Procès du 13-Novembre : "Nous connaissions plusieurs des acteurs et pourtant nous n'avons pas empêché ce drame"

Publié le 16 novembre 2021 à 23h34
Procès du 13-Novembre : "Nous connaissions plusieurs des acteurs et pourtant nous n'avons pas empêché ce drame"
Source : BENOIT PEYRUCQ / AFP

JUSTICE - Bernard Bajolet, ancien directeur de la Direction générale de la Sécurité extérieure, a témoigné ce mardi devant la cour d'assises spécial de Paris. Il a fait part de son "sentiment d'échec" pour avoir été incapable d'empêcher les attaques qui ont provoqué la mort de 130 personnes.

Il se trouvait à des milliers de kilomètres de Paris quand, ce 13 novembre 2015, des terroristes ont frappé Paris et Saint-Denis. Alerté de la situation peu avant 22h, il est immédiatement rentré en France pour participer à un conseil de défense en présence notamment du président de la République François Hollande. 

"Là, je suis abasourdi par l'ampleur du massacre, de ne pas avoir réussi à l'empêcher. Nous savions qu'un ordre avait été donné de frapper l'Europe et plus particulièrement la France, que des opérationnels avaient été sélectionnés et s'entrainaient dans ce but. Nous connaissions plusieurs des acteurs et pourtant nous n'avons pas empêché ce drame", se souvient Bernard Bajolet, 72 ans, ancien patron de la DGSE à la barre ce mardi.

Costume et cravate sombre et chemise bleu clair, l'homme entendu comme témoin poursuit : "On peut mettre en avant que nous avons continué à déjouer des attentats avant et après le 13 novembre, mais ceci ne peut réduire la douleur des familles et le sentiment d'échec qui est le mien."

"Ce qui était visé, c'était la foule"

Le président de la cour d'assises spéciale Jean-Louis Périès demande à l'ancien patron de la DGSE, qui fut aussi coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme de 2008 à 2011, quel était exactement "l'état de la menace en France en 2015". "Nous la savons très forte. Abou MohammedAl-Adnani en a fait état  dans un discours de septembre 2014 appelant à tuer 'les méchants et sales Français'", rappelle le témoin. "Nous avons beaucoup d'indices que des opérationnels sont en Europe et que la menace est caractérisée."

Avait-il eu vent de menaces pesant sur le stade de France, les terrasses ou le Bataclan ? "Non", affirme Berbard Bajolet, tout du moins, pas après la "menace assez floue", selon ses termes, qui pesait contre le Bataclan en 2009. "Farouk Ben Abbes (un Belge, proche des frères Fabien et Jean-Michel Clain, qui aurait proposé le Bataclan comme cible possible, ndlr) ne savait même pas où se trouvait la salle", assure l'ex-patron de la DGSE. Selon lui, "ce qui était visé, c'était la foule, les lieux de rassemblement, de distraction, mais il n'y a pas de menaces précises, d'autant qu'en général, le choix des cibles est fait au dernier moment". 

"Abaaoud l'une des chevilles ouvrières contre la France"

Au sujet Abdelhamid Abaaoud, considéré comme le coordinateur des attentats, Bernard Bajolet précise au président Périès qu'il était dans les radars de la DGSE depuis octobre 2013. "Mais pour nous, il est un djihadiste parmi d’autres, nous savons qu’il est là, qu'il fait partie de l’État islamique", nuance-t-il. "Ensuite les choses changent de nature quand on le voit sur une vidéo trainer des cadavres en mars 2014", commente-t-il. "On apprend qu'Abdelhamid Abaaoud était en contact avec Nemmouche. Il devient pour nous un djihadiste d'intérêt, que l'on cible particulièrement."

Selon lui, ses services ne savaient pas à l'automne 2014 quelle était l'implication d'Abaaoud. "Nous avons alors connaissance d'un projet en Belgique qui aurait consisté à enlever un policier et à le décapiter. Nous en informons les collègues belges. Le 2 janvier 2015, un certain Omar appelle de Grèce. Nous faisons immédiatement le rapprochement avec Abaaoud. Sur la base du renseignement que nous leur avons fourni, les Belges décident de passer à l'action et monte un assaut à Verviers. Cette opération sera décevante et n'apportera que peu de renseignement."

En février 2015, une interview d'Abdelhamid Abaaoud alias  "Abou Omar Al-Belgiki" est publiée dans la revue djihadiste Dabiq. "J'ai pu aller et venir malgré le fait que j'étais pourchassé par tous les services de renseignement", s'y vante le djihadiste, un mois après les attentats de janvier 2015 à Paris. "Entre cette date et le 16 novembre, nous ne saurons jamais précisément où était Abaaoud. Nous le considérons comme l'une des chevilles ouvrières contre la France. L'une de nos priorités est de l'arrêter. Nos partenaires ont mis les mêmes moyens que nous pour tenter de le localiser et de l'interpeller, mais personne n'y est parvenu."

Manque de moyens et contexte

Enfin, sur le commando qui a sévi le 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, Bernard Bajolet rappelle "qu'il n'y avait pas exclusivement des francophones" et que cela "fait énormément de monde à suivre, avec peu de moyens". Le contexte n'arrange rien, avec, à l'été 2015 notamment, un million de Syriens qui fuient leur pays. "Il y des naufrages, les portes de l'Europe s'ouvrent. La décision de Merkel, que je ne critique pas, crée un appel d'air (le 31 août 2015, la chancelière allemande ouvre les frontières de l'Allemagne aux réfugiés, ndlr). Les djihadistes profitent ce de flot de réfugiés d'autant qu'ils ont en mains de faux passeports."

La DGSE œuvre alors avec les moyens du bord. "Parmi les opérationnels, plusieurs d'entre eux étaient dans nos fichiers, on les suivait. Je pense à Foued Mohamed Aggad, Chakib Akrouh. La plupart des membres du commando étaient connus de nous à part deux ou trois d'entre eux", admet Bernard Bajolet. Selon lui, les "échanges entre DGSI et DGSE en novembre 2015 étaient quotidiens et permanents". 

Comment Samy Amimour, mis en examen et sous contrôle judiciaire en 2012, a-t-il pu partir en Syrie en 2013 ? Comment Omar Mostefaï, fiché par la DGSI, a-t-il pu échapper à tout contrôle ? "Ces personnes font l'objet d'un suivi mais nos moyens techniques, humains, ceux de la police des frontières ne sont hélas pas infaillibles", reconnait l'ancien patron du renseignement. "J'imagine qu'on cherche aujourd'hui les leçons de ce qu'il s'est passé mais nous n'arriverons jamais à avoir des informations exhaustives sur ce genre de départs et d'arrivées. Nous ne pouvons pas garantir que certains ne passeront pas à travers les mailles. En plus la France n'est pas un état policier."

Bernard Bajolet se félicite tout de même de plusieurs attentats déjoués. "Les attentats que nous avons déjoués par définition ne sont pas connus. Par exemple nous avons contribué à déjouer des attentats qui auraient pu être très meurtrier en Belgique ou à l'occasion de l'Euro, à Marseille, en 2016."  

Reste que le témoin ne se remet pas des attaques de Paris et Saint-Denis il y a six ans maintenant et qui ont fait 130 morts. "Ce qui s'est produit, on l'anticipait depuis des années. On le redoutait, c'était notre hantise, un attentat de masse contre des civils. L'ampleur et sa brutalité ne nous ont pas surpris. Il s'est produit ce qu'hélas nous redoutions."


Aurélie SARROT

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