Une femme atteinte du Covid-19 meurt malgré plusieurs appels au Samu : sa famille porte plainte

Publié le 30 mars 2021 à 11h11
Un médecin régulateur du Samu.
Un médecin régulateur du Samu. - Source : AFP

JUSTICE – Patricia Urcel, 53 ans, est décédée dans la nuit du 7 au 8 septembre 2020, après avoir été testée positive au Covid-19. Malgré plusieurs appels de ses proches aux secours, ces derniers ne sont pas intervenus.

Patricia Urcel a-t-elle été d'office "triée" dans la catégorie "non-prioritaire" des services de secours ? Y a-t-il eu des erreurs de commises du côté du Samu ? Le médecin interlocuteur a-t-il considéré à leur juste hauteur les signaux de détresse envoyés par la victime et ses proches au téléphone ? La famille de cette femme de 53 ans, domiciliée à Clichy (Hauts-de-Seine) et décédée dans la nuit du 7 au 8 septembre 2020 après avoir contracté le Covid-19 est convaincue que les professionnels de santé n'ont pas fait correctement leur travail ce jour-là.

C'est pour cette raison que les deux frères de la victime et son fils ont déposé plainte contre X ce lundi au tribunal de Nanterre pour "homicide involontaire", "entrave aux soins" et "non-assistance à personne en péril", "violences ayant entrainé la mort sans intention de la donner" et "délaissement". Pourquoi cette démarche, sept mois après le drame ? "Les membres de cette famille sont très endeuillés. Pour eux, cela a pris du temps de faire ce cheminement, de réaliser que quelque chose d'anormal s'était passé et qu'ils devaient ce combat à madame Urcel", explique l'avocate de la famille Me Anaïs Mehiri. "Il a fallu du temps aussi pour récupérer tous les documents : le dossier médical de la patiente, d'abord, qui n'est pas très conséquent, car elle est restée très peu de temps à l'hôpital Bichat, et les retranscriptions des échanges avec le Samu, essentiels dans cette triste affaire". 

Que s'est-il passé entre le 6 et le 8 septembre 2020?

La succession d'événements survenus entre le dimanche 6 et mardi 8 septembre 2020 dans le cas de Patricia Urcel est édifiante. Le 6 septembre à 22h18,  la quinquagénaire appelle une première fois le 15 et indique, d'après la retranscription de l'appel reproduit par nos confrères de France Inter et confirmée par l'avocate de la famille à LCI avoir "l'impression que c'est compressé". Elle ajoute également avoir de la "fièvre" et un "mal de gorge". Pour l'interlocuteur, rien d'inquiétant à ce moment précis. "Il n'y a pas besoin d'oxygène pour ce soir, vous n'irez pas en soins intensifs et vous ne serez pas intubée. Là, il n'y a aucune détresse, on ne va surtout pas aux urgences", dit-il à la patiente au bout du fil. 

Le lundi 7 septembre, Emmanuel Urcel, frère de Patricia Urcel, s'inquiète de l'état de sa sœur qui ne fait qu'empirer. Muni d'un oxymètre, il se rend chez elle et rapporte que "l'appareil affichait 22% d'oxygène dans le sang alors que la norme doit être entre 98-100". Il fait état aussi d'une personne très affaiblie face à lui. Il rappelle alors le Samu dans la matinée, le 7 septembre, un peu avant midi. Mais lors de cet échange, le médecin doute de la fiabilité de l'appareil. "À 22%, il m'a dit qu'elle serait morte et que c'est donc l'appareil qui avait un problème", raconte Emmanuel à France Inter. Ce dernier décide donc de tester l'appareil sur lui et son neveu et lui-même : l'appareil affiche alors  99% de taux d'oxygène dans le sang. Pas de souci sur l'outil donc. 

Le médecin reprend ensuite Patricia Urcel au téléphone, mais ne relève toujours aucun signe inquiétant chez la patiente et n'envoie personne sur place. Il échange ensuite avec Emanuel Urcel et lui précise qu'"être un peu gênée pour respirer, c'est normal". Le témoin au téléphone lui explique que c'est beaucoup plus que de la gêne, que sa sœur " n'arrive pas à finir ces phrases" notamment. Rien n'y fait : le professionnel de santé considère que "ça va bien". 

"On va attendre qu'elle n'arrive plus à parler du tout ? C'est ce que vous êtes en train de me faire comprendre ?" s'agace alors Emmanuel Urcel. Le médecin assure qu'en cas d'aggravation, quelqu'un sera envoyé sur place. Pourtant, l'état de santé de Patricia Urcel s'aggrave depuis sept jours déjà...

Il n'y a eu aucune diligence pour porter secours à cette femme
Me Anaïs Mehiri

À 20h39, le lundi 7 septembre au soir, le fils de Patricia passe un dernier appel au SAMU et indique que sa maman n'arrive "plus à respirer". En arrêt cardio-respiratoire, la victime sera finalement prise en charge par une équipe du Samu puis admise à l'hôpital Bichat dans le 10e arrondissement où son décès sera constaté quelques heures plus tard. 

Pour Me Anaïs Mehiri, "les failles sont nombreuses dans ce dossier". "Il n'y a eu aucune diligence pour porter secours à cette femme positive au Covid et qui n'était pas âgée. Pourtant, en moins de 24 heures, il y a eu trois appels au Samu présentant les symptômes dont elle souffrait et arguant que les souffrances qu'elle subissait augmentaient au fur et à mesure des heures. Le taux d'oxygène a baissé de manière brutale. Et là, non seulement le médecin n'est pas intervenu pas, mais en plus, il a enjoint la famille de ne surtout pas se rendre aux urgences ! Cette patiente a appelé à l'aide plusieurs fois, personne n'est venu et en plus, on lui a demandé quelque part de ne pas déranger le service hospitalier. Elle n'avait pratiquement aucune possibilité de s'en sortir dans un tel contexte".

Une dizaine de cas similaires chez l'avocate

Contactée par France Inter, l'AP-HP rappelle que "les médecins régulateurs ont pris le temps nécessaire d’échanger avec la patiente et/ou ses proches" et que, "lors du deuxième appel", le médecin a "éliminé une détresse vitale immédiate et n’a pas jugé nécessaire d’envoyer des moyens au domicile de la patiente".

Me Mehiri précise qu'"il ne s'agit pas pour la famille de critiquer le diagnostic médical, ce, pour la simple et bonne raison qu'il n'a pas été fait". "L’absence de cet examen dans un délai bref, et l’admission tardive de madame Patricia Urcel dans un établissement de soins ont aggravé son état de santé et ont conduit à son décès", estime-t-elle.

Aujourd'hui, l"avocate indique travailler sur une dizaine de cas similaires à celui de Patricia Urcel. "Ces dossiers sont en cours d'analyse. Nous attendons les retranscriptions Samu et les dossiers médicaux notamment. Il ne s'agit pas de déposer des plaintes sans fondement et sans justificatif. Mais via l'association Coronavictimes, nous avons d'ores et déjà un certain nombre de cas similaires, où des patients ont perdu la vie peut-être faute de soins", conclut-elle.


Aurélie SARROT

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