du sud-est de Caracas, auprès de nos confrères de l'AFP.

Le gouvernement, de plus en plus isolé sur la scène internationale, dénonce des "attaques cybernétiques" des Etats-Unis visant à déstabiliser le pays. Pour l'opposition, cette panne est plutôt le fait d'une mauvaise gestion gouvernementale, dans un pays habitué aux coupures de courant bien que jamais de cette ampleur.

Quelle sera l'issue de cette crise ? Qui du président Nicolas Maduro ou de son rival Juan Guaido - adoubé par une cinquantaine de pays - va-t-il remporter la lutte pour le pouvoir ? Impossible à dire pour le moment. LCI revient sur les différents scénarios de crise, avec un point commun : c'est à l'armée que reviendra le rôle d'arbitre.

Juan Guaido et la transition pacifique ?

Nicolas Maduro ne dispose plus que de 14% d'opinions positives, selon l'institut d'enquête Datanalisis. Les conditions actuelles sont telles qu'une grande partie de la population voit en Juan Guaido une solution pacifique et démocratique. Mais y parviendra-t-il ? L'opposant a acquis une telle renommée que les autorités ne peuvent pas se permettre de l'arrêter. Ainsi, s'il a violé la semaine dernière une interdiction de sortie du territoire (une enquête est en cours pour "usurpation"), l'homme politique a pu rentrer au pays sans encombre le 4 mars dernier. 

Juan Guaido tentait de faire entrer dans le pays des tonnes d'aides humanitaires offertes principalement par les Etats-Unis et bloquées par les forces armées à la frontière colombienne. Mais M. Maduro et son armée ont tenu bon - le chef de l'Etat y voyait une tentative déguisée d'intervention militaire extérieure.

   

A la suite de cet échec, le parlementaire a aussitôt promis d'intensifier la mobilisation populaire et l'isolement diplomatique du gouvernement Maduro. "J'annonce une tournée, ma tournée et celle de tous les députés (à travers le pays) pour vous faire venir à Caracas de manière définitive", a-t-il lancé le 9 mars devant des milliers de partisans descendus dans les rues de la capitale. "Après la fin de cette tournée (...) nous annoncerons la date où tous ensemble nous marcherons sur Caracas", a-t-il ajouté. Il s'est dit prêt aussi à soutenir la grève des syndicats du secteur public et a également demandé à l'Union européenne de durcir les sanctions, comme l'ont déjà fait les Etats-Unis.

   

Cette pression accrue a pour objectif d'amener le haut commandement de l'armée à lâcher Maduro et, à terme, à faire tomber le régime, ouvrant la voie à une transition pacifique et à des élections. "Jusqu'à présent, on a observé peu de signaux positifs en ce sens, mais c'est possible", analyse Michael Shifter, président du think tank Inter-American Dialogue, basé à Washington.

   

Une transition démocratique et pacifique, un joli scénario, mais plus le temps passe et plus cette solution semble incertaine. Les sanctions américaines pour asphyxier le régime - dont l'embargo sur le pétrole - aggravent encore les difficultés de la vie quotidienne de la population. Avant de provoquer éventuellement la chute du gouvernement, elles risquent, "tôt ou tard, d'abîmer l'image de Guaido", prévient Luis Vicente Leon, analyste vénézuélien et directeur de l'institut Datanalisis.

   

Pour le politologue Luis Salamanca, M. Maduro parie en un sens sur le "désamour" de M. Guaido qui pourrait survenir.

Un accord politico-militaire

Pour l'emporter, Juan Guaido va dans tous les cas devoir convaincre l'Armée qui est pour le moment toujours loyal envers le gouvernement en place. Pour cette raison, le président autoproclamé a offert l'amnistie aux militaires qui lâcheraient M. Maduro, à l'exception des officiers accusés de crimes contre l'humanité.

Selon Juan Guaido, 700 militaires et policiers l'ont déjà rejoint ces dernières semaines et ont fait défection en passant les frontières avec le Brésil et la Colombie. Un nombre qui reste faible au vu des effectifs des forces de l'ordre (365.000 militaires et policiers dans le pays), d'autant plus qu'aucun officier de haut rang ne figure parmi ces nouveaux soutiens.

Pour convaincre, il faudrait une négociation octroyant "des garanties spécifiques" aux officiers impliqués dans la corruption et les violations des droits de l'homme, et qui bénéficient d'intérêts économiques élevés. Dans ces conditions, "la transition prendra plus de temps mais cela accroît la probabilité qu'elle soit non-violente", estime Michael Shifter.

Pour les militaires qui redoutent d'être mis de côté par un nouveau régime ou d'échouer en lançant une rébellion contre M. Maduro, une rupture "suppose une difficile amnistie, négociée avec soin au cas par cas", avance également l'analyste Luis Vicente Leon. La situation pourrait alors conduire à "un régime dans lequel les militaires conserveraient leur part de pouvoir, afin de garantir leur propre protection".

Un groupe de pays latino-américains essaye de promouvoir une négociation entre le gouvernement et l'opposition, mais sans succès jusqu'à présent.

La prise en main par les militaires

Dernier scénario : ce sont les militaires seuls - vénézuéliens ou étrangers - qui gèrent la transition. Si l'Armée vénézuélienne lâche M. Maduro, on peut espérer qu'elle organise dans la foulée de nouvelles élections une fois la situation rétablie. Un coup d'Etat à l'ancienne reste également toujours possible.

L'intervention militaire pourrait tout aussi venir de l'extérieur. Ce samedi, Juan Guaido a répété qu'il était prêt à autoriser une telle action, se référant à la Constitution - "L'article 187, lorsque viendra le moment", qui autorise "des missions militaires vénézuéliennes à l'extérieur ou étrangères dans le pays". "Toutes les options sont sur la table et nous le disons de manière responsable", a ajouté l'opposant.

Pour autant, le Groupe de Lima (13 pays d'Amérique latine et des Caraïbes et le Canada, qui ont reconnu M. Guaido comme président par interim) a pour le moment rejeté tout recours à la force. "Le scénario d'une intervention militaire conduite par les Etats-Unis paraît chaque jour moins probable mais ne peut pas être écarté en fonction de l'évolution de la situation", estime d'ailleurs le président du think tank Inter-American Dialogue.

C'est aussi ce qu'analyse Diego Moya-Ocampos, de l'Institut IHS Markit à Londres. Un tel scénario "reste sur la table vu l'ampleur et la durée de la crise humanitaire et le risque que Maduro s'en prenne à Guaido ou au Parlement", seule institution contrôlée par l'opposition. 


Claire CAMBIER

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