Attentat contre Charlie Hebdo : "C'est horrible à dire, mais j'aurais aimé être avec lui", confie la fille de Bernard Maris

Publié le 11 septembre 2020 à 15h22
Dessin de la salle d'audience, lors du premier jour du procès de Charlie Hebdo-Hyper Cacher le 2 septembre
Dessin de la salle d'audience, lors du premier jour du procès de Charlie Hebdo-Hyper Cacher le 2 septembre - Source : Benoit PEYRUCQ / AFP

PROCÈS – Après les premiers témoignages jeudi, les proches des victimes assassinées dans les locaux de Charlie Hebdo il y a cinq ans ont continué à prendre la parole ce vendredi dans le cadre du procès des attentats de janvier 2015. Ils ont rendu hommage ce matin au journaliste Bernard Maris, puis au dessinateur Tignous.

Ils ont tous exprimé ce vendredi matin la difficulté de "venir à la barre" mais ont fait part de ce besoin de témoigner en hommage à ceux qu'ils ont perdus. Comme jeudi, plusieurs proches des victimes assassinées par les frères Kouachi le 7 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo sont venus parler de ceux qu'ils aimaient devant la cour d'assises spéciale de Paris.

Emplis de chagrin, ne pouvant parfois retenir leurs larmes et leur émotion, compagne, épouse ou enfants, ils ont tour à tour rendu hommage à Bernard Maris, journaliste, écrivain et économiste puis à Tignous dessinateur.

"Je le voyais partout, je lui parlais"

La journaliste Hélène Fresnel, compagne de Bernard Maris, a été la première à s'exprimer. Très émue, elle choisit de lire un texte pour évoquer l'homme qu'elle aimait. Ce 7 janvier 2015, elle se souvient des derniers mots qu'il lui a adressés : "A tout à l'heure mon amour"

Elle se remémore ensuite douloureusement le moment où cette collègue est venue lui "taper sur l'épaule" pour lui dire :" il y a eu une fusillade à Charlie", puis son arrivée rue Nicolas-Appert. Puis quand Patrick Pelloux lui a annoncé l'inaudible nouvelle : "Bernard est mort". Hélène Fresnel s'effondre : "Je crois que je claquais des dents", précise-t-elle. Les pleurs ponctuent son témoignage quand elle parle du journaliste, aussi "poète et artiste". "Après, je crois que je suis devenue un petit peu folle après, je le voyais partout, je lui parlais. Je crois que j'ai été sauvée par mes enfants et par la psychologue de la police", confie-t-elle, remerciant la fonctionnaire de son aide précieuse.

"C'est horrible à dire, mais j'aurais aimé être avec lui"

Puis Gabrielle Maris, fille de Bernard Maris, a témoigné son amour à ce "père merveilleux", "vivant", "généreux", "protecteur" et dont elle a été "très proche" jusqu'à ses 19-20 ans.  

Très éprouvée elle aussi, elle prend sa tête entre ses mains, a le regard fixe, puis déclare : "On ne peut pas perdre son père dans ces conditions, là. Je pense qu'il a eu peur, ça fait tellement mal, d'imaginer, une des personnes les plus importantes... d'imaginer cette terreur. C'est horrible à dire, mais j'aurais aimé être avec lui. Lui tenir la main. Lui dire : "'Ne t'inquiète pas, allez, c'est rien'." 

"On m'a arraché quelque chose de très cher"

Raphaël Maris n'avait que 18 ans quand son père est décédé. Chemise blanche, pantalon noir, le jeune homme brun qualifie le 7 janvier de "pire journée de sa vie". Ce jour-là, il apprend la fusillade à Charlie. Il est à Toulouse où il vit lui aussi. Il appelle plusieurs fois sur la messagerie de son père et n'entend que ce message qui se répète inlassablement :"Bonjour, vous êtes bien sur le portable de Bernard Maris…". 

Puis il apprend que son père est mort. "Je n'ai pas voulu voir son corps. Je voulais garder une image de lui. Son sourire". Puis il évoque ce papa qui lui "a apporté des centres d'intérêts": "Tintin", "les étoiles", "les constellations". "C'était quelqu'un de très distrait, il était un peu dans la lune, confie-t-il. (…) On m'a arraché quelque chose de très cher. J'étais dans la fascination, j'étais en admiration de ce qu'il était". Son "deuil", il dit l'avoir fait "grâce au travail". Il conclut: "Face au terrorisme, il ne faut pas avoir peur". Les gens de Charlie, je suis avec eux dans leur combat. Avec leurs stylos, oui, c'est un combat."

"Un radeau, des naufragés"

La femme de Bernard Verlhac, alias Tignous, a été la dernière à venir à la barre ce vendredi matin, pour parler de "son mari", "son amoureux", "le père de ses deux enfants" dont l'un, Solal, n'avait que 5 ans quand il a perdu son papa. Ce 7 janvier, Chloé Verlhac partait d'ailleurs le récupérer à la maternelle quand on lui a dit qu'il y avait une fusillade. Elle essaye de joindre Tignous, en vain, puis se rend à Charlie Hebdo. En route, elle appelle les autres membres de la rédaction. "Evidemment, personne ne répond…". En arrivant rue Nicolas-Appert, elle franchit les barrières de sécurité et répète plusieurs fois :"Je suis la femme du dessinateur Tignous, j'ai deux enfants en bas âge je veux savoir s'il est vivant ou blessé. Personne ne pouvait me répondre." Au théâtre de la Bastille où les proches sont rassemblés elle demande : "Mais il est mort??" C'est Luz qui lui annonce la nouvelle, en hochant la tête. 

"La maison pendant un mois, ça a été un radeau sur lequel on était des naufragés", dit-elle. "Aujourd'hui, j'ai besoin de réponses sur les levées de surveillance, les dysfonctionnements, les complicités, les responsabilités et les personnes qui doivent les porter. J'ai besoin de comprendre pourquoi parce que je vais devoir expliquer à nos enfants et c'est pas facile.".  

 

Elle précise que Tignous était enfant de la banlieue et d’employés modestes. "Il n’y a pas de fatalité, on devient ce qu’on veut être", lance-t-elle dans un message adressé aux terroristes et aux accusés.


Aurélie SARROT

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