Scandale à la fac de médecine de Paris : le combat de 21 familles pour la dignité de leur parent défunt

Publié le 28 janvier 2020 à 15h50, mis à jour le 28 janvier 2020 à 16h40

Source : Sujet JT LCI

- De la révélation de l'enquête au dépôt d'une plainte, 21 familles défendent la mémoire de leurs proches ayant donné leur corps à la faculté de médecine de Paris, entretenus dans des conditions indignes. Face au silence assourdissant des institutions, elles réclament la vérité et que justice soit faite.

21 familles dont l'un des parents a donné son corps à la faculté de médecine de Paris vont déposer plainte contre X  dans les tous prochains jours pour atteinte à l'intégrité d'un cadavre. Toutes ont découvert en novembre dernier les conditions de conservation des cadavres donnés à la médecine à la fac de Paris-Descartes. Des hommes et des femmes qui aujourd'hui demandent à faire toute la lumière sur cette sombre affaire.

Parmi eux figure Baudouin Auffret, 28 ans. Lorsque l'affaire a éclaté, cet informaticien a d'abord mis du temps avant de comprendre que son père, âgé de 85 ans, ayant donné son corps à l’Université Paris Descartes à sa mort en mars 2017, faisait partie de l'atroce charnier au cœur de Paris décrit par la journaliste Anne Jouan dans l'Express : "Je trouvais les descriptions tellement surréalistes que cela m’a pris 24 heures pour réaliser que mon père était sûrement concerné par ce scandale, avoue-t-il. De son vivant, il nous avait brièvement parlé de sa volonté de faire don de son corps à la science, notamment le Noël de la veille de son décès. Ce qui le motivait, c'était de se rendre utile après sa mort." 

Jean-Jacques, 65 ans, dont le père mort en 2015 et la mère morte en 2017 se souvient, lui, avoir ressenti de la colère, notamment face aux déclarations du professeur Guy Vallancien, directeur du Centre des dons de 2004 à 2014 : "Il y avait une trahison dans la promesse du don du corps, du côté altruiste, désintéressé et non mercantile. S'il s'avère que les corps ont bien été utilisés dans des industries, il y a un motif supplémentaire de contestation. De plus, nos proches ont donné leurs corps à la science pour qu'ils servent et, au lieu de s'en servir correctement, ces gens les ont laissé se dégrader dans un coin, jusqu'à en devenir inutiles. C'est aussi scandaleux que si vous donniez de l'argent à une association humanitaire et qu'elle ne l'utilise pas. Et c'est encore plus choquant au regard des valeurs morales liées au corps". 

"Nous sommes en colère"

Le lendemain de l'éclatement du scandale, Baudouin fonde le collectif "Proches des victimes du centre de don des corps de Descartes" sur Facebook et rapidement, il est rejoint par d'autres familles partageant le même désarroi : "Au départ, on devait être une petite dizaine. Comme on a diffusé l'existence de ce groupe sur les coupures de presse, les articles sur Internet..., on est rapidement monté en une semaine à une cinquantaine de familles, puis une centaine. Et très vite, assez naturellement, l’idée de déposer une plainte groupée a germé, pour voir qui serait intéressé pour aller plus loin."

L’Université Paris-Descartes tente de répondre, dans un premier temps : "Plusieurs familles ont essayé de recueillir des informations en se rendant Rue des Saints-Pères et en guise de réponse, l’université s’emmêlait les pinceaux, ne donnant aucune date précise" constate Baudouin Auffret. "Elle avait mis une cellule psychologique au début qui ne répondait jamais et quand les psychologues répondaient, c’était très évasif pour être poli. Noyés sous nos interrogations, ils ne savaient pas quoi répondre."

"Le discours des psychologues consistait à dire que nous avions bien fait de respecter la volonté de nos proches et que de fait nous ne devions pas culpabiliser" ajoute Solange, 69 ans, dont le père a donné son corps début février 2019. "Plusieurs familles ont rétorqué : 'Nous ne culpabilisons pas, nous sommes en colère, ce n'est pas pareil'." De son côté, Jean-Jacques a envoyé des mails pour savoir ce qu'était devenu le corps de sa mère, sans réponse de la part du centre de dons ("Peut-être n'ai-je pas assez insisté" regrette-t-il). 

Ce qui s’est passé dans ce centre de don est tellement horrible, tellement grotesque que les gens ont du mal à se dire que cela s’est réellement produit
Baudouin Auffret, représentant du collectif "Proches des victimes du centre de don des corps de Descartes"

Face aux nombreuses sollicitations, l'université ne communique plus que par mail : "Sur place, nos interlocuteurs rejetaient en bloc ou se refilaient la patate chaude, se souvient Baudouin Auffret. Or, nous en tant que familles, on ne pouvait pas s'en contenter, de même qu'on ne pouvait pas se contenter d’un simple tweet d’Agnès Buzyn. Certaines familles ont même écrit au président de République, sans réponse concluante de sa part." Et les familles de donneurs de craindre que l'affaire ne sombre dans l'oubli, balayée par l'actualité. 

Le collectif ne baisse pas les bras, se réunit, s'organise : "Ce qui s’est passé dans ce centre de don est tellement horrible, tellement grotesque que les gens ont du mal à se dire que cela s’est réellement produit, remarque son instigateur." Des portraits des victimes ont été rédigés et publiés par l'Express afin de mettre des visages sur celles et ceux que l’on résume à des cadavres. "C’était une première étape pour rendre une humanité bafouée. Puis, nous nous sommes réunis au Père-Lachaise pour faire une action le 18 janvier 2020. C’est alors que le directeur de l’Ecole de Chirurgie du Fer à Moulin, dépendant de l’AP-HP, est venu à notre rencontre. Il nous a confié comprendre notre ressenti et nous a révélé que, depuis cette affaire, des gens avaient déchiré leur carte de donneur. L’école de chirurgie a beau ne pas être incriminée par l’enquête, elle a ressenti son impact." 

"Si ce professeur a tenu à venir nous parler au Père-Lachaise, c'était pour appuyer l'idée qu'à l'école de chirurgie, le traitement des corps et des familles est bien différent" confirme Carole, dont la mère a donné son corps en 2015. "Pas de démembrement, vraie traçabilité, personnel spécifique pour répondre aux familles, restitution des cendres sur demande... il tentait d'éviter l'amalgame", note-t-elle. 

"Pourquoi le don d’organes est très encadré et pourquoi le don des corps ne l’est pas ?"

Les 21 familles de donneurs ont depuis mandaté un avocat spécialiste en droit médical. Le parquet de Paris avait annoncé, de son côté, le vendredi 29 novembre 2019 avoir ouvert une enquête pour "atteinte à l'intégrité d'un cadavre", ouverte par le pôle santé publique du parquet et confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Les familles de victimes ne savent rien de son évolution.

Au-delà des conditions déplorables dans lesquelles les corps étaient entretenus, l’autre problématique que soulève le groupe, c’est à quoi servent les corps après le don à la science : "Pourquoi le don d’organes est très encadré et pourquoi le don des corps ne l’est pas ? demande Baudouin Auffret. Selon les documents que j'ai consultés, l’Université Descartes engouffre de nombreux flous juridiques pour faire ce qu’ils veulent des corps : leur faire faire des crash-test, les fournir à des entreprises privées, les revendre etc." 

"Ce que je déplore, poursuit Baudouin, c'est qu'il n’y ait pas de communication entre les familles et le centre de dons. Or, en communiquant mieux, les donneurs signeraient en toute connaissance de cause et les familles de donneurs n’auraient plus de mauvaises surprises." En d'autres termes, ils demandent collectivement qu'à l'avenir, une liste claire soit établie pour que le donneur soit au courant en amont de comment son corps va être utilisé. 

A bout, laissées sans réponse, les 21 familles vont porter plainte contre X pour atteinte à l'intégrité d'un cadavre afin que ce scandale ne se reproduise plus et pour pouvoir défendre la mémoire de leurs proches. Leur but : que la réglementation change : "On ne veut pas de l’argent, on veut faire évoluer la traçabilité du centre des dons, arrêter la marchandisation des corps, communiquer principalement aux familles, condamner et punir les responsables du centre de dons à l’Université de Paris (NDLR. Le nom de Paris Descartes ayant changé le 1er janvier 2020)." 

Les 21 familles ont prévu une prochaine action le 27 février en face de l’Université de Paris, bien déterminées à ne pas laisser le scandale comme la conscience des responsables tranquilles.


Romain LE VERN

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