Procès des attentats du 13-Novembre : "J'ai compris qu'ils voulaient nous tuer, nous achever"

Publié le 1 octobre 2021 à 22h28, mis à jour le 4 octobre 2021 à 10h55

Source : JT 20h Semaine

JUSTICE – Des victimes directes ou des proches de personnes blessées ou décédées à la Belle Équipe le soir des attentats se sont succédé à la barre ce vendredi. Une nouvelle journée encore très émouvante.

Il y a ceux qui se connaissaient depuis des années, d'autres depuis un peu moins et ceux qui ne se connaissaient pas, ou à peine. Il y a ceux qui n'ont été atteints d'aucune balle, puis ceux qui ont été grièvement ou légèrement blessés, et il y a ceux qui sont décédés. 

Ce 13 novembre 2015, au 82, rue de Charonne, ils étaient venus "travailler", "boire un verre", "célébrer un anniversaire", ou "manger un morceau". En l'espace de quelques secondes, la fête est devenue cauchemar et leur vie a basculé dans l'horreur. 18 secondes de tirs, 164 cartouches retrouvées, 21 morts et 8 blessés. 

17 personnes qui se trouvaient à La Belle équipe le soir des attentats ou qui y ont perdu un ou des proches sont venus témoigner de cette nuit d'horreur devant la cour d'assises spéciale ce vendredi 1er octobre.

"Je me suis dit : pourvu que ce soit rapide"

Camille était venue comme beaucoup d'autres pour l'anniversaire d'Hodda, une très bonne amie qui devait y fêter ses 35 ans et qui perdra la vie, comme sa sœur âinée Halima, 36 ans. Camille se souvient de ces bruits ressemblant à "des pétards", de la "coupure d'électricité". "J'ai vu les impacts sur la vitre,  j'ai compris que c'était une fusillade. Mais je ne pensais pas que nous étions visés. J'ai cru à un règlement de compte. Je me suis dit pourvu qu'il n'y ait pas de balles perdues", se souvient la jeune femme, dont la panique est encore palpable dans sa voix. Les coups de feu s'arrêtent, puis reprennent, le temps pour les terroristes de recharger leurs armes. "J'ai compris que les assaillants nous visaient, qu'ils voulaient nous tuer, nous achever tous dans le dos. Je me suis dit : pourvu que ce soit rapide, pourvu que je ne souffre pas". 

Puis les tireurs repartent. Devant les rescapés, "du sang partout", "des corps enchevêtrés", des "visages de cire". Camille n'a qu'une petite blessure à la main. Mais elle a perdu ce soir-là "des amis très proches, sa famille de cœur : Hyacinthe, Justine, Marie, Hodda, Thierry, Halima, Romain, Ludo, Michelli... des personnes pleines de vies, de projets, d'humour" que Camille connaissait "depuis 20 ans". 

"J'ai une vivante avec moi"

Juliette, âgée de 23 ans en novembre 2015, était venue rencontrer un inconnu ce soir-là à La Belle Équipe. Un garçon prénommé Cédric avec qui elle avait échangé "sur une application de rencontre". "On s'est retrouvés dans un quartier que je ne connaissais pas, dans un café que je ne connaissais pas", explique la jeune femme. Juliette fume et préfère rester dehors. Les deux jeunes commandent un verre de vin. 

À 21h36, les tirs commencent. Juliette attrape la main de Cédric. "Je n'ai jamais donné une poignée de main à quelqu'un que je ne connaissais pas aussi forte", dit-elle. Juliette est touchée au bras. Celui qui l'accompagne " s'est fait fusiller". "Je le tire quand même vers moi, je le mets de profil. Il s'est passé une éternité, j'ai envie de m'enterrer dans le sol, j'ai alors l'impression que je vais mourir." 

Les coups de feu s'arrêtent, le silence revient. "J'ai posé délicatement ma main sur le torse de Cédric et je lui ai demandé à trois reprises s'il était mort : 'Est-ce que tu es mort ? Est-ce que tu es mort ? Est-ce que tu es mort ?' Si je n'ai pas pu lui demander s'il était en vie, c'est que je savais qu'il était mort." 

Juliette dit ne pas avoir ensuite voulu "enjamber les corps", avoir "longé la terrasse" pour chercher de l'aide. "Un pompier est arrivé, il a dit : 'j'ai une vivante avec moi'. Cette phrase me hante depuis". Elle est transportée à l'hôpital, passe 6 heures au bloc. "Le lendemain sur Facebook j'ai vu que les parents de Cédric le recherchaient toujours alors que j'avais dit à la police qu'il était mort, insiste-t-elle en larmes. J'ai dit à ma maman qui était avec moi 'S'il te plaît, appelle-les'. Elle l'a fait."

Un an après, Juliette a écrit une lettre aux parents de Cédric mais ne l'a jamais envoyée. "Je voulais leur demander pardon, je me sens coupable", confie-t-elle.

"Une occasion de réunir mes potes"

Jessica est née un 13 novembre. En 2015, elle avait comme souvent convié ses amis. "J'aime bien fêter mon anniversaire, c'est une occasion de réunir mes potes". "Dans certains messages, j'ai écrit rendez-vous à 'La belle époque' au lieu de 'La belle Équipe". Ça a peut-être sauvé cinq de mes potes."

Mais beaucoup seront là ce soir-là : Roman, son amoureux, mais aussi Victor, Nathan, Ida, Méline, Léa… Une partie de la bande est déjà réunie quand "un bruit sourd" survient. "J'ai compris qu'on se faisait tirer dessus. Beaucoup de victimes étaient déjà mortes. Il y avait un silence. Nous, on faisait les morts", se souvient la jeune femme assise sur une chaise à la barre, faute de pouvoir rester debout du fait de ses séquelles. "C'était une cacophonie d'appels à l'aide et de cris de douleur, je ne pouvais plus bouger mes jambes". 

Jessica a reçu dix balles ce soir-là, trois sont encore dans son corps. Elle croit qu'elle va mourir, elle aussi. Son amoureux et un ami, Nathan, l'embrassent et lui mettent des claques, pour la maintenir éveillée. Jessica est évacuée, et transportée dans un restaurant de kebabs voisin. "Je ne sais pas si c'est la morphine mais je m'entends dire à mes amis : 'je ne peux pas mourir dans un restaurant grec, s'il vous plaît". Malgré la gravité des faits que relate Jessica, cette déclaration provoque des rires qui font du bien dans la salle d'audience. 

Jessica est conduite à la Pitié-Salpêtrière. Elle y sera opérée et passera plusieurs jours de coma. "La liste de mes blessures fait plus de deux pages. Je suis sous le choc quand mes médecins parlent de miracle". À son réveil, elle apprendra que trois de ses copines ont été blessées grièvement. L'une d'elle a été amputée. Elle apprendra aussi que l'un de ses meilleurs amis, Victor Muñoz, est mort ce soir-là. "Le 13 novembre a été un raz de marée dans ma vie. Je dois beaucoup canaliser ma colère face à la perte de mon ami". Aujourd'hui, celle qui fêtera ses 30 ans le 13 novembre prochain veut avancer, travailler et voyager. Au regard de sa force, de sa détermination, et de son courage, on ne peut que ce dire que ses vœux seront exaucés. 


Aurélie SARROT

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