Vladimir Fedorovski, le biographe : "Poutine a un côté illuminé"

Publié le 12 mai 2014 à 16h37
Vladimir Fedorovski, le biographe : "Poutine a un côté illuminé"

INTERVIEW - Vladimir Fedorovski vient de publier une biographie de Vladimir Poutine, l'itinéraire secret, aux éditions du Rocher*. Ecrivain d'origine russe le plus édité en France, l'ancien diplomate, promoteur de la perestroïka, nous éclaire à travers le portrait de cet homme énigmatique sur ses véritables ambitions et sa stratégie dans la crise ukrainienne.

En publiant une biographie de Poutine, vous dites vouloir rétablir la vérité... C'est-à-dire ?
Aujourd’hui, on entend beaucoup de mensonges à son sujet. Y compris dans les chancelleries occidentales, qui le connaissent visiblement très mal. Quand Hilarry Clinton le compare à Hitler, c'est scandaleux et dangereux. Cela risque de fausser l'analyse géopolitique de la situation. Or la situation est trop grave, et je veux rétablir la vérité. Vladimir Poutine est un personnage beaucoup plus complexe, qui porte des masques et s'adapte en permanence à son interlocuteur. Une méthode qu'il a héritée de son passé d'espion au KGB.

Qui est-il vraiment ?
Il faut remonter à sa jeunesse pour comprendre qui est vraiment Vladimir Poutine. Il le dit lui-même, il était une sorte de racaille, vivant dans un quartier très défavorisé de Saint-Pétersbourg. Un contexte de misère, dans la période très difficile de l'après-guerre, qui l'a marqué et a fait naître en lui cette rage de vivre mais aussi un vrai patriotisme. Il est resté persuadé que la Russie est un pays martyr. L'autre traumatisme, ce sera plus tard la période post-communiste qui l'a fait beaucoup souffrir et regretter le grand empire soviétique. Ces fantasmes et ces frustrations sont ceux du peuple russe. Et il les manipule parfaitement dans sa politique. Le retour de la Crimée dans le giron russe en est une parfaite illustration : c'est le retour de l'Histoire.

Vous dites dans votre livre qu'il réhabilite à la fois le système tsariste et soviétique...
Poutine est très sensible à l’opinion publique. Il sait que les Russes sont nostalgiques de la grandeur des tsars, et c'est une clé dans sa façon d'agir. Son modèle est Alexandre III, qui se reposait sur trois aspects fondamentaux pour gouverner : le nationalisme, l'orthodoxie et l'esprit du peuple. Poutine reproduit cela texto aujourd'hui : le nationalisme, on l'a vu ce weekend avec les défilés militaires jusqu'en Crimée. Ensuite, l'alliance avec l'église orthodoxe est primordiale sur les sujets de société (comme la loi sur l'homosexualité, ndlr). Enfin, il tâche de toujours s'adresser à la Russie profonde. C'est elle qu'il veut séduire.

Dans cette idéologie basée sur les valeurs de l'Eglise, il y a sa position vis-à-vis de l'islam...
Les gens ignorent souvent cet aspect fondamental de sa politique : Poutine a construit tout un système idéologique en présentant la Russie comme un bouclier contre l'idée de l'islamisme modéré, que soutient l'Europe. Il pense que l'Europe s'est dégonflée, qu'elle a trahi ses racines chrétiennes qu'elle partageait avec la Russie pour céder le terrain aux musulmans. Pour lui, la Russie doit être un rempart.

Que reproche-t-il d'autre à l'Europe ?
Pour Poutine, l'effondrement de l'empire soviétique est une tragédie et il ne supporte pas de voir l'Europe élargir ses frontières vers la Russie et ses anciens pays satellites. Ensuite, il considère que les dirigeants européens ont abandonné la réflexion stratégique et ne sont guidés que par des considérations électoralistes et clientélistes, alors que la Russie elle, serait guidée par ses valeurs.

De quelle grande Russie rêve Vladimir Poutine ?
Un pays moderne respecté dans le monde. Il veut rétablir le rôle de la Russie sur le plan international. Il y a l'aspect néo-impérial, certes, mais c'est faux de dire qu'il veut rétablir l'URSS pour autant. Car contrairement aux idées reçues, Poutine ne veut pas changer les frontières de la Russie. C'est son influence qu'il veut rétablir. Dans son idéal, elle serait sur un pied d’égalité avec l'Europe, les Etats-Unis et la Chine.

En pleine crise ukrainienne, Poutine est invité en Normandie le 6 juin prochain. Est-ce une bonne idée ?
C'est une très bonne chose ! Il faut à tout prix parvenir à une désescalade dans la crise et faire baisser la tension en Ukraine. Je souhaite vraiment que l'on parvienne vite à un compromis, car elle est au bord de la guerre civile.

Mais est-il capable de compromis, le veut-il ?
Je le pense, oui. Les sanctions occidentales peuvent avoir un réel impact sur l'économie russe. Et puis, ce qu'il cherche, c'est avant tout assurer l’intérêt national de la Russie en Ukraine. Il ne cherche pas à dominer le pays.

Il ne souhaite donc pas la partition de l'Ukraine ?
Non, car une partition signifierait que la Russie devrait entretenir l'Ukraine orientale, et c'est contreproductif. Sans compter la question des réfugiés : Poutine ne veut pas d'une vague d'immigration vers son pays. Il est donc plutôt favorable à une fédéralisation du pays. C'est aussi ce pourquoi il a tenté de reporter le referendum des séparatistes dimanche.

Il est n'est pas non plus tenté par l'option militaire ?
Un affrontement armé serait mortel pour la Russie, Poutine le sait et veut aussi l'éviter. Cela marquerait une rupture historique entre la Russie et l'Occident. Rationnellement, ce n'est pas son intérêt. Après, un dérapage est toujours possible.

Quel événement pourrait, comme vous le dites, déclencher un dérapage ?
Quarante pro-russes sont morts brûlés vifs a Odessa le 2 mai. Imaginez que la prochaine fois, il y en ait une centaine, voire plus. L'opinion publique est tellement remontée en Russie du côté des nationalistes que Vladimir Poutine serait obligé d'intervenir.

Cela signifie-t-il que Vladimir Poutine est poussé par l'opinion ?
C'est un paradoxe : Vladimir Poutine a attisé la flamme nationaliste dans son pays, qui exige aujourd’hui beaucoup de lui. Il fait presque figure de modéré en Russie, où l'opinion est assez radicale. Regardez l'exemple de la Crimée : après la promulgation de l’indépendance de la région, il n'a jamais été aussi populaire. Aujourd'hui, cet esprit nationaliste très fort ne lui donne finalement pas beaucoup de marge de manoeuvre.

Est-il dangereux ?
Comme je l'ai dit, Poutine n'est pas Hitler. Mais il y a bien un aspect "dangereux" chez lui, c'est son côté passionnel, illuminé. Il veut à tout prix rester au pouvoir, car il est persuadé d'être l'homme providentiel pour la Russie. Ça c'est un vrai danger, car il est difficile d'agir rationnellement avec une personne dont le système repose sur une part d'irrationnel.

Vous parliez des fausses rumeurs sur Vladimir Poutine. Qu'en est-il de sa fortune, que certains estiment à 40 milliards de dollars ?
J'ai fait une enquête, j'ai cherché. J'étais un de ses premiers opposants, croyez-moi, j'aurais aimé prouver que c'est vrai ! Mais il n'existe aucune preuve. Ce qui est certain, c'est qu'il a construit un système qui a considérablement enrichi ses proches. Mais lui, c'est un homme de pouvoir. Il dirige un système oligarchique corrompu, qui s'enrichit de manière éhontée. A travers ce système, il contrôle donc toutes les richesses de la Russie. Mais lui n'est pas si riche. Ces milliards de dollars, je n'y crois pas. Sa véritable richesse, c'est le pouvoir.

Vladimir Fedorovski, Poutine, l'itinéraire secret, Ed. du Rocher, 226 pages, 19,90€.


La rédaction de TF1info

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