Procès Dekhar : "Il y a eu une tentative et une volonté de tirer ", raconte l'ex-rédacteur en chef de BFM-TV

par Aurélie SARROT Aurélie Sarrot
Publié le 21 novembre 2017 à 20h39
Procès Dekhar : "Il y a eu une tentative et une volonté de tirer ", raconte l'ex-rédacteur en chef de BFM-TV

JUSTICE – L’ancien rédacteur en chef de BFM-TV, Philippe Antoine, partie civile et témoin, a raconté ce mardi à la cour d’assises ce qu’il avait vécu le 15 novembre 2013 dans les locaux de la chaîne d’information. Ce jour-là, Abdelhakim Dekhar, qui comparait pour "tentatives d’assassinat", a pointé son arme dans sa direction avant de s’enfuir. Trois jours plus tard, il blessait grièvement un assistant photographe dans les locaux de "Libération".

Il a assisté au débat depuis le premier jour du procès, vendredi dernier. Partie civile mais aussi témoin des faits, Philippe Antoine, ancien rédacteur en chef de BFM TV, aujourd’hui directeur de la rédaction de RMC, a raconté ce mardi devant la cour d'assises ce qu’il avait vécu à l’automne 2013 en arrivant sur son lieu de travail. 

Ce jour-là, le vendredi 15 novembre, et comme il le fait quotidiennement, le rédacteur en chef se lève à 5h30, se prépare, puis démarre son scooter pour se rendre à la rédaction. Une fois dans le hall, alors qu’il s’apprête à prendre les journaux avant de monter à son bureau, il croise le chemin d’un homme, Abdelhakim Dekhar, jugé aujourd’hui pour "tentatives d’assassinat".  La scène dure à peine une vingtaine de secondes et ses images ont tourné en boucle.  Philippe Antoine s’en souvient comme si c’était hier. 

"Ce qu’il se passe est très très grave"

"Je vois cet homme descendre les escaliers plus vite que la normale.  Cela a attiré mon attention, raconte le témoin. Puis l’individu pointe une arme sur moi, il a un mouvement de bas en haut à deux reprises. Je n’entends rien, j’écoute la radio, j’ai des écouteurs dans les oreilles. Puis, il fait demi-tour et il s’en va". Philippe Antoine se souvient d’avoir dit ensuite au gardien : 'Ce qu’il se passe est très très grave'. Ce dernier lui confie alors avoir entendu l’homme armé dire : "La prochaine fois, je ne vous raterai pas".  L'homme n'a pas tiré, mais deux cartouches sont tombées au sol. 

La police est immédiatement contactée. Et les témoins - Philippe Antoine ainsi que l’agent de sécurité et Benjamin Dubois, journaliste - sont entendus par les enquêteurs de la 3e DPJ, saisie. Philippe Antoine raconte qu’il n’est pas retourné travailler ce jour-là mais qu’il a voulu reprendre dès le lendemain. "Ca a été ma façon de gérer les choses. Je voulais que la vie continue à être la plus normale possible".  

"On décide de ne pas parler de l’événement à l’antenne"

A l’antenne, BFM-TV n’évoque pas l’événement "pour ne pas gêner l’enquête".  "Si on n’en a pas parlé, ce n’est pas pour cacher les choses comme certains ont pu le dire, c’est parce qu’à ce moment-là, on n’a pas assez d’éléments pour les relater. On ne sait pas qui est cet homme armé qui est entré, on ne sait pas si c’est contre moi, contre la chaîne. D’autres médias le font. Le Parisien en a fait l’écho dans son édition du samedi", explique Philippe Antoine. 

Puis le lundi 18 novembre au matin, le rédacteur en chef de BFM-TV est avisé des faits qui viennent de se produire dans le hall du quotidien Libération. "Pour moi, l’histoire change totalement. Je réalise rétrospectivement à quel point j’ai eu de la chance.  Ce qu’il s’est passé à Libération, c’est exactement ce qui aurait pu se passer à BFM-TV. Je revis les choses. Je me dis que j’ai eu une chance folle, que j’ai une étoile au-dessus de moi". 

"Un sanglier, ça l’explose en 1000 morceaux"

Puis Philippe Antoine se souvient avoir discuté des faits avec Dominique Rizet, son spécialiste police-justice. "Dominique, qui est chasseur, me dit : ‘Tu sais la balle qui a été retrouvée à BFM-TV, c’est du Brenneke, un sanglier, ça l’explose en 1000 morceaux’", continue le journalisten.  "Je comprends alors qu’il est important de témoigner. D’autant que le tireur est encore dans la nature. Je donne plusieurs interviews, je raconte ce que j’ai ressenti.  Dans mon souvenir, je vois le regard de cette personne, je sens que je suis menacé. Un regard d’une intensité forte, extrême. Quelqu’un qui est en train de vivre très fortement ce qu’il est en train de faire". 

Philippe Antoine rappelle alors à la cour qu’il faut "replacer les choses dans leur contexte". "Pendant plusieurs jours, cet homme armé est  l’ennemi public numéro  1, c’est l’homme le plus recherché. Il y a des barrages filtrants dans Paris, des hélicoptères dans le ciel, une émotion nationale, BFM-TV est attaquée, puis il y a "Libé" avec un blessé, et  la Société Générale. Plusieurs questions se posent : qui est cet homme, comment choisit-il ses cibles ? Et surtout qui est le prochain ?". 

Le rédacteur en chef explique ensuite que dans un premier temps, deux hypothèses lui sont venues à l’esprit : "Soit cet homme est entré et a voulu tirer et ça n’a pas marché, soit il est entré et a juste voulu faire peur. Selon moi, c’est alors la deuxième hypothèse". Cette hypothèse, il la soutiendra dans les médias, le 18 novembre 2013, quand il accepte finalement de témoigner sur les événements de BFM-TV. 

Le portrait d’Abdelhakim Dekhar alias "Toumi"Source : JT 20h Semaine
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"Volonté de tirer"

Quatre ans plus tard, sa vision n’est plus la même : "Pendant toute la procédure, j’ai posé des questions, j’ai lu attentivement le dossier, moi, ma profonde conviction aujourd’hui , j’en suis plus que persuadé, c’est qu’il y a eu une tentative et une volonté de tirer ", dit-il. 

De son côté, la défense a toujours contesté la requalification des faits commis à BFM TV en "tentative d’assassinat" alors que que l’enquête avait été ouverte dans un premier temps pour "menaces de mort".  Elle s’est aujourd’hui étonnée du changement de point de vue de Philippe Antoine. Pour expliquer cela, il confie avoir favorisé cette hypothèse afin de protéger ses proches, notamment ses enfants, alors âgés de 12 et 15 ans, en évitant de "surréagir" à cet événement. 

Le procès doit se poursuivre mercredi 22 novembre, avec notamment la déposition notamment de César S., l'assistant photographe grièvement blessé à Libération


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