Gérard Collomb souhaite muter et radier les fonctionnaires radicalisés, mais que dit la loi ?

par Claire CAMBIER
Publié le 12 septembre 2017 à 16h14
Gérard Collomb souhaite muter et radier les fonctionnaires radicalisés, mais que dit la loi ?

ÉCLAIRAGE – La proposition du ministre de l'Intérieur de renforcer le projet de loi antiterroriste en permettant notamment de licencier des fonctionnaires soupçonnés de dérives radicales a fait réagir. Que dit actuellement la législation à ce sujet ? Cette annonce est-elle réalisable ? Maître Laurent Rabbé, avocat au barreau de Paris et enseignant de droit public à l'Université de Paris XII, a répondu à nos questions.

"Je m'attendais justement à recevoir des appels de journalistes", s'amuse Maître Laurent Rabbé au bout du fil. Comme beaucoup de Français, cet avocat au barreau de Paris, spécialiste des questions de droit public, n'est pas resté indifférent face aux annonces du ministre de l'Intérieur sur les fonctionnaires radicalisés, qu'il souhaite radier. "Ce qui m'a surpris, c'est qu'on retombe dans le débat des fichés S" (ndlr : débat qui avait notamment divisé les candidats à la campagne présidentielle). Lorsque Gérard Collomb parle de personnes radicalisées, "il faut savoir précisément ce que cela signifie".

Du réchauffé ?

"Si un fonctionnaire est convaincu d'apologie du terrorisme ou est publiquement sorti de son devoir de réserve pour exprimer par exemple publiquement son opposition à l'égalité hommes/femmes, il est déjà susceptible d'être sanctionné par sa hiérarchie", remarque Me Rabbé. Face à de tels actes, un agent est à coup sûr convoqué en conseil de discipline. Alors que veut dire le ministre lorsqu'il parle de durcir la loi ? Le flou persiste. "Si l'idée est de passer à une étape supérieure, alors on pourrait révoquer un fonctionnaire pour une simple suspicion. Mais alors là, on sort d'un Etat de droit", souligne-t-il. "De la même façon qu'on ne peut pas condamner une personne sur des doutes, on ne peut pas licencier quelqu'un sur des suppositions".

Au-delà des doutes, il faut donc qu'il y ait des faits établis. Le manquement à la déontologie comme à celui du droit de réserve en font partie. Mais Me Rabbé fait remarquer que "si un homme travaillant à un poste administratif se laisse pousser la barbe, quel problème cela pose-t-il ?"

Une réglementation bien encadrée

Et la loi vise justement à empêcher tout abus. En cas de révocation, un conseil de discipline émet un avis consultatif, le responsable hiérarchique, en général le ministre de tutelle, prend la décision finale. Mais ce dernier n'a pas tout pouvoir : en cas de décision disproportionnée, le fonctionnaire incriminé peut déposer un recours devant le tribunal administratif, voire en cas d'échec, devant la Cour européenne des Droits de l'Homme. Les accusations doivent donc être fondées, sans quoi la révocation sera tout bonnement annulée.

Une dizaine de "licenciements" par an

Actuellement, les révocations sont "des cas exceptionnels" à l'échelle de la fonction publique. "On parle d'une dizaine de cas par an", estime l'avocat. Les motifs qu'il a rencontrés dans sa carrière allaient du harcèlement de subordonnés au détournement de fonds publics. Dans la plupart des cas, les personnes concernées font également l'objet de poursuites pénales. Mais les sanctions disciplinaires et la justice sont bien indépendantes. Une condamnation au pénal ne signifie ainsi pas toujours un licenciement et inversement.

Les mutations, un cas de figure largement exploité de nos jours

Si les révocations sont rares, la mutation, autre solution évoquée par Gérard Collomb, est plus plausible. Une personne ayant accès à des données sensibles peut en effet être mutée très facilement, même en cas de suspicion. "C'est très courant dans la fonction publique et parfois pour des raisons bien plus futiles", rappelle Me Rabbé. A titre d'exemple, un agent qui ne s'entend pas bien avec sa hiérarchie ou ses collègues peut être changé de service pour éviter les troubles. "Et ça, ce n'est pas possible de le contester devant le tribunal administratif", souligne l'enseignant en droit public, sauf si cela détériore ses conditions (par exemple une baisse de rémunération ou un éloignement de son lieu de travail par rapport à sa résidence).

Gérard Collomb a-t-il alors voulu simplement rassurer la population ? Pour le savoir, il faudra attendre que le ministre détaille un peu plus son annonce.


Claire CAMBIER

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