Français sommés d'évacuer ce samedi l’Afghanistan : le choix cornélien des ONG

par Maëlane LOAËC
Publié le 16 juillet 2021 à 19h55

Source : JT 20h Semaine

RAPATRIEMENT - Alors que le pays retombe aux mains des talibans, la France a sommé mardi ses derniers ressortissants présents d’évacuer, avec un unique avion qui partira samedi. Un départ qui ne s'impose pas dans l'immédiat selon certaines ONG et spécialistes, inquiets néanmoins quant à la situation sécuritaire du pays.

En à peine deux mois, leur offensive éclair a fait basculer le pays : partis du Nord de l’Afghanistan, les talibans affirment contrôler désormais 85% du territoire à l'exception de la province de Kaboul, la capitale. Le retrait accéléré des troupes étrangères, prévu pour la fin août, leur laisse progressivement le champ libre après 20 ans de présence sur place. 

Privée du soutien de la coalition, menée par les États-Unis sous l’égide de l’Otan, les forces afghanes peinent à endiguer l’assaut des combattants islamistes qui encerclent les grandes villes et appellent les habitants à se rendre. Dans le reportage en en-tête, on aperçoit des soldats afghans qui peinent à repousser les insurgés avec des lance-roquettes, peu efficaces. 

Face à ce danger qui menace la capitale, où la plupart des Français sur place résident, l'ambassadeur de France en Afghanistan David Martinon a lancé un appel un appel solennel le mardi 13 juillet : les ressortissants encore présents sur le territoire sont encouragés à se rapatrier, "en raison de l'évolution de la situation dans le pays et compte tenu des évolutions prévisibles à court terme".

Un vol spécial partira de Kaboul samedi 17 juillet, affrété par le gouvernement pour rapatrier les expatriés - "moins d'une centaine" selon les autorités. La dernière opportunité de quitter le territoire ? "Aucun vol spécial supplémentaire ne pourra être affrété", précise en tout cas l’ambassade. Pour ceux qui refuseront de partir, leur sécurité ne sera plus assurée par les autorités, a-t-elle prévenu. 

Les personnels afghans travaillant pour des services français peuvent également être acheminés vers la France, dans le cadre du droit d’asile : ces dernières semaines, ceux de l'Institut français et de la délégation archéologique française d'Afghanistan, ainsi que ceux de l'ONG française Amitié franco-afghane (Afrane) ont pu quitter le territoire, selon l’ambassadeur de France. 

"L’aide humanitaire reste très nécessaire, les voyants sont au rouge"
Sarah Chateau, responsable des opérations en Afghanistan pour Médecins sans Frontières

Certaines ONG, de leur côté, trouvent la décision quelque peu précipitée. "Tous ceux qui sont venus ici, surtout les ONG, c’est pour aider l’Afghanistan et surtout les civils, décrit dans le reportage Élise Bouchard, correspondante de l’AFP sur place. Devoir partir au moment où ils ont le plus besoin d’aide, c’est une décision très difficile."

"Pour le moment, je pense qu’une évacuation n’est pas nécessaire", confie Sarah Chateau, responsable des opérations en Afghanistan pour Médecins sans Frontières. L’association compte très peu de Français sur place et a réduit ses effectifs sur place, passant de 70 personnes il y a deux mois à 40 environ désormais. Mais elle n’a pas prévu de rapatrier ses équipes, même si elle dispose d’un avion autonome. En cause : la situation humanitaire déplorable dans le pays, qui subit à la fois le fléau des blessures de guerre, de la malnutrition mais aussi de l’épidémie de coronavirus. Depuis le début de l’épidémie, le pays, qui manque de tests et de vaccins, a enregistré 139.102 cas de contamination et 6 049 décès d’après Reuters. 

"L’aide humanitaire reste très nécessaire, les voyants sont au rouge, résume Sarah Chateau. C'est bien que l’ambassade soit transparente et reconnaisse qu’elle n’est plus en capacité de garantir la sécurité de ses ressortissants, mais leur discours semble un peu catastrophiste." Georges Lefeuvre, chercheur associé à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris) et consultant spécialiste de l’Afghanistan, partage ces réserves. "Il n’y a pas de danger immédiat car les talibans ne seront pas à Kaboul demain, la ville ne tombera sûrement pas si facilement", estime-t-il. 

Le virage diplomatique des talibans : de la fermeture à la négociation

De plus, les combattants islamistes n’ont pas intérêt à menacer la sécurité des expatriés, selon le spécialiste : "La diplomatie des talibans a beaucoup évolué : à la fin des années 1990, ils n’avaient quasi aucun lien avec des puissances extérieures, alors qu’aujourd’hui, ils veulent à tout prix être reconnus comme un État légitime. Ils affirment  qu’ils ne toucheront pas à la sécurité du personnel diplomatique et humanitaire." Seuls les salariés d’entreprises privées dans la sécurité peuvent être menacés, car considérés comme des combattants. 

Pour la diplomatie française, il n’est d'ailleurs pas encore question de rompre les relations diplomatiques avec le pays. David Martinon a rejeté implicitement une fermeture dans l'immédiat de l’ambassade : "Nous poursuivons notre tâche, en maintenant, aujourd’hui plus que jamais, notre soutien à la République islamique d’Afghanistan", a-t-il déclaré dans son discours mardi 13 juillet.

Sarah Chateau, de son côté, affirme également que les talibans n’ont pas d’intérêt à s’en prendre aux expatriés étrangers. Dans un communiqué transmis à Médecins Sans Frontières mercredi 14 juillet, les talibans assuraient que les personnels de santé seraient protégés, selon la responsable. "Ils connaissent leurs limites locales : par exemple, il y a un manque très important en médecins intensivistes (intervenant lorsque le patient est en condition critique), dont l’expertise est indispensable face au coronavirus et qui viennent donc de l’étranger". Pour autant, "reste à savoir jusqu’à quand ces garanties tiendront", nuance la chargée de mission. 

L'ombre de Daech

"Il faut éviter les discours péremptoires, et je peux comprendre le principe de précaution de l’ambassade", admet également Georges Lefeuvre, dans un pays où "la situation évolue au jour le jour" aux yeux de Sarah Chateau. Selon le chercheur de l'Iris, le danger viendrait d’ailleurs davantage de la progression de Daech que de la menace des talibans. Depuis quelques années, la branche de l’organisation installée en Afghanistan et dans le nord du Pakistan a progressé sur le territoire et compte désormais, selon le spécialiste, 3000 à 4000 combattants.  

Les autorités françaises ne sont en tout cas pas les premières à conseiller aux expatriés de quitter le territoire. Le 1er juillet, les ressortissants allemands ont été "priés de quitter l'Afghanistan", tandis que la Chine a récemment "conseillé aux citoyens chinois" de faire de même et a rapatrié 210 d'entre eux, selon l’AFP. 


Maëlane LOAËC

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