INFO LCI - Antiterrorisme : l’imbroglio administratif d’un policier ayant localisé le coordinateur des attentats de Paris en 2015

par William MOLINIE
Publié le 25 janvier 2021 à 14h19, mis à jour le 25 janvier 2021 à 14h34
INFO LCI - Antiterrorisme : l’imbroglio administratif d’un policier ayant localisé le coordinateur des attentats de Paris en 2015

POLICE – Malgré la levée de son contrôle judiciaire dans une affaire de "trafic d’influence passif", un policier de l’antiterrorisme, ayant identifié et localisé le "cerveau" des attentats de Paris en 2015, a toutes les peines du monde à convaincre l’administration de sa loyauté pour retrouver son poste et son salaire.

C’est un des policiers français à qui l’on doit, entre autres, la chute d’Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur des attentats de Paris et de Saint-Denis en novembre 2015. Un fait d’armes salué par ses collègues. Sans ce policier de la sous-direction antiterroriste (SDAT), celui qui était surnommé "le boucher de Raqqa" n’aurait pas été aussi rapidement identifié, localisé et donc neutralisé. Très bien noté par sa hiérarchie, complimenté personnellement pour son "investissement exceptionnel", il est félicité à de nombreuses reprises par différents directeurs de la police judiciaire et médaillé d’argent pour acte de courage et de dévouement.

Mais après les attentats de 2015, ce tableau de chasse s’assombrit. Au lendemain du 13 novembre, marqué comme tous ceux qui étaient en première ligne pendant ces événements tragiques, ce policier a repris le chemin du travail sans sourciller. Un an plus tard, il est renvoyé devant un conseil de discipline pour deux affaires qui concernaient son ancienne affectation, lorsqu’il était en poste à la police judiciaire de Seine-Saint-Denis. 

Deux blâmes – le premier niveau des sanctions – sont réclamés par l’administration. Mais finalement, aucune sanction n’est prononcée à son encontre : les membres du conseil de discipline n’étaient pas d’accord entre eux. 

Mis en examen pour "trafic d’influence passif"

Un an plus tard, l’IGPN ouvre une enquête sur une affaire remontant à 2014 et verse à la justice un rapport de synthèse. La "police des polices" le soupçonne d’avoir proposé des services, moyennant finance, à plusieurs individus impliqués dans la gestion d’une boucherie des Yvelines. Le commerce aurait servi à blanchir l’argent de trafiquants de stupéfiants. 

Il conteste les faits. Ce qui ne convainc toutefois pas la juge d’instruction de Bobigny qui le met en examen en avril 2018 pour "trafic d’influence passif" et le place sous contrôle judiciaire, lui ordonnant de "ne pas se livrer […] à la profession de fonctionnaire de police". Un coup dur pour cet agent qui vient tout juste d’être blessé – 60 jours d’ITT – au cours d’une opération antiterroriste. Cinq jours après sa mise en examen, le policier est suspendu. Son salaire n’est plus versé. 

Endettement

Père de famille, endetté à hauteur de 80.000 euros, sa situation personnelle et privée se détériore. Il lui arrive depuis de dormir dans sa voiture. Parfois sous des ponts. Toujours officiellement policier, il n’a pas le droit de cumuler un autre travail. Et vit avec moins de 700€ par mois, grâce à la moitié de traitement que l’administration lui verse. 

 

Le 9 septembre dernier, il entrevoit enfin le bout du tunnel : la juge d’instruction lève son contrôle judiciaire. Elle estime que ce contrôle judiciaire "ne s’impose plus au vu des dernières avancées du dossier […] et notamment de la confrontation", écrit-elle dans son ordonnance. Selon nos informations, elle a, depuis la remise du rapport de l’IGPN, entendu d’autres témoins et acteurs du dossier qui dédouaneraient le policier. 

 

"On pensait qu’il pourrait alors être réintégré dans son service puisqu’en levant le contrôle judiciaire, la juge d’instruction dit clairement qu’il peut à nouveau être policier", réagit l’avocat du fonctionnaire, Pascal Markowicz, qui a écrit en ce sens en octobre dernier à Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale (DGPN), ainsi qu’au Préfet de police, Didier Lallement. Aucune réponse.

 

Le policier reste mis en examen dans cette affaire. Et tant qu’il le restera, rien ne forcera l’administration à le réintégrer. La juge d’instruction doit désormais statuer sur les suites judiciaires accordées au policier : renvoi devant un tribunal ou non-lieu. C’est cette dernière option qui lui permettrait d’être réintégré. Mais la procédure traîne en longueur, dénonce Me Markowicz : "Le parquet vient de se déclarer incompétent territorialement dans cette affaire, alors même qu’il disait l’être au début des poursuites."

Jalousies en interne ?

"Ce policier a été en première ligne pendant les attentats. Il a été félicité. Sans lui, on en serait encore à courir après la nébuleuse des terroristes. Il a ensuite permis d’éviter d’autres attentats. Et c’est comme cela qu’on le remercie ? Que la justice fasse son travail sur l’enquête en cours. Mais en attendant, l’administration ne peut pas le laisser dans cette situation", s’agace l'avocat. 

Il voit dans cette affaire "un règlement de comptes au sein de la police" et de la "jalousie" à l’encontre de son client. Un connaisseur du dossier pointe de son côté vers le chef de la SDAT de l’époque, aujourd’hui affecté à la direction centrale de la police judiciaire. "Il bloque sa réintégration car il en fait une affaire personnelle", croit savoir cette source. Sollicitée par LCI, la direction générale de la police nationale n’était pas en mesure de répondre à nos questions.

 

Selon nos informations, des syndicalistes ont été reçus par la hiérarchie à son sujet, sans que le dossier n’avance réellement. "La prochaine étape, c’est la saisine du tribunal administratif. Mais le recours est long et j’ai bien peur que mon client ne puisse plus supporter longtemps, autant financièrement que psychologiquement, cette situation", poursuit l’avocat. Fait rare, en juin 2019, une vingtaine de policiers, dont des capitaines, ont fourni en guise de soutien à l’administration leur nom avec l’intention de venir témoigner de la loyauté et de la confiance qu’ils accordaient à leur collègue.


William MOLINIE

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