Procès des attentats de 2015 : deux victimes au mauvais endroit au mauvais moment ?

Publié le 17 septembre 2020 à 20h28, mis à jour le 18 septembre 2020 à 15h33
Les services de secours se pressent à Montrouge (Hauts-de-Seine) le 8 janvier 2015 alors qu'une policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, vient d'être visée par les tirs d'un terroriste.
Les services de secours se pressent à Montrouge (Hauts-de-Seine) le 8 janvier 2015 alors qu'une policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, vient d'être visée par les tirs d'un terroriste. - Source : THOMAS SAMSON / AFP

JUSTICE - Ancien chef de la police judiciaire des Hauts-de-Seine, Michel Faury a témoigné ce jeudi au procès des attentats de janvier 2015 au sujet de la tentative d'assassinat d'un joggeur, le 7 janvier, à Fontenay-aux-Roses, puis, le lendemain, de l'assassinat de la policière municipale Clarissa Jean-Philippe à Montrouge.

Il s'est exprimé pendant près de 2h30, sans presque jamais regarder ses notes. Ancien chef de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI), de la police judiciaire des Hauts-de-Seine et actuel patron de la Brigade criminelle, Michel Faury a détaillé ce jeudi matin devant la cour d'assises spéciales comment ses services étaient intervenus au cours des trois jours des attentats de janvier 2015.

Le 7 janvier au soir d'abord, quelques heures après la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo et l'assassinat d'Ahmed Merabet sur le boulevard Richard Lenoir, la Sous-direction de la police judiciaire des Haut-de-Seine (SDPJ92) se voit confier une enquête au sujet d'une tentative d'assassinat survenue le long de la Coulée verte à Fontenay aux Roses. Vers 20h30 ce jour-là, Romain D., né en 1982, faisait son footing quand il a été atteint de cinq balles. Il parviendra à prendre la fuite, après que l'agresseur lui a dit : "Prends ça enculé !"

"Ce ne sont pas des tirs d'avertissement"

Le lendemain, à 9h30, la SDPJ92 intervient cette fois à Montrouge, où la policière municipale, Clarissa Jean-Philippe, 26 ans, est décédée après avoir été touchée par plusieurs balles alors qu'elle intervenait sur un "banal accident de la circulation". Pour Michel Faury, pas de doute, la volonté d'abattre la cible était  évidente. "C'est un tir pour tuer, il est au niveau du cou, pas au niveau des jambes. D'ailleurs, l'autre blessé ce jour-là (un employé de la ville ndlr) est touché au niveau de la joue. Ce ne sont pas des tirs d'avertissement."

Le policier souligne que le rapprochement entre les deux affaires n'est pas fait au départ. Et pour cause, si le joggeur, Romain D., grièvement blessé, fera un premier signalement, puis un autre peu de temps après, aucun ne correspond à Amédy Coulibaly. C'est en effet l'enquête qui permettra de trouver un dénominateur commun entre les deux attaques. Un rapprochement balistique est en effet opéré entre les cinq étuis percutés (douilles) retrouvés à Fontenay-aux-Roses et l'un des pistolets Tokarev dont était muni Amédy Coulibaly lors de la prise d'otages le 9 janvier 2015 à l'Hyper Cacher,

"Si on ne démontre pas que Coulibaly est le tireur, on sait que l'arme utilisée le 7 janvier 2015 sur la Coulée verte est aussi associée à  la cartouche 7.62 non percutée retrouvée le 8 janvier au matin sur la scène de crime de Montrouge", indique Michel Faury à la barre. "Cette arme sera retrouvée dans l'Hyper Cacher le vendredi." 

Si vous voulez essayer une arme pour voir si elle fonctionne, la Coulée verte est un endroit - excusez-moi - idéal
Michel Faury, ancien patron de la police judiciaire des Hauts-de-Seine

Il faut dire, tel que l'a rappelé l'avocat général, la tentative d'assassinat de Romain D. a lieu à 20h30 ce 7 janvier 2015, soit quelques heures après l'attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo dans le 11e arrondissement de Paris. "Ce jour-là, Amédy Coulibaly va se connecter à sa boite mail à 13h53 et va ouvrir un mail provenant de quelqu'un qui sera identifié comme étant peut-être le commanditaire des attentats. Coulibaly ouvre ce mail et lit ceci : 'Fais ce que tu as à faire aujourd'hui mais fais simple comme ça tu rentres dormir et ensuite tu te planques'." 

Au mauvais endroit au mauvais moment ?

À l'issue des investigations, les raisons pour lesquelles le joggeur a été pris pour cible n'ont pas été établies et l'auteur des faits n'a pas identifié. De fait, hormis l'arme retrouvée, il est encore aujourd'hui impossible d'établir formellement que son agresseur était bien Amédy Coulibaly. "Rien ne permet de faire le lien entre Romain D. et ce projet terroriste. Romain D. est au mauvais endroit au mauvais moment. Si vous voulez essayer une arme pour voir si elle fonctionne, la Coulée verte est un endroit - excusez-moi - idéal", estime l'ancien patron du SDPJ 92. "Le choix du lieu est judicieux, c'est isolé, pas du tout éclairé."

Comme Romain D., Clarissa Jean-Philippe s'est elle aussi retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment ? Abattue le 8 janvier à 8h04, à Montrouge, la policière municipale n'était peut-être pas originellement la cible du tireur, identifié ensuite comme étant Amedy Coulibaly. "Clarissa Jean-Philippe est une jeune femme pétillante, qui vient de se fiancer", souligne Michel Faury. "Rien en dehors du port de l'uniforme ne peut expliquer cette agression." 

Amedy Coulibaly visait-il ce jour-là la synagogue ou l'école juive située à quelques dizaines de mètres de la scène de crime ? Là-encore, impossible à dire malgré cinq années d'enquête et d'instruction. Parvenu à s'échapper ce jour-là, il commettra en tout cas une nouvelle attaque dès le lendemain, à l'Hyper Cacher, visant, cette fois, la communauté juive.


Aurélie SARROT

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