Procès du 13-novembre : "Pour nous, c’était une certitude, nous allions mourir ce soir-là", le récit glaçant des policiers qui sont intervenus en premier au Bataclan

Publié le 22 septembre 2021 à 21h47, mis à jour le 23 septembre 2021 à 7h54

Source : TF1 Info

JUSTICE – Le commissaire de la BAC75N, premier avec son collègue à être intervenu au Bataclan, puis Christophe Molmy, ancien chef de la BRI ont déposé ce mercredi à la barre. Ils sont revenus sur la situation à laquelle ils ont dû faire face, avant que ne soit donné l'assaut à 0h18.

Ils ont tous les deux été remerciés par les rescapés et leurs proches. Ce mercredi, au dixième jour d'audience du procès des attentats du 13 novembre 2015, un commissaire de la BAC75N puis Christophe Molmy, ancien chef de la BRI, se sont succédé à la barre. 

Constitués partie civile, les deux fonctionnaires de police ont raconté comment ils se sont retrouvés sur la scène de crime la plus sanglante ce soir-là, celle du Bataclan et comment ils ont géré la succession d'événements avec leurs moyens. Deux témoignages très différents, mais qui ont dans ce procès historique et hors-norme toute leur importance. 

"C'était la confusion totale sur les ondes"

Premier à déposer, le commissaire de la BAC75N. "Ce soir-là nous avons fait le maximum de ce que nous pouvions faire et nous sommes allés au-delà de ce que nous pouvions faire, au-delà des capacités opérationnelles. "Nous aurions tous voulu pouvoir faire plus, sauver plus de vies. Ce poids du regret et de la culpabilité accompagne chacun des policiers depuis ce jour" indique en préambule le policier qui porte ce mercredi un costume noir décoré de la Légion d'honneur, cravate noir, chemise blanche et cheveux poivre et sel. 

Ce 13 novembre 2015, le commissaire prend son service avec son équipier quand il reçoit un premier appel faisant état de la première explosion au Stade de France, puis un second évoquant une fusillade dans le 10e arrondissement. "Il n'y avait alors pas de notion d'attentat. J'ai décidé de me transporter vers le Stade de France. Mais en route, c'est la  confusion totale sur les ondes avec une saturation sur les radios. Le téléphone portable n'arrêtait pas de sonner. On a appris la deuxième fusillade. J'ai décidé de prendre le chemin de Paris estimant que la situation était plus complexe". 

La confusion continue, avec de nouvelles fusillades, puis le Bataclan. "Nous avons foncé vers le boulevard Voltaire" se souvient le commissaire. Arrivés sur place, les deux policiers se retrouvent à gauche du bus des artistes. "Mon regard s'est porté vers le Bataclan café où gisaient déjà  deux ou trois corps, des barrières dans tous les sens. Une personne nous a dit qu'il y avait une attaque à l'intérieur". 

"On savait depuis janvier qu'il y aurait un attentat"

Après avoir pénétré dans la salle de spectacle, les deux policiers découvrent "une scène apocalyptique avec des coups de feu incessants". "Je me suis dit : 'ça y est on y est'. Depuis janvier, on savait qu'il y aurait un attentat, mais on ne savait ni quand ni où. C'était la sidération", continue le commissaire. 

Devant les deux hommes,"au sol, des personnes décédées ou qui gémissaient" pour qui les policiers ne peuvent rien faire. Les policiers progressent vers deux portes vitrées. "Elles se sont ouvertes d'un seul coup et une masse compacte a foncé vers nous en hurlant : une femme aux cheveux châtain clair, prostrée, on lit la terreur sur son visage et elle s'enfuit les larmes aux yeux et un homme nous dit  : 'Vite, vite, il y a ma femme à l'intérieur". 

Le policier se trouve alors à proximité du terroriste qu'il identifiera plus tard comme Ismaël Mostefaï. "Il  fallait prendre une décision, même si on ne connaissait pas les lieux, avec des terroristes à l'intérieur qui massacraient des gens avec des armes de guerre. J'ai dit à mon équipier : 'il faut qu'on y aille'. La première vision : l'éclat des spots, qui forme une sorte de halo, et puis des corps enchevêtrés, mélangés, parfois sur plus d'un mètre de hauteur". 

Puis les deux policiers aperçoivent un autre terroriste. Vêtu de noir sur la scène, il hurle sur un otage : "Couche-toi au sol". "Pour nous, la réaction a été immédiate. Il fallait l'abattre. Mais compte tenu de son arme de guerre et de sa puissance de feu, il ne fallait pas se précipiter". 

Le commissaire prend sa visée comme sur un stand de tir. "J'ai préféré tirer dans son corps plutôt que dans sa tête, la cible était trop petite. L'auteur est tombé sur le dos. Nous avons rechargé, mais nous avons tiré peu pour garder des munitions. Quand il est tombé au sol, une explosion a retenti avec des crépitements et une pluie de confettis." 

L'otage réussit à s'enfuir. Les deux collègues essuient de nouveaux tirs et parviennent à s'abriter. "Par réflexe comme tout le monde ce soir-là, on a pris quelques secondes pour dire au revoir à nos proches parce que c'était une certitude, nous allions mourir ce soir-là". 

Ils sortent de la salle. Des renforts de la BAC75N sont là. Les deux hommes retournent dans la salle. "Là est apparue une ombre rasante, un chargeur de kalachnikov est tombé au sol, un bruit de culasse. On pensait que l'un des auteurs allait sortir sur nous. Cette ombre a disparu et est repartie sur la gauche. La seconde ombre est apparue, la porte s'est entrouverte, est apparue une main qui rampait, un otage qui essayait de s'enfuir. Il a fallu prendre une décision, on a couru vers cette personne, je lui ai pris les mains, elle m'a dit : "Je ne peux plus marcher". On l'a tiré". Cette victime est un commissaire de police,  "elle nous a donné les informations sur les terroristes, en disant qu'ils étaient trois."

"Nous n'avions que le courage à opposer à ces terroristes"

Le policier de la BAC75N ne peut rester sans rien faire face à des terroristes qui abattent des gens "au coup par coup". "Je me suis dit qu'il fallait y retourner. Mon équipier m'a dit : "Patron, il faut attendre la BRI". J'ai répondu 'non on y retourne'. J'avais la responsabilité de mes hommes, tous pères de famille, je ne voulais pas les envoyer à la mort. Ils m'ont tous suivi. Nous n'avions que le courage à opposer à ces terroristes", continue le commissaire. 

Puis il estime finalement qu'il est "suicidaire d'aller au-delà". "On sentait que la mort se propageait parmi les gens. On entendait des gens gémir puis plus rien du tout. Les gens mourraient devant nous. Ils étaient à quelques mètres et on ne pouvait rien faire. On était à découvert. On avait déjà essuyé des tirs". 

D'autres renforts de la BAC75N avec un armement plus lourd sont là. "Je leur ai dit 'on va rentrer et quoiqu'il arrive on ne recule pas'. Je les ai placés tout au long de la fosse. Là aussi ça a duré un certain temps. Je savais que la BRI ou le Raid était arrivé mais je n'avais pas de notion de leur progression". Certains policiers palpent les otages qui sortent pour vérifier qu'il n'y a pas parmi eux un terroriste. 

"A un moment donné, ça devenait insoutenable pour moi. J'ai décidé qu'il était temps d'aller dans la fosse pour chercher des victimes. On a commencé à tirer un jeune homme, les victimes étaient extrêmement lourdes, le sang avait imprégné leur vêtement. On a enjambé des corps, fait une sorte de triage. Les gens comprenant que nous étions là, les valides ont commencé à sortir et les invalides nous les secourions". Le commissaire se souvient également de cet enfant de 5 ans, plus jeune spectateur du concert des Eagles of death metal ce soir-là et exfiltré par un policier avec son casque anti-bruit sur la tête. 

Vers 3h30, lui et ses effectifs quittent finalement le Bataclan. "On a rejoint notre base tous ensemble. On s'est regroupés, on a discuté, on s'est réconfortés. Au petit matin tout le monde est rentré chez soi et on a essayé de revivre comme avant". Revivre comme avant, une mission encore impossible. "On reste marqué à vie avec un tel événement" conclut cet homme humble et digne avant de quitter la salle. 

"Huit attentats en 33 minutes"

Après une suspension, Christophe Molmy, ancien de la BRI, vient à la barre. Costume sombre, chemise bleu clair, cravate bleu, petite moustache, le patron de l'antigang, dont l'unité est habituée à traquer le grand banditisme, fait le récit de cette nuit en enfer. "Ce sont 8 attentats en 33 minutes. Je le souligne parce que j'imagine que pendant les débats on trouvera des failles. On a accusé le coup de 8 attentats en 33 minutes" rappelle le policier avant de souligner le "courage" de ses collègues de la BAC75N. "C'était périlleux et héroïque de se lancer comme ça", salue-t-il. 

Puis il revient sur la chronologie des événements pour ses équipes. La BRI est "déclenchée" à 21h47. "À 22h10, on quitte le 36 pour aller vers la rue de Charonne, où on nous dit qu'un terroriste s'est retranché (...) Sur la route, mon directeur m'appelle et me dit d'aller au Bataclan". A 22h20, la BRI est sur place. Je pense que nous sommes rentrés vers 22h25. On a découvert une scène à laquelle personne n'était préparé. Sur le sol, on avait des centaines de corps. Il y avait tous les morts, les blessés, les valides. Tout le monde était couché. On a cette image saisissante. On a cette odeur de sang qui prend à la gorge, l'odeur de poudre très entêtante. Il n'y avait aucun coup de feu et aucun mouvement. Donc rien qui nous permettait de savoir où étaient les terroristes".

Trois objectifs alors pour la Brigade de recherche et d'intervention : "secourir les victimes rapidement, évacuer les otages, localiser les terroristes". 

"Des terroristes qui menacent de tuer les otages"

A 22h40, le rez-de-chaussée est évacué. A 23 heures, deux colonnes sont constituées pour explorer les étages, avec un " risque de surtattentat prégnant" insiste Christophe Molmy. "A23h15, on entend hurler un otage derrière la porte qui dit qu'ils sont  sous le joug des terroristes. À ce moment-là, la situation est différente. À partir de 23h15, c'est une prise d'otage avec les tenants et les aboutissants". 

A 23h15,il y a un premier contact vocal avec les terroristes. "A 23h27, la situation est stabilisée. Un premier appel du négociateur vers les terroristes est fait. À 23h29, les terroristes rappellent le négociateur.  L'ex-chef de la BRI explique alors que le  négociateur l'appelle sur son portable. "Il m'indique que, de son appréciation, on n'arrivera pas à négocier. Il me décrit des terroristes calmes mais très, très tendus, qui demandent qu'on s'en aille, qui menacent de tuer les otages".  Selon lui, il n'y a pas d'autres solutions qu'un assaut. Le préfet de police de Paris donne son feu vert. 

A 0H18, le "go" est donné.  Le premier terroriste vide son chargeur sur le bouclier Ramsès des policiers. "On essayait d'encaisser, de ne pas tirer pour ne pas avoir de tirs croisés afin de sortir les otages. Nous avons une dizaine de tirs de notre côté, c'est très peu", assure Christophe Molmy. Les otages sortent de la loge. Le premier terroriste est neutralisé mais parvient à se faire exploser. L'effet de blast blesse légèrement le deuxième terroriste. "Là, on le voit palper son gilet. On pense qu'il cherchait son détonateur... Il est abattu.  Les otages eux sont sortis en enjambant le corps du deuxième terroriste toujours équipé de son gilet. Ils étaient protégés par le démineur qui était couché sur le terroriste, faisant une sorte de pont alors que ça aurait pu exploser", détaille Christophe Molmy. 

A 0h25, cet assaut prend fin. À 1h15, c'est la fin des opérations pour la BRI. D'autres enquêteurs prendront ensuite la relève  pendant des heures pour procéder aux constatations. 


Aurélie SARROT

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