"On est en train de refaire mon procès là ?" : 15 ans après son acquittement, comment Patrick Dils s'est à nouveau retrouvé à la place de l'accusé

À Metz, Maud Vallereau
Publié le 27 avril 2017 à 10h53, mis à jour le 27 avril 2017 à 12h37
"On est en train de refaire mon procès là ?" : 15 ans après son acquittement, comment Patrick Dils s'est à nouveau retrouvé à la place de l'accusé

JUSTICE - Le procès de Francis Heaulme pour le meurtre de deux enfants en 1986 à Montigny-lès-Metz a tourné mercredi au procès de Patrick Dils. Ce dernier, aujourd’hui cité comme témoin, avait été acquitté 15 ans plus tôt dans cette affaire. Mais les avocats avaient décidé de le bousculer et d’instiller le doute dans la tête des jurés.

Patrick Dils ne sait pas bien ce qu’il fait là, quinze après son acquittement.  "Je suis même surpris d’être entendu" dit l’homme dont le visage fin et pâle vient d’apparaître sur les écrans de la cour d’assises de la Moselle devant laquelle comparaît Francis Heaulme. Et qui en 1989, avait jugé le gamin Dils, à huis clos. Pour les mêmes meurtres, ceux d’Alexandre Beckrich et Cyril Beining, 8 ans, tués à coups de pierres il y trente ans à Montigny-les-Metz. Patrick Dils avait pris perpétuité avant d’être innocenté en 2002 au terme d’un marathon judiciaire. "J'ai le plus profond respect pour les familles des victimes. Moi aussi je veux savoir pourquoi on a enlevé la vie à ces enfants qui, comme moi, ne demandaient qu'à vivre, grandir et être heureux", explique Patrick Dils aujourd’hui cité comme témoin.  

Ses traits n’ont pas vraiment changé, l’histoire non plus. Il avait 16 ans ce dimanche de septembre 86 lorsque, après avoir ramassé des pommes avec ses parents, il était parti "rue de Venizelos pour approvisionner (sa) collection de timbres". L’adolescent introverti et mal dans sa peau qu’il était aimait aller fouiner dans la benne de papiers pour y dénicher quelques pépites. Ce jour-là, il a entendu "une voix de femme apeurée appeler ‘Alexandre’ et un homme répondre ‘tais-toi’". Patrick Dils est rentré chez lui, n’a rien dit aux parents, ni à la police qui faisait le lendemain le tour du voisinage après la découverte des corps des deux enfants. Il s’est "tu" parce qu’il ne voulait pas que les autres qui l’affublaient de "quolibets" le traitent de  "fouille-poubelle". 

Je ne suis pas monté sur ce talus"
Patrick Dils

"La police va s’apercevoir que je n’ai pas dit la vérité et partir du principe que j’ai menti sur toute la ligne" analyse-t-il aujourd’hui. Après 30 heures d’interrogatoire, il passe aux aveux. Les enquêteurs  "m’ont dit ‘si t’as fait une bêtise, tu le dis et tu rentreras chez toi’. Je les ai crus. L’enfant que j’étais était prêt à dire n’importe quoi pour rentrer chez lui. C’est très compliqué de pouvoir comprendre tant qu’on n’est pas confronté à la situation, développe-t-il devant la cour. J'étais un fruit trop mûr, il n’y avait qu’à presser pour obtenir le jus qu’on voulait." 

Des explications immédiatement balayées par l’avocat de la grand-mère d’Alexandre Beckrich convaincue de sa culpabilité. Me Rondu demande des précisions sur ce qu’il considère être des zones d’ombre puis lit l’intégralité de ses aveux. "Mais qu'est-ce que vous voulez que je vous explique ? On est en train de refaire mon procès là ?", interroge incrédule Patrick Dils. Certains avocats des parties civiles et de la défense en ont l’intention. "Vous avez fait perdre beaucoup de temps à la justice", ose l’un d’entre eux. Le témoin devenu accusé a lui perdu près de la moitié d’une vie derrière les barreaux. "Quand on est incarcéré pour meurtres d’enfants, c’est l’enfer tous les jours. Je suis passé par le racket, le tabassage en règle, les viols à répétition, avait-il témoigné pudiquement un peu plus tôt. Si j’avance aujourd’hui, c’est que j’ai une femme extraordinaire à mes côtés et deux petites filles". Les mots du condamné à tort n’émeuvent que le public.  

Durant plus de deux heures trente, Patrick Dils encaisse les questions insidieuses, les soupçons et se justifie : "Je ne suis pas monté sur ce talus", "Je n’ai enlevé la vie à personne",  "Je n’étais pas capable de dire ‘stop’, j’étais docile, ça a joué en ma défaveur"… Puis un peu sonné, s’arrête et souffle : "C’est hallucinant… C’est fou, j’ai vraiment l’impression que l’on est en train de faire mon procès".  Derrière les vitres transparentes du box, le vrai accusé, celui dont on fait le procès, ne bouge pas et écoute les débats s’éloigner très loin de lui.


À Metz, Maud Vallereau

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