"Prisons pour islamistes" : l'enquête exclusive de "Sept à Huit"

Publié le 18 octobre 2021 à 9h58
"Prisons pour islamistes" : l'enquête exclusive de "Sept à Huit"

REPORTAGE - Plus de 1000 détenus sont incarcérés en France pour radicalisation ou apologie du terrorisme islamiste. Pour la première fois, une caméra de "Sept à Huit" a pu pénétrer
au cœur de plusieurs quartiers ultra-sécurisés des prisons où ils sont incarcérés.

Un travail de l’ombre délicat, mais à l’enjeu d’envergure : magistrats, éducateurs, psychologues, agents pénitentiaires, médiateurs du fait religieux travaillent chaque jour dans des quartiers de détention spécifiques ultra-sécurisés, aux côtés de détenus radicalisés ou en lien avec le terrorisme islamiste. Ils sont plus de 1000 à être ainsi incarcérés dans l’Hexagone, suivis de près par 850 professionnels à qui revient l’épineuse mission d’éviter que ces prisonniers ne repassent à l’acte en détention ou une fois libérés. 

Pour la première fois, les caméras de "Sept à Huit" ont été autorisées à suivre cette prise en charge entre les murs même des centres pénitenciers, à Lille, à Paris ou encore à Fleury-Mérogis. "Les individus membres de ces réseaux ne cessent pas leurs activités une fois qu’ils sont arrêtés, ils poursuivent leur prosélytisme", relève Jean-François Ricard, procureur national anti-terroriste, interrogé dans le documentaire en en-tête. "Certains vont recréer des réseaux", poursuit-il, "en vue de nouvelles actions". Depuis 2016, cinq attentats ont ainsi été commis en prison. 

Pour ce faire, six quartiers d’évaluation de la radicalisation sont ouverts en France, et répartissent les prisonniers en trois catégories graduelles, en fonction de leur dangerosité : la détention ordinaire, pour les moins endoctrinés, les quartiers d’isolement pour les cas plus inquiétants et enfin les quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR), destinés à éradiquer toute tentative de passage à l’acte chez des profils très radicalisés. L’ensemble du dispositif se chiffre à 49 millions d’euros pour l’État français.

Un protocole de surveillance sous haute sécurité

Le temps de cette évaluation, tous les détenus à évaluer sont scrutés 24 heures sur 24 par des caméras de surveillance, sauf dans leur cellule. Les communications, elles, sont toutes enregistrées. D’abord seuls en promenade, les prisonniers déambulent dans une cour austère, refermée par un couvercle de grillage. La télévision est payante, les consoles et lecteurs DVD interdits pour forcer les détenus à honorer leurs dizaines d’entretiens d’évaluation au lieu de rester dans leur cellule. 

Ces entretiens sont des exercices difficiles pour les conseillers d’orientation et psychologues, qui doivent mener un travail de dentelle : engager le dialogue avec l’accusé sans le braquer, mais aussi fissurer un vernis résistant, surtout chez les prisonniers incarcérés depuis longtemps et rodés à ces sessions de discussion. 

S'ils sont placés à l'isolement, les détenus sont toujours soumis à un protocole de surveillance extrêmement rigoureux. À la prison de la santé, à Paris, où sept terroristes islamistes sont placés à l’isolement, les cellules sont inspectées au moins une fois par mois, jusqu’à l’intérieur des toilettes, à la recherche d’armes artisanales comme des lames de rasoirs détachées. Sept d'entre eux y sont incarcérés pour terrorisme islamiste, dont trois accusés dans le cadre du procès des attentats du 13-Novembre, qui se tient chaque jour depuis le 8 septembre. Un protocole tenu d’une main de fer, au risque de voir les prisonniers tenter d'embrigader leurs codétenus, détaille le directeur du centre. 

"Certains cherchent à dissimuler ou à minimiser leur implication en disant avoir été trompés par un discours et avoir fait une erreur", ajoute un médiateur du fait religieux anonyme, qui souhaite rester anonyme. "On n’a pas affaire à des espions de dernière génération, mais à des personnes relativement jeunes", qui pour beaucoup n’ont pas de connaissances approfondies sur la religion, poursuit-il.  

"La fascination que j’ai pour ces gens-là va être compliquée à effacer"

Parmi eux, un jeune homme condamné à quatre ans de prison lorsqu’il était mineur pour avoir relayé la propagande de l’État islamique et participé à un projet d’attentat contre des policiers. Incarcéré à Fleury-Merogis, il vient d’obtenir le brevet avec mention. Après des années d’endoctrinement, il peine à se défaire peu à peu du discours islamiste. "Au-delà des idées, la fascination que j’ai pour ces gens-là va être compliquée à effacer", reconnaît-il lui-même. 

Quant aux QPR, 18 détenus incarcérés pour des projets d’attentats ou des faits de radicalisation au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin bénéficient d’un programme d’activités, en sus des entretiens de suivi : football, ateliers jardinage et pâtisserie, mais aussi accès à une bibliothèque. Mais un quart des prisonniers refuse d’y prendre part. "Je me suis radicalisé ici", glisse l’un d’eux, qui boycotte chaque rendez-vous. 

La directrice du centre se félicite de son côté que sur les 37 détenus qui ont quitté ces quartiers, aucun n’est passé à l’acte ou n'a été réorienté en isolement. "C’est à nous d’établir une relation de confiance, explique-t-elle. Avec toute personne, on essaye vraiment d’individualiser le parcours pour que se crée l’échange". "On les voit comme des êtres humains", poursuit une psychologue. "C’est leur envoyer le message que s’ils veulent changer, on est prêt à accueillir et accompagner le changement."

Actuellement, quatre condamnés pour terrorisme purgent en France une peine à perpétuité. D’autres ont écopé de peines inférieures à dix ans, et ils seront plusieurs centaines ces prochaines années à retrouver leur liberté. Depuis le début de l’année, 84 d’entre eux ont quitté les barreaux, tandis que plus de 200 personnes sont actuellement suivies par les services de renseignement. À ce jour, à l’exception de l’assassin du Père Hamel en 2016 à Saint-Etienne-du-Rouvray, aucun sortant de centre pénitencier n’a récidivé pour des faits graves.


La rédaction de TF1info

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