Affrontements entre bandes rivales d'adolescents : "Un phénomène pas nouveau mais cyclique"

par Léa LUCAS
Publié le 9 mars 2021 à 19h42, mis à jour le 9 mars 2021 à 20h06
La délinquance juvénile serait de plus en plus violente et précoce selon le Ministère de l'Intérieur.
La délinquance juvénile serait de plus en plus violente et précoce selon le Ministère de l'Intérieur. - Source : THOMAS SAMSON / AFP

INTERVIEW - Deux adolescents de 14 ans ont été grièvement blessés, lundi soir, lors d'une rixe en plein centre de Champigny-sur-Marne (94). L'illustration d'un phénomène qui, selon le sociologue Sébastian Roché, n'est pas nouveau.

Deux jeunes garçons ont été blessés lors d'un affrontement entre adolescents, en pleine rue du centre de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), lundi. Au lendemain de cette nouvelle rixe à laquelle ont participé une vingtaine de personnes, le plus jeune des deux, né en 2006, est hors de danger et est audible par les enquêteurs tandis que l'autre adolescent, blessé au thorax, est plongé en coma artificiel. Ces conflits violents entre adolescents ont augmenté de 24% entre 2019 et 2020, passant de 288 affrontements à 357, selon le ministère de l'Intérieur. 

LCI a interrogé le spécialiste des questions d'insécurité Sébastian Roché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) sur un phénomène qui, ces dernières semaines, s'est aussi produit dans le département voisin de l'Essonne quand deux adolescents de 14 ans ont été tués en moins de 24 heures.

Y a-t-il une recrudescence de la délinquance juvénile en France ces derniers temps ?

Sébastien Roché : Non, ce phénomène n'est pas nouveau, mais cyclique, avec un pic de violences atteint dans les années 1980. Il y a souvent, une fois par an ou tous les deux ans, plusieurs rixes entre groupes de jeunes quasi simultanément un peu partout en France. Par le passé, ce phénomène existait aussi, avec des jeunes du même âge, mais nous mettions moins l'accent dessus. Ce qu'il se passait dans le monde rural de manière plus inaperçue se passe aujourd'hui dans le monde urbain. Il n'y avait pas de téléphones portables et de réseaux sociaux dans les campagnes, mais on observait déjà les mêmes comportements. Aujourd'hui, on retrouve dans certaines villes de banlieues, des jeunes qui s'affilient à un territoire et se muent en défenseurs de ce territoire, souvent parce qu'il a une valeur économique. Certains groupes sont engagés dans le stockage et la revente de différents produits illicites par exemple. Mais cela peut être aussi des motifs d'honneur, de rivalité symbolique entre groupes ou des motifs personnels et affectifs.

Depuis quarante ans, la géographie des violences est presque la même
Sébastian Roché

Mais la violence entre adolescents de bandes rivales n'est-elle pas plus importante ? Comment l'expliquer ?

Il n'y a pas non plus davantage de violence même si dernièrement on déplore des morts. D'habitude, il s'agit plutôt de blessures légères ou graves, l'usage d'armes à feu reste rare. Cette violence prend souvent racine dans la misère sociale et dans l'addition de cette misère sociale. Concentrer plusieurs personnes pauvres sur un même territoire accroît la violence. Les jeunes qui se battent viennent de familles pauvres et désorganisées puis se côtoient. Depuis quarante ans, la géographie des violences est presque la même. Et quand ces violences se produisent occasionnellement dans des quartiers plus huppés, il ne s'agit pas de regarder où la bagarre a éclaté, mais où habitent les auteurs des actes commis. Avec le développement des réseaux de transports en commun, cette violence se déplace plus facilement. La source est donc socio-économique et éducative.

Si le phénomène est récurrent, pourquoi ces affaires provoquent-elles toujours autant d'émoi ? 

Cela suscite toujours des émotions, car ce sont des évènements qui restent choquants, encore davantage lorsqu'il y a des morts. En France, nous sommes une société qui met en avant la valeur de la vie. Ces violences nous choquent systématiquement, car nous sommes attachés à ces valeurs. À l'inverse des États-Unis où les Américains ne sont plus choqués par les homicides, beaucoup plus nombreux. Pour eux, c'est devenu quelque chose de banal. On aurait donc tort de ne plus s'émouvoir.


Léa LUCAS

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