Procès Jawad Bendaoud : "Leur complicité avec Abaaoud et Akrouh ne fait aucun doute", déclare le père d'une victime

par Aurélie SARROT Aurélie Sarrot
Publié le 5 décembre 2018 à 17h29, mis à jour le 6 décembre 2018 à 10h11
Procès Jawad Bendaoud : "Leur complicité avec Abaaoud et Akrouh ne fait aucun doute", déclare le père d'une victime

JUSTICE - Plusieurs parties civiles, victimes directes ou indirectes des attentats du 13 novembre 2015, ont été entendues ce mercredi dans le cadre du procès de Jawad Bendaoud, poursuivi pour "recel de terroriste" et Youssef Ait Boulahcen, jugé pour "non-dénonciation de crime terroriste". Le procès doit durer jusqu'au 21 décembre.

Certaines étaient venues en première instance, d'autres non. Certaines ont décidé de le faire dans le cadre de ce procès en appel, d'autres y ont renoncé. Car "raconter les faits et leurs conséquences n'est déjà pas simple mais le faire en public et à quelques centimètres des prévenus c'est encore plus compliqué", nous confiait une partie civile récemment. 

Ainsi, ce mercredi 5 décembre, plusieurs victimes directes ou indirectes des attentats du 13 novembre 2015 ont été entendues par la cour dans le cadre du procès de Jawad Bendaoud, 32 ans, poursuivi pour "recel de terroriste" et Youssef Ait Boulahcen, 26 ans, jugé pour "non-dénonciation de crime terroriste". Toutes ont demandé à la cour que "justice soit faite" et ont exigé des prévenus "la vérité".

"Appât du gain", "caïd de quartier"

Patrick a été le premier à prendre la parole. Il l'avait déjà fait au premier procès. Patrick a perdu sa fille Nathalie, "assassinée lâchement sur son lieu de travail au Bataclan comme 129 autres personnes" ce vendredi 13 novembre 2015. La dernière fois qu'il a vu son visage, c'est à l'institut médico-légal de Paris, et il n'a pu l'embrasser. Triste, plein de colère, cet homme a pris la parole, lisant, comme il l'avait fait au premier procès, les lignes qu'il avait rédigées à l'attention de la justice. 

"J'ai été il me semble par l’intermédiaire de mon avocat Maître Ducrocq le premier à interjeter appel. Pourquoi avoir fait appel ? Il est hors de question, bien entendu, et de cela j’en suis persuadé, d’accuser les dénommés Soumah, Assalam, et Bendaoud des meurtres perpétrés le soir du 13 novembre 2015, et les motifs d’accusation contre eux ne correspondent d’ailleurs pas à des crimes terroristes, car dans ce cas là nous nous serions retrouvés aux assises avec des jurés populaires. Par contre, leur complicité avec Abaaoud et Akrouh, à mes yeux, ne fait aucun doute", estime le père de famille. 

Selon lui, les trois prévenus savaient pertinemment ce qu'ils faisaient et à qui ils avaient affaire. Pour lui, Youssef Ait Boulahcen est "sûrement le plus dangereux des trois car sûrement le plus radicalisé", Jawad Bendaoud est "un menteur professionnel" qui a notamment "logé ces salopards (Abaaoud et Akrouh) en parfaite  connaissance de cause par appât du gain et peut-être aussi pour asseoir sa position de caïd du quartier". 

Le père de Nathalie finit son intervention, persuadé qu'il y aura d'autres attentats en France et considérant que les prévenus devaient "avoir des peines exemplaires" pour entre autres "dissuader ceux qui auraient envie de les imiter".

"Elle n'est pas morte, elle est vivante"

Mostafa, deuxième partie civile à venir à la barre, parle au nom de sa fille, Sarah, qui se trouvait à La Belle équipe le 13-11-15. "Je suis le papa de Sarah...", lance-t-il comme premiers mots.

L'homme mince, barbe rasé de près, cheveux gris, se met à pleurer. "Elle n'est pas morte, elle est vivante", précise-t-il avant de poursuivre. Si Sarah est vivante, elle est aujourd'hui traumatisée. Le 13 novembre, peu après 21 heures, "elle a cru que l'anniversaire à la Belle équipe avait commencé... quand elle a entendu les premières rafales" (...) Ensuite il a fallu traverser les corps, des gens qu'elle connaissait, il y en avait partout", poursuit Mostafa. Maintenant, il faut vivre avec...". Comme beaucoup d'autres parties civiles, Mostafa ne veut qu'une chose aujourd'hui : la vérité. Il n'a pas l'impression de l'avoir eue pour l'instant. 

" J'ai besoin de me faire violence"

Romain se trouvait lui aussi à La Belle équipe avec sa compagne de l'époque. Sportif de haut niveau, chefs des ventes de profession, il a "subi depuis 2017 plusieurs refus de poste et deux licenciements" suite à ses "problèmes médicaux". "Cela me laisse aujourd'hui du temps pour assister aux audiences. Aussi, j'ai besoin de me faire violence et de venir ici afin de comprendre", explique-t-il. 

"Sous traitement psychiatrique et hormonal", Romain dit "faire partie des blessés psychologiques. Ceux pour qui le diagnostic est complexe. Ceux qui arrivent porter un costume et qui semble aller bien. Ceux qui arrivent à vous parler normalement en vous regardant dans les yeux mais qui intérieurement sont détruits". Romain indique avoir vu plusieurs professionnels de santé mais "ne jamais avoir eu les mêmes conclusions". "On m'a parfois dénigré, on m'a parfois invité à l'Elysée ou au ministère de la Justice", précise-t-il. 

"Je ne suis pas ici pour décider si les prévenus sont coupables, je ne veux pas non plus que notre malheur soit mis en scène. Je décris une réalité et nous voulons tous connaître la vérité. Tout simplement", explique-t-il, ému, à la cour. 

"J'ai 26 ans, on dirait que j'en ai 40"

Sarah était elle serveuse près du Stade de France.  "J’ai rien préparé. J’ai été victime du 13 Novembre 2015 au Stade de France. On n’en parle pas forcément", lance-t-elle à la cour avant de poursuivre. 

Ce soir-là, alors que le match France-Allemagne vient de commencer, elle apporte le café qu'un client vient de lui commander en terrasse. Retentit alors la première explosion. "Ça a explosé. C’était un kamikaze. J'avais du sang au niveau du front, des impacts au niveau du corps...", raconte la jeune femme très éprouvée. 

"J'ai dû attendre jusqu'à une heure du matin que le Stade de France soit évacué. Deux jours après, j'étais convoquée par le ministère de l'Intérieur, on m'a beaucoup interrogée, on m'a montré des photos... " poursuit-elle. "Je suis rentrée à Saint-Denis après. J'ai subi un double attentat, j'ai entendu des tirs, j'ai appelé l'adjoint, M. Stéphane Peu (au maire de Saint-Denis, chargé de l'urbanisme, député de la 2ème circonscription de la Seine Saint Denis, ndlr), je l'ai réveillé". 

Elle conclut : "Vous laissez des personnes en liberté comme ça, vous savez pas quel préjudice on a subi. J'ai 26 ans, on dirait que j'en ai 40, j'ai des traces sur le visage, sur le corps".  Elle aussi veut connaître la vérité. 

En classe deux jours après les attaques

La dernière partie civile à s'exprimer ce mercredi matin est un jeune professeur qui s'est retrouvé lui aussi au coeur des attaques le 13 novembre. Le 15 pourtant, il regagnait déjà les bancs de l'école... Non sans mal. 

Il savait que deux jours après les attaques, les terroristes n'avaient pas été arrêtés. "Je regardais les chaînes d'information sur mon écran d'ordinateur.  Dès que j'entendais des pas dans le couloir, je pensais que c'était eux. J'avais les yeux rivés sur le portail de l'établissement. Un sentiment d'hyper vulnérabilité... (...) Ça a été une période difficile délicate, avec cette incertitude glaçante et angoissante", poursuit le professeur, qui indique avoir entrepris un "travail il y a plus de trois ans" pour tenter d'aller mieux..  

Les attentats des Paris ont fait 130 morts et plus de 400 blessés. Jeudi, ce sont les victimes du 48, rue de la République qui seront entendues par la cour. 


Aurélie SARROT Aurélie Sarrot

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