"Notre monde s’est effondré" : ils attaquent la France après l'adoption illégale de leur fille au Sri Lanka

par Charlotte ANGLADE
Publié le 2 juillet 2021 à 17h57, mis à jour le 3 juillet 2021 à 15h13
Véronique et Jean-Noël Piaser ont découvert que l'adoption de leur fille en 1985 au Sri-Lanka s'était faite de manière illégale, à leur insu. Ils ont porté plainte contre l'État français.
Véronique et Jean-Noël Piaser ont découvert que l'adoption de leur fille en 1985 au Sri-Lanka s'était faite de manière illégale, à leur insu. Ils ont porté plainte contre l'État français. - Source : DR

RECOURS - Après avoir découvert que l'adoption en 1985 de leur fille au Sri Lanka s'était faite de manière illégale, à leur insu, Véronique et Jean-Noël Piaser ont décidé de porter plainte contre l'État français. Ils témoignent auprès de LCI.

Véronique et Jean-Noël Piaser ont décidé de demander des comptes à l'État français. Avec l'aide de leurs avocats, le couple a déposé plainte pénale ce vendredi auprès du procureur de la République. En 2018, ils ont découverts qu'ils avaient été victimes d'un trafic d'enfants, qu'ils pensent en partie imputable au gouvernement. Alors qu'ils aidaient leur fille, adoptée en 1985 au Sri Lanka, à réaliser une recherche sur ses origines, ils ont découvert que son certificat de naissance était factice et qu'elle avait été volée à sa mère le jour même de sa naissance dans un hôpital de Kahawatta, dans la campagne sri-lankaise.

"Notre monde s’est effondré", se souvient auprès de LCI Véronique Piaser-Moyen, qui a écrit son témoignage dans un livre, "Titania, histoire d’un baby business", paru début mai aux éditions Atramenta. "Nous savions qu’il y avait des trafics en Colombie et au Guatemala, mais on avait choisi un pays où l’on pensait que les adoptions se faisaient sans trafic", explique-t-elle.

Une adoption en apparence faite dans les règles

En 1985, alors qu'une guerre civile oppose le gouvernement cingalais aux Tamouls, le couple constitue un dossier d'adoption avec l'aide d'un Organisme Autorisé pour l'Adoption (OAA), une association privée contrôlée par les pouvoirs publics. Le dossier est tamponné par le ministère des Affaires étrangères et quelques semaines plus tard, Véronique et Jean-Noël Piaser tiennent leur fille, Maria, âgée d'à peine 15 jours dans leurs bras. "Je reconnais que nous aurions dû avoir la puce à l’oreille étant donné la rapidité avec laquelle s’est faite l'adoption. Mais je faisais en sorte que les choses se passent vite et elles se sont passées vite, donc j’étais contente. Et puis nous n'allions pas remettre en cause l’administration française qui avait tamponné notre dossier", fait remarquer Véronique Piaser-Moyen. "Bien sûr qu’on aurait dû s’alerter. Mais c’est facile de le dire maintenant."

Un dossier d’adoption, ça se résume à six pages, ce n’est pas long à vérifier
Véronique Piaser

"Nous avons fait confiance au gouvernement français, à l’administration française. Nous demandons maintenant que l'État reconnaisse qu'il y a eu des manquements", lance Véronique Piaser-Moyen. Pour les parents de Maria, les autorités françaises n'ont pas pris la peine de mener les vérifications nécessaires avant de donner leur feu vert à l'adoption. Ils rapportent notamment que le visa de leur fille a été délivré en seulement une demi-journée à l’Ambassade de France, et ce malgré l'absence dans le dossier d'adoption de la signature de la mère biologique. "Nous avons des exemples de dossiers d’enfants adoptés qui ont des dates de naissance différentes sur leurs documents. Il n’y a pas besoin d’avoir fait Sciences Po pour remarquer que le document est faux ! Un dossier d’adoption, ça se résume à six pages, ce n’est pas long à vérifier", ajoute Véronique Piaser-Moyen.

Pire, le couple est convaincu que l'État français était au courant de ce trafic. "Notre intermédiaire sur place, qui était commissaire au département de protection de l’enfance au Sri Lanka, était de mèche avec le gouvernement, qui savait très bien qu’elle faisait des adoptions illégales", assure Véronique Piaser-Moyen. Elle affirme avoir retrouvé des preuves de la connaissance de ce trafic par les autorités aux archives départementales de Nantes et de La Courneuve. "Nous avons mis la main sur un document qui date de 1983. C’est une dépêche de l’ambassadeur en place, à Colombo, qui écrit à Claude Chesson, le ministre des Affaires extérieures de l’époque, pour lui dire qu’il constate que c’est de la folie ce qui se passe avec les bébés. Il y a des sommes d’argent échangées. Il dit qu’il y a un trafic probable." Dans un autre document datant de 1990, l'ambassadeur affirmerait également : "Ça fait douze ans que ça dure, ce trafic".

Une plainte, après des centaines de lettres mortes

Bien décidés à interpeller le gouvernement sur ce sujet, le couple a envoyé environ 500 courriers à des centaines d'élus. Dans ce lot, seule la députée Sylvia Pinel s'est emparée de la situation en décembre 2020 et a interrogé le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères à ce sujet. Ce dernier ne donnera pas suite.

Alors que 11.000 enfants sri-lankais ont été adoptés par des familles européennes dans les années 80, le couple décide de porter plainte avec Champika Macherel, adoptée au Sri Lanka la même année que leur fille et qui avait fait l'objet d'un reportage d'Envoyé Spécial en 2019. L'association La Voix des Adoptés, qui accompagne les personnes adoptées dans leurs démarches et dans la défense de leurs droits, s'est jointe en soutien dans cette démarche pénale.

Des faits prescrits, mais l'espoir d'un sursaut

Contacté par LCI, Maître Clément Bossis, l'un des avocats des plaignants, affirme avoir mené un travail d'orfèvre pour mettre sur pieds cette action juridique, en raison de la date à laquelle se sont produits les faits. "Le délai de prescription est de 20 ans et court à partir de la commission de l'infraction, et non à compter du jour de la majorité des victimes. Le droit tel qu’il est fait aujourd’hui permet assez mal d’appréhender ces situations là, puisqu’un adopté qui entame sa recherche des origines ne la lance pas à 14 ans, mais plutôt à 20, 25, 30 ans… et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il découvre qu’il a été victime d’un trafic d’enfants", regrette-t-il. Pour permettre aux victimes d'adoptions illégales d'obtenir réparation, l'avocat plaide pour une évolution du cadre juridique. "Il faut absolument qu’on ait un régime qui se calque sur ce qui existe en matière de violences sexuelles et qui permette de se retourner dans les 20 ans suivant sa majorité", dit-il. 

En 2020, son cabinet a déjà déposé la plainte de neuf Français d'origine malienne contre leur organisme d'adoption et leur ancienne correspondante au Mali pour "escroquerie, recel d’escroquerie et abus de confiance". Selon eux, l’association Le Rayon de soleil aurait eu recours à des "stratagèmes" pour faire adopter des enfants qui, au regard de la loi, n’auraient pas dû l’être. "Une semaine après, nous avons reçu un classement sans suite du parquet", affirme Maître Clément Bossis.

Il faut réveiller le politique sur ce sujet là
Me Clément Bossis, avocat des époux Piaser et de Champika Macherel

En parallèle de cette plainte contre l'État, l'association La Voix des Adoptés et l'association Enfance et Familles d'Adoption (EFA) ont envoyé le 24 juin un courrier de saisine au gouvernement pour réclamer la mise en place d'une commission d'enquête indépendante sur des adoptions internationales illicites ayant eu lieu dans plusieurs pays, dont le Sri Lanka, entre le début des années 70 et le début des années 2000. La Suisse et les Pays-Bas, où des adoptions illégales ont également eu lieu, ont déjà mené ce type de démarche et se sont excusés publiquement auprès des victimes.

"Je pense qu’il faut réveiller le politique sur ce sujet là et mener une action militante pour que le droit change. Qu’il y ait une commission d’enquête, nous y sommes très favorables. Il faut plusieurs porte-voix, il faut œuvrer conjointement", explique Maître Clément Bossis.


Charlotte ANGLADE

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