Procès du 13-Novembre : "Guillaume Valette est la 131e victime du Bataclan, pour nous ce chiffre est important"

Publié le 26 octobre 2021 à 22h31
Procès du 13-Novembre : "Guillaume Valette est la 131e victime du Bataclan, pour nous ce chiffre est important"
Source : Benoit Peyrucq/ AFP

JUSTICE – Les auditions des proches des personnes décédées durant ou après l'attaque du Bataclan se poursuivent. Parmi elles, ce mardi, celle de la famille de Guillaume Valette, "131e victime des attentats", qui s'est donné la mort deux ans après les attentats.

Il avait 31 ans et comme de nombreuses victimes, il aimait la musique et les Eagles of Death Metal. Guillaume Valette n'a pas été atteint par les balles de Kalachnikov le vendredi 13 novembre 2015 au Bataclan. Le trentenaire est mort deux ans plus tard.

"Guillaume détestait la violence, mais elle l'a rattrapé le soir du 13 novembre. Il n’a pas reçu de balle dans le corps, mais il a reçu des balles psychiques invisibles qui l’ont doucement, mais sûrement tué. Notre fils qui aimait tant la vie a été envahi et débordé par ce stress post-traumatique, au point de mettre fin à ses jours le 19 novembre 2017", dit en préambule son père, Alain, à la cour. 

Assis devant la barre, ses béquilles à ses côtés, Alain est revenu sur la soirée de son fils au Bataclan, puis sur les deux années terribles qui ont suivi.

À propos 13 novembre 2015, Guillaume avait raconté s'être couché au sol dans la fosse où il était, dès le début de l'attaque. "Son corps a été pris d’une crise de tremblement, il ne s’arrêtait pas. Une fille à côté de lui, lui a pris la main et lui a dit : 'Calme-toi, ça va aller.' Si cette jeune fille écoute ici ou via la webradio, je tiens à la remercier". Puis alors que les terroristes rechargent leurs armes, une voix crie dans la salle : 'Maintenant, il faut y aller'. Guillaume et d'autres en profitent pour s'enfuir. Mais Guillaume tombe "dans un amas de  corps". "Il essayait de cacher sa tête au milieu des corps pour se protéger", détaille son père, qui s'appuie sur la déposition de son fils à la police pour revenir sur les faits.  

Le jeune homme se réfugie ensuite avec d'autres dans une pièce bloquée par une planche à repasser. De là, il envoie un message à ses parents : "Je n'ai rien, je suis en sécurité". Alain, qui regarde Arte ce vendredi 13 novembre, ne sait rien alors de ce qu'il se passe à Saint-Denis et à Paris. Guillaume, lui, restera deux heures dans cette pièce, avant de pouvoir la quitter. "Pendant deux heures, Guillaume n'a rien vu, mais a tout entendu. Ce qui l'a marqué pendant longtemps, ce sont les cris des blessés, plus que les balles et les menaces des terroristes", se souvient Alain. Il poursuit : "Malgré les consignes de la police, en sortant, Guillaume a regardé la fosse et a découvert l'horreur. Il a marché dans le sang". La famille de Guillaume l'a récupéré après sa déposition, à 3h30 du matin, couvert de sang. "Nous l'avons serré dans nos bras, il était glacé et exténué".

"Le stress post-traumatique s’est transformé en délire hypocondriaque et dépression majeure"

Après ce drame, les parents de Guillaume le savaient,"il y aurait un avant et un après Bataclan. "Le lendemain de l'attentat, il nous l'a dit : 'Ma vie ne sera jamais plus la même'", se remémore Alain. 

Le père de famille décrit ensuite "deux périodes" dans la vie de son fils. Une première du 14 novembre 2015 jusqu'au mois de juillet 2017, où Guillaume souffre d'un syndrome de stress post-traumatique. Puis une seconde période à partir de juillet 2017 "où le stress post-traumatique s’est transformé en délire hypocondriaque et dépression majeure"

Concernant la première période, Alain explique que son fils a été arrêté 15 jours, puis est retourné travailler sur ses "microscopes électroniques". Mais Guillaume ne parvient à se concentrer. Il passe en mi-temps thérapeutique. Dans le même temps, il arrête tout loisir : plus de cinéma, plus de concert. Il disait : "maintenant ma vie se résume à métro boulot dodo".  "Le moindre fait divers l’affectait, les attentats encore plus, il se réfugiait dans les documentaires animaliers à la télé", explique Alain.

Et si Guillaume a "tout raconté" juste après les attentats, il choisit ensuite de plus en parler. "Il ne se plaignait jamais, il voulait être fort". Pourtant, au premier anniversaire des attaques, Guillaume se met à pleurer et déclare : "Je n'oublierai jamais le bruit des mitraillettes". "C'était la première fois qu'il nous reparlait de ces attentats. Ça a duré 30 secondes, et il s'est refermé", poursuit Alain. 

Il va voir tous les spécialistes

Comme beaucoup, Guillaume vit avec cette culpabilité du survivant. En juillet 2017, le stress post-traumatique laisse la place au délire hypocondriaque puis  à la dépression. "Le 8 juillet 2017, il se réveille dans la nuit en hurlant. Quelques jours plus tard, il est pris d'une crise d'angoisse dans son laboratoire et monte se réfugier à la DRH pour que son frère vienne le chercher. C'est à partir de cette période qu'il a commencé à être persuadé d'être atteint d'une maladie grave".

Guillaume va voir tous les spécialistes, fait des radios, IRM… mais "tout est normal". "Son cas s'aggrave le 14 août. Après une crise d'angoisse, ses jambes ne le portent plus. Le lendemain, il fait péniblement quelques pas, continue Alain.  Le 24 août, nous l'avons emmené à Saint-Anne. Jusqu'à sa mort, il ne sortira plus du parcours hospitalier". Guillaume pense avoir un cancer et dit qu'on ne le soigne pas.

"Vous n’imaginez pas le sentiment d’impuissance, murmure Alain. Nous savions qu’il n’était pas atteint d’un cancer, à chaque fois qu’on essayait de le persuader, on se heurtait à un mur. Guillaume refusait de penser que son problème pouvait être d'ordre psychiatrique". Le jeune homme passe une IRM thoracique, une endoscopie pour son estomac et son cancer... "C'était sans fin". 

Ses parents décident alors de le changer d'hôpital, à Saint-Mandé, et alertent les médecins sur leurs craintes que leur fils ne se suicide. Malgré  le changement d'établissement, l'état de Guillaume ne s'améliore pas. Il ne sort pas de sa chambre. 

Le 13 novembre 2017, triste anniversaire des attentats, aucun médecin n'est venu. "Le 19 novembre 2017, la clinique nous a appelés, Guillaume s'est pendu dans sa chambre", poursuit le papa très ému. Guillaume a également a laissé une lettre dans laquelle il écrit : "Je suis atteint d'un cancer de l'œsophage à cause d'une œsophagite non soignée". "Les psychiatres ont compris trop tard. Nous avons entendu de la bouche des médecins : 'J'ai été berné', 'Je n'ai rien vu venir'", déplore le papa de Guillaume  qui estime que "toutes ces blessures invisibles (des rescapés) devraient être mieux comprises et mieux appréhendées."

 "Guillaume s'est suicidé non pas parce qu'il était faible, mais parce qu'il avait été blessé sur le plan psychiatrique. Guillaume ne voulait pas arrêter de vivre, il voulait arrêter de souffrir", assure Christophe, l'un des trois fils d'Alain, qui succède à son père à la barre. "Guillaume Valette est la 131e victime du Bataclan. Pour nous ce chiffre est important".

 Dans une lettre lue par Frédéric, l'autre frère de Guillaume, leur maman écrit : "Le terrorisme ne l'a pas tué le 13 novembre 2015, le terrorisme l'a tué à petit feu". Elle y ajoute : "Je sais que je ne me remettrai jamais de la mort de Guillaume et que malgré mes convictions catholiques, je ne pardonnerai jamais".


Aurélie SARROT

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