AUDIENCE – Le père du petit garçon secouru par Mamoudou Gassama en mai dernier était à la barre ce 25 septembre. Accusé de "soustraction à ses obligations parentales", il a écopé de trois mois de prison avec sursis, assorti d’un stage de responsabilité parentale.
Face au juge, le père n’en mène pas large. Sa voix porte à peine, au point qu’on se demande si le micro est bien branché. Les mains jointes sur sa veste zippée, cet homme de 37 ans d’origine asiatique, des cheveux noirs tombant sur sa nuque, tente de rapporter ce qu’il s’est passé ce 26 mai. Si le dossier est "assez simple" selon le la juge, l’histoire n’est pas banale.
Ce jour-là, ce fonctionnaire originaire de l’île de la Réunion a laissé son fils âgé de 4 ans et demi, seul dans l’appartement.
Laissé sans surveillance, le petit garçon s’est retrouvé pendu dans le vide au balcon du 5e étage de l’immeuble. L’histoire aurait pu très mal finir sans l’intervention d’un passant, Mamoudou Gassama. A mains nues, ce sans-papier malien a grimpé l’immeuble pour lui venir en aide. "Aucun témoin n’a voulu donner ses images aux policiers mais ils se sont empressés de les diffuser sur internet", rapporte la juge devant une trentaine de journalistes amusés.
Si M. Gassama a été hissé au rang de héros, le père du petit garçon est aujourd’hui poursuivi pour "soustraction à ses obligations parentales"... le jour-même de l’anniversaire de son fils. L’attitude de la juge tranche avec celle de cet homme timide, aux réponses laconiques. A plusieurs reprises, elle tente de le faire réagir, de voir s’il a pris conscience de la dangerosité de son acte. "Vous êtes partis, en laissant la fenêtre ouverte, vous n’imaginiez pas que c’était un risque ?", lui demande-t-elle. "Non, moi-même je ne vais jamais sur le balcon", répond-t-il. Son fils n’y aurait jamais mis les pieds. "Oui, d’habitude il n’y va pas, mais ma question c’est : est-ce que vous n’avez pas pensé que ce pouvait être dangereux ?" Le père de famille semble perdu. "Non", répète-t-il. Il explique que selon lui, l’appartement est l’endroit le plus sécurisé. "Y compris quand votre fils est tout seul ?" enchaîne la juge. Le prévenu s’emmêle les pinceaux : "Oui… enfin non… "
Il revient sur le déroulé des faits. Ce soir-là, père et fils avaient passé la journée au parc Eurodisney, en rentrant, il donne à manger à son fils mais il n’y a pas de dessert. Alors, "pour lui faire plaisir", il part faire des courses. Comme l’enfant le confirmera au cours de son audition, le garçon dit préférer rester dans l’appartement et regarder un dessin animé.
"Pourquoi avoir été si long ?" demande la magistrate. "Parce que j’ai fait un détour pour récupérer un pokemon", explique le père d’une voix faiblarde. La réponse laisse la salle dubitative. Il tente maladroitement de s’expliquer, avance le manque de la mère, "la complicité avec [s]on fils". La salle ne comprend pas davantage. Un retour sur le contexte s’impose.
Distrait par un Pokemon
Ce fonctionnaire des finances publiques a quitté la Réunion il y a près d’un an pour s’installer dans la capitale. Sa femme et ses deux enfants sont restés sur l’île. Pierre-Raphaël, c'est le prénom de l'enfant, a rejoint son père en mai, soit 15 jours seulement avant les faits. Le reste de la famille devait suivre le mois suivant. Le jeu Pokemon Go était selon lui un moyen de renforcer les liens avec ce père longtemps absent physiquement, il comptait lui montrer sa nouvelle trouvaille en rentrant.
Tour à tour, juge, partie civile et procureure tentent de savoir les leçons qu’il en a retenues. Celui qui se dit "peu dans le discours" n’en a semble-t-il pas reparlé à son fils. Il assure dorénavant "être plus attentif", ne plus "laisser seul" son fils, "j'ai compris depuis le temps". Quand le réquisitoire de la partie civile commence, le Réunionnais écoute silencieusement, les bras toujours croisés, le visage figé.
Si Pierre-Gabriel apparaît aujourd’hui comme un enfant sans problème qui ne "fait pas de cauchemar" et ne semble pas traumatisé, l’avocate réclame un renvoi de l’affaire dans six mois pour voir l’évolution de l’enfant. La procureure, qui pointe la "compromission d'une gravité exceptionnelle" d'un homme pourtant "profondément attaché à ses enfants", réclame quant à elle six mois de prison avec sursis. Les larmes coulent sur le visage du prévenu. Après délibération, la juge annonce le verdict : trois mois de prison avec sursis assorti d’un stage de responsabilité parentale à ses frais. Le père sort de la salle, toujours aussi silencieux. L'avocat du père, Romain Ruiz, a salué "une peine, mais surtout une aide et un soutien (...) tout à fait proportionnée", dont son client "comprend l'intérêt". L'enfant vit désormais avec sa mère dans la Drôme et le père espère bientôt les rejoindre.
A la fin de son procès, ce dernier a tenu à remercier Mamoudou Gassama : vu sa notoriété, "je n'avais pas eu l'occasion".