Procès des attentats du 13-Novembre : "Mon enfant va devenir un symbole"

Publié le 16 octobre 2021 à 0h13
Procès des attentats du 13-Novembre : "Mon enfant va devenir un symbole"

JUSTICE – Les auditons des rescapés du Bataclan se poursuivent devant la cour d'assises spéciale de Paris. Parmi les personnes entendues ce vendredi, Clarisse, venue au Bataclan avec son fils de "presque 7 ans".

Elle a été l'une des dernières à être entendue ce vendredi, après plus de sept heures d'audience. "Pour moi, la question de la reconstruction est très importante (...) On a la victime victimaire et la victime héroïque, entre les deux  on ne pense pas qu'il puisse y avoir quelque chose", lâche Clarisse en préambule de sa prise de parole. 

Alors que l'auditoire s'attend à un exposé sur cette thématique, cette femme portant un carré blond, une chemise à fleurs et une veste bleue poursuit : "Ma reconstruction pour moi a été faite en refusant d'être une victime. Du coup, je vais vous ramener au Bataclan." Cette soirée-là, Clarisse ne l'a pas vécue comme tout le monde. Car c'est avec son fils de 6 ans qu'elle est allée au concert des Eagles of death metal tandis que son mari gardait leur bébé de quelques mois à la maison. 

"Je vois cette arme avec des étincelles qui sortaient"

Apparaît alors sur l'écran géant de la salle d'audience, une photo prise dans la salle du Bataclan, montrant Clarisse et son petit garçon, un casque anti-bruit vert sur la tête, les deux tout sourire. "Mon fils est un enfant qui obéit très bien. Je peux compter sur lui dans un contexte normal. Dans la panique, je ne sais pas comment il peut réagir. Ce soir-là, je me suis dit que, pour mon fils, il fallait qu'il ne se passe rien. Je voulais faire comme si de rien n'était le plus longtemps possible."

Surviennent les bruits de pétards. L'enfant n'aime pas ces bruits en général. Il s'accroupit à côté de sa maman, "les doigts dans les oreilles". C'est la panique autour d'eux. Mais selon Clarisse, son petit garçon ne se rend compte de rien. "Je vois cette arme avec des étincelles qui sortaient. Ils tiraient sur des gens dans la fosse", explique-t-elle. "Je vais chercher une preuve que c'est vraiment en train de se passer. Je me dis : 'Oh merde...' Tous les gens derrière nous sont en train de ramper, je me dis qu'il faut partir. Je regarde mon fils. Je lui dis : 'Bon ben on va y aller.' Et là, curieusement, je prends le temps de rassembler mes petites affaires."

"Mon mari doit être devant la télé, le bébé dort"

Clarisse et son fils se réfugient dans une petite loge avec des personnes dont certaines cassent le faux plafond. "Là, il y aune jeune femme, Emilie, qui prend mon fils dans ses bras, qui lui demande comment il s'appelle. Moi, j'appelle la police. Je dis qu'il y a des coups de feu tirés au Bataclan, qu'il faut venir. Je ne veux pas appeler mon mari, pas l'inquiéter. Il doit être devant la télé, le bébé dort." 

La maman et son petit montent dans "cette espèce de grenier", se retrouvent dans "la laine de verre". "Mon téléphone sonne, c'est mon mari qui m'appelle. J'essaie de le rassurer, je lui dis qu'on est dans le grenier et je raccroche." 

Clarisse entend alors tout ce qu'il se passe en dessous. Des cris, des gémissements, des gens qui agonisent. "Autour de nous des couples s'enlacent, croyant qu'ils vont mourir." La mère de famille, elle, laisse son garçon assis à côté d'elle, ne le prend pas dans ses bras. Elle ne veut surtout pas qu'il réalise que quelque chose ne va pas. 

"Vers minuit, mon fils s'endort. On entend des gens parler. Je suis contente de savoir que la police est là. Après un silence de deux heures, c'est l'assaut, l'explosion. Le souffle va passer vers le haut. Je comprends pas ce que c'est. La première explosion, je n'avais pas compris non plus." Son mari la rappelle, lui dit qu'à la télé, on annonce que la prise d'otages est terminée. Elle pourtant, est toujours là, enfermée avec les autres. 

"Mon fils m'attend sur le trottoir"

Les policiers se présentent derrière la porte. Les otages sont surpris qu'on leur hurle dessus. Une conversation commence avec un homme de la BRI. "On lui demande combien il y a de morts, il répond : 'Beaucoup.' Son beaucoup à lui n'est pas le même que mon beaucoup à moi. Puis le policier demande si des enfants sont présents dans la pièce. Mon enfant va devenir un symbole. La voix du policier va s'adoucir. On sent que le policier est content de pouvoir sauver un enfant." Le petit garçon est emmené par les policiers, conduit dehors. "Ils ont pris mon fils, ils l'ont fait descendre."

En quittant la salle, Clarisse découvre l'horreur autour d'elle. "Tout est très carré dans cette salle du Bataclan. Au milieu, je vois des tas. Je réalise que ce sont des corps. Je me dis : 'Je suis désolée pour vous mais il faut que j'y aille, mon fils m'attend sur le trottoir.'" Dehors, Clarisse retrouve son petit garçon dans les bras d'un policier, une cagoule et casque de pompier sur la tête. "Ils l'ont préservé."

Le pompier reprend son casque et repart dans le Bataclan. Le policier dit à la maman et à son fils que s'ils ne sont pas blessés, ils peuvent rentrer. "On se retrouve moi et mon fils tous les deux sur le trottoir. Je comprends que le policier a voulu protéger mon fils. J'ai passé trois heures moi à rien vouloir lui montrer. Mon fils est resté calme pendant toute la durée, sans vraiment comprendre ce qu'il se passait".

"On va aller voir un concert en Angleterre"

Les deux provinciaux repartent à pied vers l'hôtel où ils sont hébergés. La soirée se termine comme ça pour eux, mais pour Clarisse, ce sera le début d'une longue déconstruction. "Vient la culpabilité d'avoir amené mon fils là-bas, de l'avoir laissé une inconnue sans que je le fasse moi. Je ne voulais pas faire quelque chose de différent de d'habitude, pour ne pas qu'il réalise ce qu'il se passait", justifie la maman.

Elle poursuit :  "On a vu un psy, il a dit que mon fils n'avait pas de traumatisme." Le petit va bien apparemment. Clarisse, elle, se referme sur elle-même. "Je vais essayer de tout minimiser, me dire qu'on n'était pas visés, qu'on n'est pas les plus à plaindre. Pour moi, il est hors de question d'avoir le regard des gens qui s'apitoient sur la pauvre victime." Reste que la solitude s'installe. Le travail est difficile. Chaque attentat qui survient devient ingérable et les émotions extrêmes. 

"Je suis venu témoigner pour admettre enfin mon statut de victime. Je commence à donner de la place à cet événement. De la place que cet événement mérite", insiste Clarisse. "Je ne suis plus la personne que j'étais avant mais la personne que je suis devenue peut-être que finalement, elle n'est pas si mal que ça."

"Le 13 novembre, c'est dans un mois, on va revenir à Paris, refaire les commémorations. Trois jours plus tard, c'est l'anniversaire de mon fils, ses 13 ans, on va partir voir un concert en Angleterre, parce qu'ils n'ont pas gagné."


Aurélie SARROT

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