Affaire Le Scouarnec : de l'hôpital aux assises, l'itinéraire du chirurgien accusé de pédocriminalité

Publié le 30 novembre 2020 à 12h05, mis à jour le 30 novembre 2020 à 12h12
Affaire Le Scouarnec : de l'hôpital aux assises, l'itinéraire du chirurgien accusé de pédocriminalité

JUSTICE - Le procès du chirurgien Joël Le Scouarnec, interrompu par le confinement, reprend lundi 30 novembre, devant les assises de Saintes. Il est poursuivi pour agressions sexuelles sur quatre mineures. Retour sur une affaire massive, qui fera l'objet d'autres procès.

Sans le témoignage de cette enfant de 6 ans, aurait-il mis fin à actes ? Le 25 avril 2017, cette petite fille se rend avec sa maman à la gendarmerie de Jonzac, en Charente-Maritime. Aux enquêteurs, elle raconte que le voisin lui a montré ses fesses et son sexe, qu’il lui a demandé d’enlever sa culotte puis qu’ensuite, il s’est masturbé en sa présence. Quelques jours plus tard, elle livre d'autres détails et ajoute que l’homme a introduit un de ses doigt dans son vagin et lui a demandé de caresser ce membre qu’elle décrit alors, avec ses mots d’enfant, comme étant "dur comme un saucisson". Sans le savoir, l’enfant vient peut-être de dénoncer celui qui pourrait devenir, s'il est condamné, le plus grand pédocriminel de l’histoire française.

Une perquisition aux résultats glaçants

Le 2 mai 2017, Joël Le Scouarnec est interpellé à son domicile de Jonzac. Chirurgien digestif dans l’hôpital de la ville, le médecin est alors âgé de 66 ans. En garde à vue, il admet l’exhibition, reconnait un doigt dans la bouche de l’enfant, admet son attirance pour les mineurs et évoque une condamnation en 2005 pour détention d’images pédopornographiques. Rien d'autre. Au cours de la perquisition, pourtant, les enquêteurs retrouvent de multiples indices : poupées, perruques, godemichés, deux répertoires informatiques, "Vulvettes"  et "Quéquettes", répertoriant les noms de 250 fillettes et garçons entre 1984 et 2006 associés à des descriptions d’agressions présumées, et les nombreux carnets rédigés à la main par le docteur et aux titres sans équivoque ("mes lettres pédophiles", "petite fille précoce"…). A l’intérieur, des dizaines de récits à caractère sexuel, mentionnant parfois des noms, et dont les protagonistes sont des enfants, parfois des proches, des patients. 

Pour le premier volet de la désormais tristement célèbre "affaire Le Scouarnec", le chirurgien est donc jugé à partir de ce vendredi devant les assises de la Charente-Maritime, sans doute à huis clos, pour agressions sexuelles et viols sur des mineures. Elles concernent des agissements commis sur quatre enfants: la fillette de 6 ans, en 2017, ses deux nièces et une ancienne patiente.

Il sera jugé à nouveau dans quelques années, pour d’autres faits qui auraient été commis pendant plus de 30 ans à l’encontre de mineurs que le médecin était censé soigner dans différents hôpitaux de France. Plus de 250 plaintes ont d’ores et déjà été déposées et la justice a recensé à ce jour plus de 350 victimes potentielles… LCI revient sur le parcours de cet homme, dont les agissements, après plusieurs alertes, auraient pu âtre stoppés depuis bien longtemps.

Vie bourgeoise et omerta familiale

Né dans le 14e arrondissement de Paris le 3 décembre 1950 d’une famille modeste, Joël Le Scouarnec obtient son diplôme de chirurgien dans les années 70. Le jeune homme brun qui apparaît souvent sur les clichés en costume cravate se marie peu après avec Marie-France, une aide-soignante, rencontrée pendant ses études, avec laquelle il aura trois enfants. La famille s’installe dans un manoir du centre de la France. Réceptions, voyages, concerts de piano et vie professionnelle bien remplie semblent rythmer leur quotidien. En façade, une vie bourgeoise que tout le monde pourrait envier. Derrière, un tout autre scénario. 

De ses propres aveux en effet, Joël Le Scouarnec indique que c’est dans les années 1980 qu’il a eu ses premières attirances pour les enfants. Le déclic vient avec une de ses nièces. Aux enquêteurs, il déclare : "Elle était très câline. Elle venait sur mes genoux, elle me séduisait. J’ai reporté ma sexualité sur cette petite fille". Dans le manoir familial, deux autres nièces subiront des agressions de la part de leur oncle, dont l’une, dès ses quatre ans : "Caresses sur les fesses ", "pénétration digitale", "cunnilingus"… 

Sept à Huit

Bien que leur bourreau leur demande de se taire, fillettes se confient malgré tout à leur mère. Cette dernière décide de parler à son frère. Il reconnait les faits, et regrette son comportement. Il dit qu’il va se faire soigner. Il ne le fera jamais. Et aucune plainte ne sera déposée. 

Quelques années plus tard, en 1996, l’épouse de Joël Le Scouarnec découvert les pulsions de son mari. Dans l’un de ses carnets, il écrit cette année-là : "Un cataclysme s’abat sur moi : elle sait que je suis pédophile. Elle m’a dit : 'Fais-toi soigner !'" Marie-France Le Scouarnec en reste là, et ne prévient pas non plus les forces de l’ordre ou la justice. 

Voyant l’orage passé, le spécialiste va poursuivre ses agissements. "Je vais maintenant reprendre le fil de mes activités sexuelles pédophiles", griffonne-t-il dans l’un de ses calepins.

Condamné en 2004... sans interdiction d'approcher des mineurs

Dans les années 2000, le couple part s’installer en Bretagne. C’est là que le médecin est interpellé une première fois, en 2004, pour consultation d’images pédopornographiques. Jugé à Vannes aux côtés d’un dentiste et d’un retraité, il écope d’une peine de quatre mois de prison avec sursis mais échappe à l’obligation de soin et à l’interdiction d’entrer en contact avec des mineurs. Sa femme le quitte. 

Lui reprend le chemin de l’hôpital de Quimperlé et y poursuit son travail, toujours auprès du jeune public. Dans les jours qui suivent, il consigne dans un de ses carnets au sujet d’un jeune patient : "Je l’ai trouvé tout seul et je n’ai pas hésité à baisser son slip". 

 

A l'hôpital de Quimperlé (2003-2008), certains ont eu vent de la condamnation du médecin, comme son collègue psychiatre, Thierry Bonvalot, qui a alerté en 2006 la direction sur sa "dangerosité". En vain… A l'époque, le directeur de cet hôpital du Finistère avait avisé de cette condamnation la Ddass, autorité alors compétente en matière disciplinaire, tout en louant le chirurgien : "sérieux", "affable", "excellentes relations" avec les patients, peut-on lire dans son courrier.

A Jonzac, un entretien d'embauche sans problème

Au final, le chirurgien a pu continuer son activité à Quimperlé jusqu'à son arrivée à Jonzac en 2008. Selon lui, la directrice de l'époque connaissait son passé judiciaire. "Ils ne s'étaient pas montrés plus curieux", s'est-il lui-même étonné. Le médecin exerce donc comme un autre. Là encore, il s’en prend à ses jeunes patients. Comme il avait profité du sommeil de ses nièces, il profite souvent de leur endormissement ou prétexte un acte médical pour procéder à des attouchements. 

Dans ses carnets, Joël Le Scouarnec mentionne 3 ou 4 victimes par an jusqu’à 2015. Il continue de travailler mais s’enferme chez lui dès qu’il le peut, avec ses perruques, ses godemichés, et ses nombreuses poupées avec lesquelles il s’adonne à des jeux sexuels parfois filmés et à qui il a même donné des noms.  Selon ses dires, il n’aurait pas commis d’agressions entre 2015 et 2017, jusqu’à cette petite voisine, dont il a abusé alors qu’elle était seule près de la canisse, dans le jardin. 

"Dangereux et manipulateur"

Interpellé le 2 mai 2017, Joël le Scouarnec a été mis en examen et écroué deux jours plus tard. Les deux expertises psychologiques ont mis en évidence "un sujet intelligent présentant une perversité sexuelle de type pédophile, dangereux et manipulateur", un être qui "ne reconnait que des faits prescrits et qui conteste systématiquement tous les viols, indiquant s’être fixé comme limite de ne pas pénétrer ses victimes".

Interrogé il y a quelques jours dans l’émission Sept à Huit, Me Thibaut Kurzawa, avocat de l’ancien médecin, ne dit pas autre chose de son client : "Il reconnait des attouchements pédophiles mais il conteste avoir commis des viols". Il ajoute : "Monsieur Le Scouarnec attend impatiemment son procès pour s’exprimer. Il a envie de dire certaines choses à ses victimes. Il est conscient qu’il va être puni. Il reconnait que certains de ses agissements n’auraient jamais dû avoir lieu et il reconnait le mal qu’il a pu faire autour de lui". 

Son meilleur ami, un des rares à ne pas lui avoir tourné le dos depuis que l’affaire a éclaté, confie à nos confrères que "le fait d’avoir été arrêté [...] l’a libéré quelque part".  Pour cette première affaire, Joël Le Scouarnec encourt jusqu'à 20 ans de prison. Le verdict est attendu jeudi 3 décembre.


La rédaction de TF1info

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