Procès du 13-Novembre : "Prends pas tes affaires, de toute façon tu vas mourir"

Publié le 19 octobre 2021 à 22h32, mis à jour le 20 octobre 2021 à 11h06

Source : TF1 Info

JUSTICE – Les auditions des victimes du Bataclan se poursuivent cette semaine. Ce mardi, plusieurs otages des terroristes sont venus à la barre.

C'est par les images glaçantes de Daniel, alors journaliste au Monde, et filmées un peu avant 22 heures le 13 novembre 2015 depuis sa fenêtre donnant sur le passage Saint-Pierre-Amelot  que l'audience a débuté ce mardi. Devant cette vidéo, plusieurs parties civiles ont quitté la salle. Dans le public, c'est  la stupeur.

Les images sont pourtant tristement célèbres. Elles  ont été relayées après l'attentat du Bataclan. Mais entendre ces tirs, ces hurlements de douleur, ces cris de désespoir, et voir ces personnes par centaines fuir, par dizaines tomber au sol sous les balles, ou encore se jeter ou se suspendre aux fenêtres, dans une salle d'audience, a donné une tout autre dimension à cette séquence de 6 minutes tournée au téléphone portable. 

Parmi les personnes qui apparaissent sur ces images,  plusieurs se sont retrouvées par la suite pendant deux heures trente otages des terroristes ce soir-là. Désormais surnommés "potages" (contraction de potes et otages), cinq d'entre elles otages ont évoqué ce moment aux côtés d'Ismaël Omar Mostefaï et de Foued-Mohamed Aggad. 

"C'est pas la peine de toute façon tu vas mourir"

Barman dans le 5e arrondissement de Paris, David, Chilien, était venu avec des copains au Bataclan écouter les Eagles of death metal, un groupe qu'il ne connaît pas alors. Tout se passe bien, l'ambiance est bonne. Puis surviennent les premiers tirs de Kalachnikov. Fan de jeux vidéos, David reconnait tout de suite le bruit des armes.

"J'ai compris que c'était un attentat quand j'ai vu les musiciens lâcher leurs instruments et partir en courant. Avec mon amie Caroline on s'est accroupis. Je ne voulais pas y croire", explique Grégory, autre "potage". David, lui aussi au balcon, s'allonge, rampe et voit soudain "un homme en jogging qui porte une kalachnikov dans la fosse". "Je vois qu'il recharge, je me lève et je traverse la porte qui est ici (il désigne la porte sur le plan projeté à l'écran). J'essaie de trouver une issue". En vain. 

David se retrouve suspendu à une fenêtre du passage Saint-Pierre-Amelot avec une femme enceinte et Sébastien. La femme enceinte supplie qu'on l'aide à remonter. Sébastien lui tend la main. Elle part, et trouve refuge dans un local technique. 

Puis David et Sébastien regagnent le balcon où se trouvent encore Grégory et Caroline. "J'entends une voix derrière nous qui dit : 'Debout! Debout!" C'était Mostefaï. Il a l'arme braquée sur nous. Je veux prendre mes affaires. Il me dit : 'Prends pas tes affaires, c'est pas la peine, de toute façon tu vas mourir'", relate Grégory. "J'ai ressenti le besoin de lui parler, j’avais lu que c’était plus difficile de tuer quelqu’un avec qui on avait dialogué, se souvient Caroline à la barre, en fauteuil roulant. Je lui ai dit que j'avais un handicap et que je ne pouvais pas me lever. Il m'a dit qu'il n'en avait rien à foutre et de me lever." 

"Aggad s'amuse à tuer des gens en bas"

Pendant ce temps, Foued Mohamed Aggad "s’amuse" à tuer des gens en bas. "On assiste au massacre et à l'assassinat de plusieurs personnes sans pouvoir agir. Mostefaï dit : 'Celui qui essaye de faire le justicier je le tue est-ce que c’est compris ?'" ou encore 'Le premier qui bouge, je lui tire une balle dans la tête'", détaille David. "François Hollande tue nos femmes et nos enfants en Syrie et en Irak donc on vient ici, et on fait pareil", justifient les djihadistes

L'un d'eux interpelle alors David: "Qu’est-ce que tu penses de ton président ?". "En vrai je pense rien du Président français. J''ai 23 ans, je suis Chilien, moi ce qui me préoccupe c'est de boire des bières avec des copains, explique David à la cour. Je ne suis rien de la politique". 

Grégory est interpellé à son tour par l'un des djihadistes qui lui demande d'aller chercher sa sacoche en bas. S'il ne remonte pas, il le tue. Grégory obéit, et ramène le sac rempli de chargeurs. "Ça se voit qu'ils sont entrainés, ils tirent, ils visent, ils tuent. Comme dans un jeu vidéo, mais dans la réalité" selon Grégory. 

"Pour moi c'est sa dernière prière".

L'explosion sur la scène en bas, quand Samy Amimour est neutralisé par le commissaire de la BAC75N et son collègue, change le cours des événements." Les deux terroristes avec nous jouissent de la mort de leur confrère, mais ils perdent aussi le contrôle de la prise d’otage", d'après David. Les otages sont réunis dans un couloir étroit et l'ambiance est très spéciale. Foued Mohamed Aggad s'adresse aux otages "comme à des potes", et traite sa Kalach "de merde". Les terroristes se moquent aussi de ceux qu'ils détiennent : "Caroline parce qu'elle est handicapée, moi parce que je suis gros", explique David.

Puis la BRI arrive. Les négociations commencent via un téléphone portable prêté par un otage. "Ils demandent une lettre signée de François Hollande annonçant le retrait des troupes en Syrie. Je me dis que c'est surréaliste et que je vais mourir", narre David.

Grégory pense que la prise d'otages va durer des heures, jusqu'à samedi soir ou dimanche. "Je suis conforté par Foued Mohamed Aggad qui se met à faire un footing sur place et dit qu'il est 'chaud pour la faire durer cette prise d’otages'".

Puis  Aggad se met à prier. "Pour moi, c’est sa dernière prière. Il s'apprêtait à se faire exploser", dit David. Les négociations continuent, mais n'aboutissent pas. Caroline explique avoir "vite senti" que les terroristes n'avait en réalité sans doute rien à négocier : "Ils avaient envie d’appeler d’abord les médias  puis la police, mais ils n'avaient pas l’air d’avoir vraiment préparé cette partie-là" . La plupart des otages ont ressenti à cet instant de l'improvisation.

"Il décharge 27 coups de feu en direction de la porte"

Une colonne d'assaut s'approche. "Sébastien dit : 'Barrez-vous sinon ils vont tout faire péter'. On a crié à la police de ne pas rentrer. Pour nous l'arrivée de la police n'était pas une bonne nouvelle. Face à nous se tient Mostefaï. Il décharge 27 coups de feu en direction de la porte" continue David. "Je me dis qu'ils vont nous pousser jusqu'au bout du couloir, jusqu'aux terroristes. Je vais essayer de retenir le bouclier, mais là ça va être un déluge de grenades, raconte Grégory. Y'a de la poussière, on voit rien à un mètre. Un policier passe, puis un deuxième. Je vois Caroline, une Rangers sur sa tête. Un policier est en train de lui marcher dessus. Je pousse la Rangers, je dis au policier :"Dégage, dégage, dégage".

Deux mains attrapent David et le jettent dans le couloir. "Je vois un bouclier, je soulève le Ramsès, je prends Caroline et on sort du couloir", dit David. Tous les otages sont sains et saufs.

"Je ne suis pas un héros"

Aujourd'hui, Sébastien qui a aidé la jeune femme enceinte à ne pas tomber de la fenêtre passage Amelot explique qu'il ne se considère pas comme "un héros"."J'ai fait ce que n'importe qui d'autre aurait fait à ma place", déclare sobrement cet homme revêtant les mêmes habits qu'il portait le 13 novembre 2015. Surnommé "Le Lybien" par les terroristes du fait de ses cheveux longs de l'époque, il a lui aussi été pendant la prise d'otage l'un de leurs interlocuteurs. 

Face à la cour, Sébastien fait ensuite état de ses réflexions après l'attentat. "Je me suis dit la France est allée trop loin si on est visés par ça. Ça n'est pas un hasard que ce quartier et cet établissement-là soient visés. Je sais que je vais donner des billes à la défense, mais je veux répondre à ces questions-là. Je comprends les raisons, mais je ne cautionne pas la méthode et je ne cautionne pas de rendre justice en commettant soi-même une injustice, surtout pas au nom de la religion", insiste cet ancien journaliste qui attend "avec intérêt le témoignage de François Hollande".

"Une joie morbide et assumée"

Arnaud et Marie, venus à la barre en couple, ne sont pas revenus sur la succession d'événements qui les a conduits, eux aussi, à faire partie des otages ce 13 novembre 2015 et ont parlé brièvement de cette séquence.  Par contre, Arnaud qui a été au plus proche des terroristes, et ce, jusqu'à la dernière seconde n'a épargné aucun détail sur la fin de sa soirée. "J'ai vu le corps de celui du haut se désintégrer, j'ai vu l'autre sauter dans l'escalier et une gerbe de sang sortir de son cerveau. Je me suis couché, j'étais en état de choc. La BRI après m'a marché dessus et a hésité à m'exécuter une ou deux fois je pense. Puis les policiers ont exécuté l'autre en bas de l'escalier".

La tête de l'un des terroristes se retrouve devant lui. "Une partie du sang et des tripes du terroriste étaient collés à mon t-shirt.  J'ai eu de la chance, je suis miraculé. J’ai eu des éraflures dans le dos,  j'ai un tympan percé, mais je n'ai aucune perforation, aucune opération". 

Alors que tout le monde pense que sa déposition est terminée, Arnaud tient absolument à ajouter quelque chose. "Je voulais dire que non seulement j'ai eu de la chance lors de la prise d'assaut, mais j'ai eu de la chance car je n'ai pas baigné dans le sang des victimes. J'ai vu des gens mourir mais d'assez loin. Je le dis et je l'assume, j'ai eu beaucoup de plaisir à baigner dans les restes des terroristes disloqués, ça reste une joie certes morbide mais ça reste une joie assumée", lâche-t-il.  D'accord. Je n'ai pas de question pour ma part", conclut le président. 


Aurélie SARROT

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