Hommage à Gisèle Halimi ce 8 mars : le jour où elle a fait basculer le combat pour l'IVG

Publié le 28 juillet 2020 à 19h07, mis à jour le 8 mars 2023 à 7h18

Source : TF1 Info

Ce 8 mars, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Emmanuel Macron rend hommage à l'avocate et militante féministe Gisèle Halimi.
Elle avait obtenu en 1972, alors que l'avortement constituait encore un délit, la relaxe d'une adolescente de 16 ans, jugée pour avoir interrompu sa grossesse après avoir été violée.
Un procès historique pour le droit des femmes.

En 1968 naissait le mouvement pour la libération de la femme. Parmi les combats des féministes, le droit à l'avortement qui, à cette époque, constitue encore un délit. Trois ans avant le vote de la loi Veil sur le droit à l'intervention volontaire de grossesse, une robe noire marquera l'histoire avec une victoire considérable pour le droit des femmes : la relaxe d'une prévenue qui aura mis fin à sa grossesse sans que la législation ne l'y autorise. 

Cette jeune femme que l'on juge s'appelle Marie-Claire Chevalier. À l'automne 1971, l'adolescente est violée par un élève de son lycée et tombe enceinte. Elle n'a alors que 16 ans et c'est à sa mère que la jeune fille demandera de l'aide pour stopper cette grossesse non désirée. Michèle Chevalier, employée à la RATP, choisit de soutenir sa fille dans sa démarche malgré la législation en vigueur.

Dénoncée par l'auteur du viol, Marie-Claire Chevalier sera poursuivie pour avoir fait pratiquer un avortement illégal selon l'article 317 du code pénal. Sa mère et deux de ses collègues sont poursuivies pour complicité, une quatrième est poursuivie pour avoir effectué l'acte illégal. Pour les défendre au cours d'un procès qui s'annonce compliqué, Michèle Chevalier et l'adolescente se tourneront vers Me Gisèle Halimi, avocate au barreau de Paris. 

La mère de la jeune fille a eu l'idée de faire appel à Me Halimi après avoir lu "Djamila Boupacha", un ouvrage de l'avocate sur une militante algérienne violée et torturée par des soldats français. Me Halimi accepte de les défendre, décidant d'attaquer la loi de 1920, qui interdisait la contraception, l'avortement et toute "propagande anticonceptionnelle". "Je vous défendrai. Mais ça va être difficile. Il vous faudra du courage et de la détermination...", dira-t-elle à sa cliente, en prenant le dossier.

11 octobre 1972, le procès à huis clos

C'est le 11 octobr : "Supposez que Marie-Claire ait décidé d’avoir cet enfant. Pensez-vous véritablement qu’elle aurait pu le garder, l’éduquer décemment, le rendre heureux et continuer de s’épanouir elle-même ? (…) Dire que la loi, bonne ou mauvaise, est la loi, est un refus de prendre ses responsabilités, et aussi – je le dis très franchement – ce n’est pas digne de ce que doit être la magistrature. (…) On vous dit que vous devez “dire le droit”. Mais “dire le droit” n’a jamais voulu dire devenir une justice robot et se désintéresser des grands problèmes de notre vie. (…) A-t-on encore le droit aujourd’hui en France, dans un pays que l’on dit civilisé, de condamner des femmes pour avoir disposé d’elles-mêmes ou pour avoir aidé l’une d’entre elles à disposer d’elle-même? (…) Ce jugement de relaxe sera irréversible, et à votre suite, le législateur s’en préoccupera.” 

L'adolescente tente ensuite en vain d'oublier celui qu'elle qualifiera plus tard de "voyou" mais n'y parvient pas. Puis son corps change et elle découvre qu'elle est enceinte. Elle l'en informe, et lui dit qu'elle ne veut pas garder l'enfant. Une faiseuse d'ange moyennant finances tentera de mettre fin à la grossesse. C'est finalement suite à une hémorragie que Marie-Claire sera admise à l'hôpital et la grossesse prendra fin. Alors qu'elle croit le cauchemar finit, elle voit débarquer chez elle la police. Le violeur présumé, interpellé pour vol, a dénoncé la jeune femme dans l'espoir que les forces de l'ordre le laisse tranquille. 

Alors que la jeune fille explique aux juges son viol, puis son avortement dans la salle d'audience, les associations Mouvement de Libération Féminine et Choisir la cause des femmes, mouvement de lutte pour la dépénalisation de l'avortement fondé par Me Gisèle Halimi en 1971, crient leur colère devant le palais. 

Plus tard, Me Gisèle Halimi plaide : "Dans la logique de la contraception est inscrit le droit à l’avortement. Supposez qu’on oublie sa pilule. On peut oublier sa pilule. Supposez l’erreur. L’erreur dans le choix du contraceptif, dans la pose du diaphragme. L’échec, l’erreur, l’oubli… Voulez-vous contraindre les femmes à donner la vie par échec, par erreur, par oubli ? Est-ce que le progrès de la science n’est pas de barrer la route à l’échec, à la fatalité ?". 

L'avocate poursuit : "Supposez que Marie-Claire ait décidé d’avoir cet enfant. Pensez-vous véritablement qu’elle aurait pu le garder, l’éduquer décemment, le rendre heureux et continuer de s’épanouir elle-même ? (…) Dire que la loi, bonne ou mauvaise, est la loi, est un refus de prendre ses responsabilités, et aussi – je le dis très franchement – ce n’est pas digne de ce que doit être la magistrature. (…) On vous dit que vous devez “dire le droit”. Mais “dire le droit” n’a jamais voulu dire devenir une justice robot et se désintéresser des grands problèmes de notre vie. (…) A-t-on encore le droit aujourd’hui en France, dans un pays que l’on dit civilisé, de condamner des femmes pour avoir disposé d’elles-mêmes ou pour avoir aidé l’une d’entre elles à disposer d’elle-même ? (…) Ce jugement de relaxe sera irréversible, et à votre suite, le législateur s’en préoccupera.” 

Un "premier pas", une loi, et un téléfilm

Après plusieurs heures d'audience, le jugement tombe, Marie-Claire Chevalier est relaxée et sa mère mise hors de cause en ce qui concerne la responsabilité civile. "Nous avons fait le procès de l'interdiction de l'avortement. Il n'est pas possible qu'on continue à condamner l'avortement", déclare au terme de l'audience Me Gisèle Halimi. Accompagnée de son avocate, Marie-Claire Chevalier était entourée ce jour-là par les quelque 250 personnes qui attendaient la décision du tribunal. Des applaudissements s'étaient mêlés aux cris de joie. "Nous n'aurions pas accepté un autre verdict, dit Me Gisèle Halimi, nous aurions fait appel, même pour une condamnation avec sursis de quinze jours".

Un mois plus tard, le 8 novembre, le tribunal de Bobigny condamnera Michèle Chevalier à 500 francs d'amende avec sursis, l'avorteuse, Micheline Bambuck, à un an d'emprisonnement avec sursis et a relaxé Mmes Renée Sausset et Lucette Dubouchet, les deux femmes qui ont servi d'intermédiaires. Me Gisèle Halimi a déclaré ce jour-là qu"un pas en avant a été fait vers la suppression d'une loi caduque".  Dès la sortie du palais, des dizaines de membres du Mouvement de Libération des femmes s'étaient regroupées pour applaudir et manifester leur satisfaction.

Le président du tribunal avait lui rappelé : "Il existe une indépendance entre le pouvoir judiciaire et législatif", l'un ne voulant pas empiéter sur l'autre. Trois ans plus tard, le 17 janvier 1975, la loi Veil préparée par Simone Veil, ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, était votée. L'interruption volontaire de grossesse est depuis ce jour dépénalisée. 

Le procès dit de Bobigny a lui été adapté à l'écran. Le téléfilm, avec Sandrine Bonnaire et Anouk Grinberg et réalisé par François Luciani, a été diffusé à la télé française en 2006.

Emmanuel Macron rendra un hommage à Gisèle Halimi, devenu un symbole du mouvement féministe, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2023. 


La rédaction de TF1info

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