Procès des attentats de janvier 2015 : "Il m'a dit : 'J'ai chaud, j'ai froid, je vais crever'"

Aurélie Sarrot, à la cour d'assises de Paris
Publié le 8 septembre 2020 à 15h09, mis à jour le 10 septembre 2020 à 16h15

Source : Sujet TF1 Info

SUR PLACE – Au cinquième jour du procès des attentats de janvier 2015, plusieurs témoins qui se sont constitués parties civiles sont venus raconter ce mardi ce qu'ils avaient vécu le 7 janvier lors de l'attaque contre Charlie Hebdo. Parmi eux, Jérémy, agent de maintenance, qui a vu son collègue Frédéric Boisseau mourir dans ses bras.

C'est la première victime des attentats commis en janvier 2015 à Paris, Montrouge et à l'Hyper Cacher. Frédéric Boisseau avait 42 ans quand il a été assassiné par les frères Kouachi, le 7 janvier, vers 11h30. Ce jour-là, ce responsable d'opération chez  Sodexo se trouvait avec deux collègues au 10 rue Nicolas Appert, où était alors installée la rédaction de Charlie Hebdo, quand les terroristes sont arrivés. 

Ce mardi matin, Jérémy, 37 ans, agent de maintenance à l'époque, est venu témoigner à la barre. A la cour, il a raconté comment son "collègue", son "ami", "en couple et père de deux enfants", est mort dans ses bras sans que ni lui, ni les secours ne parviennent à le sauver.  

"C'est où Charlie ?"

Crâne rasé, costaud, le témoin relatera d'une traite ces instants difficiles, prenant à peine le temps de reprendre sa respiration entre chaque phrase. A la cour, il  explique que son entreprise venait de remporter "un appel d'offres avec la mairie" et que lui, "Fredo" et leur collègue Claude devaient effectuer une opération au 10 rue Nicolas Appert. L'équipe a un problème de clés. Ils entrent dans la loge du gardien, absent.

Lui et Frédéric Boisseau s'installent au bureau pour paramétrer les badges. "Tout d'un coup, la porte s'est ouverte, ça a fait comme un puits de lumière. Un mec est rentré et a crié : 'Charlie'. ll a tiré un seul coup, dans notre direction. Au début, je n'ai pas vu que Fredo était touché. Quand quelqu'un vous braque, vous ne le quittez pas du regard (...) Il s'est approché de moi et il a dit : 'C'est où Charlie ?' Là, j'ai mis mes bras comme ça (il mime la protection, les bras croisés sur la tête), pour me protéger. Je pensais qu'il allait m'abattre. Il avait l'air déterminé. Je pense que ce qui m'a sauvé, c'est d'avoir crié 'On est de la maintenance''.

Les terroristes repartent. Frédéric Boisseau crie : "Jérémy, je suis touché, appelle Catherine". "Quand Fredo a crié, j'ai vu la chaise renversée. Il y avait une flaque de sang qui prenait une place phénoménale. J'ai essayé de faire les premiers secours, je lui soulevais la tête pour qu'il s'étouffe pas avec son sang. J'ai pris mon téléphone, j'ai essayé de le déverrouiller. Mais avec le sang, l'état de choc, je n'y arrivais pas". 

Puis Jérémy réalise soudain qu'il n'est pas seul avec son ami blessé. Claude, son autre collègue, est là. Il lui demande '"d'appeler les flics". Puis le trentenaire croit voir les pompiers arriver. En réalité, ce sont les frères Kouachi qui réapparaissent avec une femme, Corinne Rey, dessinatrice de Charlie Hebdo, qu'ils viennent de prendre en otage. "Là, je vois la mort, je les revois passer, avec une personne en plus. Ils rebalayent avec la Kalach, sans tirer. J'étais dans un état de vulnérabilité... Puis ils ont réussi à rentrer. J'ai dit à Fredo : 'Ils vont nous finir, faut qu'on se planque'". Frédéric Boisseau ne réagit pas… 

"Dis à mes enfants que je les aime"

Jérémy prend alors son collègue et, ne parvenant pas à le "soulever", le traîne jusqu'aux toilettes et verrouille la porte. "Fredo m'a dit : ''J'ai chaud, j'ai froid, je vais crever'. J'ai essayé de joindre la police et là l'horreur, je n'arrivais à joindre personne.  J'ai entendu tous ces coups de feu "tatata tatata" (...) Fredo m'a regardé, il m'a dit : 'Dis à mes enfants que je les aime'. Son regard s'est figé. J'ai compris plus tard qu'il était mort". 

Emu mais hâbleur, le témoin égrène ses douloureux souvenirs. Il explique avoir entendu quelqu'un qui criait son prénom. C'est Claude, venu les rechercher pour dire que les terroristes avaient quitté les lieux. "Trois premiers pompiers sont arrivés et ont commencé à faire le maximum, comme dans les films, massages (...)  Six pompiers tentent de sauver la victime quand une voix féminine crie : 'C'est un carnage'". Les pompiers se précipitent dans les étages. "Ne le laissez pas" supplie Jérémy. "Ils m'ont répondu :  'Ton ami il est mort, on ne peut plus rien pour lui". Jérémy prend alors le sac d'un soldat du feu resté là, le vide, et le remplit avec les effets personnels de Frédéric Boisseau. "J'ai mis son pull et son blouson sur lui, par pudeur, pour qu'on ne le laisse pas comme ça. Il avait les yeux ouverts, je lui ai fermé les yeux". 

"Ils sont plus proches du diable que de Dieu"

A l'audience, ce mardi matin, Jérémy s'est agacé que son collègue, pourtant premier à avoir été tué, n'ait pas été cité au début par les médias qui ne parlaient "que de Charlie".  "Ca a été le premier tué, et le dernier enterré. (...) Fredo est le bon père de famille qui se levait pour aller bosser, nourrir sa famille. C'est le peuple français qu'on a oublié. C'est la personne lambda, qui n'a rien demandé à personne".  Le témoin fait part aussi de sa "haine pour ces personnes qui tuent au nom de Dieu"'. "Qu'est-ce que c'est que ces conneries, ils sont plus proches du diable que de Dieu...".

Concernant son emploi, Jérémy explique qu'il a pu le garder, contrairement à trois autres témoins entendus ce mardi. Son quotidien n'est pour autant pas simple. Il a des "insomnies", il est plus "impulsif", il peut "partir au quart de tour", il est "beaucoup plus vigilant".  "Je m'en sors pas si mal quand même, j'ai essayé de relativiser. Je n'ai pas le droit de me plaindre, je suis en vie. Je ne suis pas blessé".

Le trentenaire s'est constitué partie civile dans ce procès. Pourquoi ? "Pour avoir accès à des éléments du dossier et pour mon ami. Je me devais de le faire, donner les faits. On est dans un pays qui oublie vite. Quand les projecteurs s'éteindront, on sera passer à autre chose".

Jérémy veut que "justice soit faite". 'Je veux que la justice fasse son travail et qu'elle le fasse bien. Des attentats, il y en aura encore.  On voit comment certains pensent aujourd'hui, ce qu'il se passe. Mais je veux que justice soit faite pour que ça ne se reproduise pas si possible".


Aurélie Sarrot, à la cour d'assises de Paris

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