"Sept à Huit" - Meurtre d'Élodie Kulik : le procès en appel va-t-il faire éclater la vérité ?

MM
Publié le 14 juin 2021 à 10h16
"Sept à Huit" - Meurtre d'Élodie Kulik : le procès en appel va-t-il faire éclater la vérité ?

QUÊTE DE VÉRITÉ - 19 ans après le viol et le meurtre de la jeune femme, alors âgée de 24 ans, le principal suspect, Willy Bardon, est jugé en appel à partir de ce lundi. "Sept à Huit" retrace cette affaire.

Pour Jacky Kulik, 71 ans, et pour Willy Bardon, un procès capital s'ouvre ce lundi 14 juin. Le premier va voir le second jugé en appel pour le viol et le meurtre de sa fille Élodie Kulik, en 2002. 

Condamné à 30 ans de réclusion fin 2019, Willy Bardon clame son innocence. La justice, elle, l'accuse d'avoir tué cette jeune femme de 24 ans, directrice d'une agence bancaire, qui avait été retrouvée étranglée, dénudée et partiellement calcinée le 11 janvier 2002 à Tertry (Somme), à six kilomètres de sa voiture accidentée, en bordure d'une route départementale.

À la suite de ce crime, la femme de Jacky avait mis fin à ses jours. Aujourd'hui, il confie avoir "promis" à cette dernière, ainsi qu'à sa fille qu'il "retrouverait l'assassin." "Et j'ai tenu à ce qu'on n'oublie pas. Aujourd'hui, ce qui fait ma force, c'est ma douleur et mon écœurement vis-à-vis de ce qui a été fait. C'est ça qui m'anime, encore 20 ans après", explique-t-il dans la vidéo de "Sept à Huit" en tête de cet article.

Il assure aussi qu'il assistera au procès, avec ses proches. Et sa conviction est faite depuis longtemps : pour lui, l'éventuelle innocence de Willy Bardon est "impensable". "Il y était, il sait fort bien ce qu'il a fait. Mais il en éprouve une telle honte, un tel écœurement, que, pour lui, c'est impossible d'avouer", nous dit-il.

En 2002, sa fille, Élodie Kulik, vit à Péronne, une ville de quelque 7000 habitants située dans la Somme. À l'époque, à seulement 24 ans, elle est directrice d'une agence bancaire de la ville. Elle est alors la plus jeune femme en France à occuper un tel poste. Elle est aussi célibataire et habite un appartement situé au rez-de-chaussée de son immeuble. 

Une de ses amies d'enfance, Cindy, se souvient d'une jeune femme accomplie, dans le travail comme dans sa vie personnelle. "Elle était sérieuse (...) mais elle savait aussi s'amuser. Elle me racontait souvent, à l'époque où on était éloignée géographiquement, qu'elle aimait beaucoup aller au karaoké, qu'elle avait une vie sociale active", se souvient celle qui fut une proche d'Élodie Kulik. 

26 secondes d'enregistrement

Le soir du 10 janvier 2002, jour du drame, cette dernière avait rendez-vous avec un ami à Saint-Quentin (Aisne), à 20 km de Péronne. Elle avait passé la soirée dans un restaurant chinois, puis, seule, avait repris la route de son domicile. Plus tard, à 00h21, les pompiers d'Amiens avaient enregistré un appel, où l'on entendait Élodie hurler. Mais la communication avait été coupée après 26 secondes et le téléphone portable n'avait ensuite plus été joignable. 

Le véhicule avait été retrouvé au petit matin, au bord d'une départementale, à moins de 10 km de chez la victime. La voiture avait fait plusieurs tonneaux et avait été retrouvé vide de tout occupant. Le corps de la jeune banquière, lui, avait été retrouvé 24 heures plus tard, à plusieurs kilomètres des lieux de l'accident, sur un terrain vague à l'écart de la route. 

C'est un agriculteur venu déverser du fumier qui avait repéré le corps. En 2004, il avait accepté de témoigner devant la caméra de TF1. Il s'était alors souvenu d'un corps "nu", qui n'avait "plus de vêtement".

Élodie Kulik avait été violée, étranglée. Son corps avait également été partiellement brûlé. A coté de son cadavre, un préservatif usagé avait fourni un ADN dont le propriétaire était inconnu du fichier des empreintes génétiques. Les gendarmes avait saisi la cassette de l'appel d'Élodie aux pompiers. Ils avaient identifié, en arrière-fond, deux voix d'hommes difficilement compréhensibles, mais qui semblaient très calmes, celles les meurtriers de la jeune femme. 

Les enquêteurs avaient mené des auditions par centaines et réalisé 5000 prélèvements génétiques. En vain. L'affaire Élodie Kukik resterait mystérieuse pendant 10 ans, jusqu'au mois de janvier 2012 : grâce à de récents progrès scientifiques, les gendarmes avaient retrouvé, dans leurs fichiers, un ADN proche de celui recueilli sur la scène de crime. 

On sait que le meurtrier est [parmi] les copains de Grégory Wiart
Didier Seban

Cet ADN, prélevé après une condamnation pour agression sexuelle, appartenait à un homme. Le prélèvement retrouvé près du corps d'Élodie ne pouvait appartenir qu'au fils de cet homme, nommé Grégory Wiart. Ce dernier, artisan et père de famille, était décédé à 24 ans dans un accident de voiture, un an et demi après le meurtre d'Élodie Kulik. Il n'avait jamais été entendu dans le cadre de l'enquête, mais son identification permettrait de la relancer. C'est vers l'entourage de Grégory Wiart, particulièrement sa "bande de passionnés de 4x4", que la justice s'était alors tournée. 

Pour TF1, Corinne Herrmann, avocate du père d'Élodie Kulik, rappelle qu'à l'époque, la justice était "certaine", grâce à l'enregistrement, de la présence d'"un deuxième homme, et qu'il fallait le chercher". Didier Seban, l'autre avocat de la famille Kulik, ajoute qu'à ce moment, les enquêteurs "savent que le meurtrier est [parmi] les copains de Grégory Wiart et s'intéressent à tous ses amis."

Me Seban se souvient aussi, lors de l'enquête, de "quelque chose de très particulier, organisé par les gendarmes : ils avaient placé les amis de Grégory Wiart en situation de reconnaitre - ou pas - les voix qu'on entend derrière les cris d'Élodie. C'est évidemment un moment très fort de l'enquête, et beaucoup d'amis de Grégory Wiart allaient reconnaitre la voix de Willy Bardon".

D'abord auditionné comme témoin, Willy Bardon, ancien plombier et tenancier de bar, avait été placé en garde à vue en 2013, avec sept proches. Parmi eux, cinq assuraient reconnaître sa voix dans l'enregistrement de l'appel aux secours. Les témoins l'avaient aussi décrit comme un "bon père", "travailleur", mais aussi comme un homme impulsif, infidèle, dragueur, à la consommation d'alcool excessive et parfois insistant, outrancier avec les femmes. L'une d'elles avait même raconté aux enquêteurs qu'il lui aurait fait peur en la poursuivant au volant de son véhicule tout terrain. 

Willy Bardon avait tenté de se suicider après le verdict

Willy Bardon avait ensuite été placé en garde à vue et les gendarmes lui avaient fait écouter l'appel d'Élodie Kulik aux pompiers. Le suspect avait alors déclaré : "J'y crois pas, on dirait vraiment que c'est moi. On entend ma voix, mais je n'ai pas de souvenir."

Il avait, plus tard, dénoncé les conditions de cette audition, et contesté être lié à la mort d'Élodie Kulik. Il avait finalement été mis en examen et, après avoir passé un an et demi en détention provisoire, avait été condamné, le 6 décembre 2019, à trente ans de prison. 

Comparaissant libre ce jour-là, Willy Bardon avait tenté de se suicider en avalant un puissant pesticide quelques secondes après l'énoncé du verdict, incapable de "supporter un retour en prison pour des faits qu'il n'a pas commis", selon son avocat Me Stéphane Daquo. Admis en réanimation, il s'était réveillé trois jours plus tard et avait fait appel. 

Remis en liberté en septembre dernier, Willy Bardon, qui s'était toujours caché des médias, avait décidé de clamer publiquement son innocence. "Aujourd'hui, il faut que je fasse voir que ce n'est pas moi, parce que les gens ne me connaissent pas, ne savent pas qui je suis. On n'a que des personnes qui parlent de moi en négatif. Il faut que les gens sachent que je suis quelqu'un de classique qui vit normalement", disait-il alors. Et d'ajouter : "Je n'ai jamais agressé de femme. Bien sûr, j'ai déjà eu des mots entre copains (...) mais je n'ai jamais agressé de femme".

Quinze jours après cet entretien, Willy Bardon avait été soudainement réincarcéré. Car il avait enfreint son contrôle judiciaire en rencontrant à plusieurs reprises un témoin qu'il avait l'interdiction formelle de voir. 

C'est donc sa compagne, Amélie, et ses amis - Gérard, Olivier, Dédé, et Tiphanie - qui plaident aujourd'hui sa cause. Tous l'ont connu après le meurtre d'Élodie. Ils veulent montrer un Willy Bardon à visage humain. 

Amélie, a accepté de témoigner, mais ne souhaite pas être reconnue, par crainte de représailles. "Si on le reconnait coupable, ça va durer trente ans. Mais on n'enferme pas un homme pendant trente ans sans preuve, juste sur une conviction. Ce n'est pas possible", nous dit-elle. "Il a toujours nié que c'était lui. (...) Il prend pour une [autre] personne, donc il le vit mal, forcément"

Une amie de Willy Bardon ajoute qu'il est "impossible", pour elle, que l'intéressé soit coupable. "Pas Willy. Et je le crois à 200%, j'ai confiance et lui et en ce qu'il dit. Si demain je devais lui laisser ma fille une journée entière, je lui laisserais".

Personne n'est sûr, personne n'est d'accord
La défense de Willy Bardon

La défense de l'accusé, elle aussi, prépare le procès en appel. Elle compte bien s'attaquer à la pièce maîtresse de l'accusation : la reconnaissance de sa voix par plusieurs proches. "Ce n'est pas vrai de dire que tout le monde le reconnait" sur l'enregistrement, nous indique un des avocats de Willy Bardon, précisant : "Il y a six personnes qui le reconnaissent, et six qui ne le reconnaissent pas. Sur la bande de 26 secondes, on entendrait deux voix, certains disent 'peut-être trois voix'."

Dès lors, "personne n'est sûr, personne n'est d'accord sur les mots à retranscrire sur cette bande audio. Et la voix qu'on prêterait à Willy Bardon dure moins d'une seconde. C'est extrêmement court, et ce sont des bribes de voix qu'on entend très loin", fait encore valoir l'avocat. Son confrère poursuit : "Pas un expert à la cour d'appel, à la cour de Cassation, ne vient nous dire qu'une reconnaissance dans les manières et dans les circonstances dans lesquelles cette bande a été entendue et captée ne peut constituer une preuve pénale."

En 2019, les jurés avaient suivi les réquisitions de l'avocate générale, condamnant Willy Bardon à 30 ans de réclusion pour viol, enlèvement et séquestration suivis de mort, mais l'avaient acquitté du chef de meurtre. Dans ce dossier qui compte des milliers de pièces de procédure, la cour avait auparavant entendu 47 témoins et experts à la barre, en sus de 180 auditions relatées. Pour le procès en appel qui s'ouvre ce lundi 14 juin, trois semaines d'audience sont prévues, jusqu'au 2 juillet.


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