JUSTICE – A l'occasion du procès en appel de Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulhacen, qui débute ce mercredi à Paris et qui doit durer jusqu'au 21 décembre, Marie-Claire racontera pour la première fois ce qu'elle a vécu il y a trois ans, presque jour pour jour. Elle fait partie des 781 parties civiles dans ce dossier. Le 18 novembre 2015, elle se trouvait à quelques mètres du 48, rue de la République à Saint-Denis où des membres du commando du 13-Novembre s'étaient retranchés avant que le RAID et la BRI ne donnent l'assaut contre cet immeuble.
Elle n'est pas venue au premier procès. Elle n'y arrivait pas. Cette fois, à l'occasion du procès en appel de Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulhacen, elle se rendra dans la salle d'audience et racontera comment cette nuit du 17 au 18 novembre 2015 a changé sa vie et celle de beaucoup d'autres.
Car Marie-Claire, aujourd'hui âgée de 54 ans, se trouvait à quelques mètres du 48 rue de la République à Saint-Denis, là même où l'assaut du Raid a été donné il y a trois ans pour tenter d'arrêter Abdelhamid Abaaoud, Chakib Akrouh et Hasna Aït Boulhacen vivants. Tous sont morts. Marie-Claire, elle, est aujourd'hui en vie, mais traumatisée à jamais.
" J'avais le Raid et la BRI sous mes fenêtres"
A l'automne 2015, cette conseillère financière en reconversion avait alors quitté Sarrebourg, en Moselle, pour rejoindre la ville du 93 une semaine afin d'y suivre une formation en psychologie à l'université de Saint-Denis.
"Je voulais devenir psychologue du travail, notamment pour aider les jeunes en difficultés d'insertion professionnelle", dit-elle. "Ce regroupement à Saint Denis était prévu. Mais avec les attaques du 13 novembre, le directeur de Master nous avait dit qu'on pouvait bien sûr ne pas le faire. J'ai voulu y aller. Trois jours après les attentats, je me suis dit qu'ils (les terroristes ndlr) n'allaient pas recommencer, qu'on ne risquait rien, que le mal était fait et qu'ils ne pouvaient pas faire pire. Avec une camarade de classe, nous avons donc loué un appartement sur Airbnb, rue Edouard Vaillant, près de la fac..."
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Arrivée le dimanche en banlieue parisienne, Marie-Claire suivra ses cours normalement, les deux premiers jours. Jusqu'à ce que ce bruit sans pareil ne retentisse dans ses oreilles le mercredi 18 novembre 2015. "Je me souviens de l'heure sur mon portable, 4h31. Je me suis réveillée en sursaut. Je suis fille de militaire et épouse d'ancien militaire. Ma première réaction a été : 'on dirait un fusil d'assaut'. Puis je me suis dit : 'arrête tes conneries'. J'ai été à la fenêtre, j'ai regardé bizarrement si la basilique était encore là, je ne sais pas pourquoi j'ai pensé à ça."
"Ont suivi les tirs et les explosions, j'avais le Raid et la BRI sous mes fenêtres. Ça n'arrêtait pas, ça a duré 2h30 en non-stop. Nous, on était recroquevillées dans le canapé. On attendait que ça cesse… J'ai entendu ensuite quelqu'un crier, puis ce gros boum, différent des autres, et plus rien. A mon avis c'était un des terroristes et sa ceinture d'explosifs."
"Pas un taxi n'a voulu venir me chercher à Saint-Denis"
Une fois les tirs passés, une fois le silence revenu, Marie-Claire n'a qu'une seule idée en tête : "rentrer chez elle". "J'étais venue pour étudier, je me suis retrouvée au cœur de l'assaut. Je me suis dit que dans mon petit village, je serai protégée. J'ai fait mon sac et j'ai appelé un taxi pour aller gare de l'Est."
Elle cherche un numéro sur Internet, appelle un taxi, puis deux, puis trois. "Aucun ne voulait venir me chercher. Ils me disaient et me répétaient : 'Saint Denis, non, on vient pas'". Marie-Claire part alors avec sa valise et marche au milieu des rues vidées des habitants et investies par les forces de l'ordre. "J'étais sans doute la seule folle dehors. Je boitais, j'avais une tendinite. Mais il fallait que je parte. J'ai fini par trouver un chauffeur qui m'a conduit à la gare."
Elle prend son train seule, pendant plusieurs heures, direction Sarrebourg. "Je ne me souviens de rien dans le wagon, je sais que je n'ai pas dormi, je sais que mon voisin m'a dit que je n'avais pas l'air bien. Il avait raison, je n'étais pas bien."
"Ma vie a basculé ce jour-là"
Depuis ce 18 novembre 2015, Marie-Claire a changé de vie, pas comme elle l'aurait voulu. "Ma vie a basculé ce jour-là. J'ai perdu mon boulot, j'ai été en arrêt maladie longue durée. J'ai fait un dossier de demande d'invalidité. Le 3 décembre, je vais devoir m'inscrire au chômage. J'ai fini par réaliser que depuis tout ça, j'avais un trauma : cauchemars, cœur qui bat à cent à l'heure, panique. Au départ je ne l'acceptais pas."
Marie-Claire ne supporte plus de voir un gyrophare ou d'entendre un coup de feu ou des sirènes. "Tout le monde n'entend pas des coups de feu tous les jours, mais je vis à côté du 1er régiment d'infanterie. Suivant le sens du vent, j'entends les tirs… ou pas. Du coup, quand il y a un entraînement, je mets mon casque anti-bruit. Je suis équipée maintenant."
"Besoin de réparation psychologique"
La quinquagénaire ne se sentait pas légitime au départ pour être considérée comme une victime. "Je me disais que je n'étais rien à côté des personnes qui ont perdu un proche le 13-Novembre, à côté de ceux qui ont été blessés ou de ceux qui ont tout perdu. Puis avec le temps, les choses ont changé dans mon esprit. J'ai aujourd'hui un désir et un besoin de réparation psychologique et de reconnaissance par rapport à ce que j'ai vécu et aux séquelles que j'ai désormais."
Au cours de ce procès qui va durer un mois, elle attend " plus de respect et de reconnaissance pour les victimes". Quant à Jawad Bendaoud, elle espère qu'il dira cette fois "la vérité". "Je ne crois pas un mot de ce qu'il a dit en janvier et février dernier. Je suis convaincue qu'il savait qu'il hébergeait des terroristes. Je ne peux pas accepter que la justice ait relaxé cet homme. Il doit être condamné." Le procès doit durer jusqu'au 21 décembre.