EXCLUSIF – Anna Gavalda : "Je suis aussi paresseuse que Françoise Sagan, mais beaucoup moins dépensière"

par Jennifer LESIEUR
Publié le 25 mai 2015 à 11h18
EXCLUSIF – Anna Gavalda : "Je suis aussi paresseuse que Françoise Sagan, mais beaucoup moins dépensière"

POCHE – La très discrète Anna Gavalda réunit ses trois derniers romans courts (“Billie”, “Mathilde” et “Yann”) en poche, sous le titre “Des vies en mieux” (J'ai Lu). Alors qu'elle ne donne presque plus d'interviews, elle nous a fait l'amitié de répondre à nos questions par e-mail, car , dit-elle, “je suis mauvaise à l'oral”.

En réunissant ces trois “novellas”, un fil directeur vous est-il apparu après coup ?
J'avais rendu à mon éditeur un gros manuscrit, bien épais et rempli d'histoires qu'il a entamé par la fin. La fin, c'était Billie et il l'a tellement aimée qu'il m'a proposé de la publier seule ; parce qu'elle le valait bien, comme ils disent dans le cosmétique. Billie parue, je n'ai eu de cesse de vouloir libérer aussi Mathilde et Yann, deux autres jeunes gens (c'était ma période cougar) de deux autres histoires. “Libérer”, c'est vraiment le mot exact. Je voulais les voir vivre, les voir sortir de mon disque dur.

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Au moment de la parution en poche, j'ai voulu les réunir parce que je trouve qu'ils vont bien ensemble, qu'à eux trois, ils disent beaucoup de choses du monde d'aujourd'hui. Billie est née dans un chou pourri et les deux autres dans des roses soyeuses, et pourtant, sur l'essentiel, ils en sont tous au même point : que faire de nos vies ? Serons-nous jamais utiles ? Qui allons-nous aimer ? Qui va nous aimer ? Et pourquoi nous sentons-nous toujours si seuls ? Du coup, il me reste des histoires sur les bras (qui étaient dans ce manuscrit “originel”) et je dois écrire d'autres nouvelles pour leur offrir un vrai recueil.

Billie, Mathilde et Yann sont-ils un condensé des jeunes gens d’aujourd’hui, un peu paumés dans la vie moderne, mais pas complètement endormis du cœur ?
Oui, mais ce n'est pas là l'apanage des jeunes gens. De 7 ans (l'âge de raison) à 107 ans, nous en sommes TOUS là : un peu paumés et pas complètement endormis du côté du cœur. C'est ce qui fait de nous des êtres humains humains, justement. Nous sommes tous “inconsolables et gais”, c'est Pascal qui l'a dit et c'est, je trouve, une merveilleuse définition de nous. Tous autant que nous sommes, pauvres bipèdes râleurs, lâches, fragiles et mortels, nous rêvons tous d'absolu. Bon, il y en a parmi nous qui rêvent plutôt d'un nouvel écran plat, d'une victoire en Ligue des champions ou d'enjoliveurs chromés, mais dès que tu grattes un peu (et c'est mon métier de gratter), tu aperçois toujours de la lumière au fond du couloir. Toujours. Et puis, bien sûr, il y a les cas désespérés, les raclures de l'humanité, mais ce qui est bien avec eux, c'est qu'ils mourront aussi. Mais beaucoup plus seuls.

“Nous sommes tous ‘inconsolables et gais’, c'est Pascal qui l'a dit et c'est, je trouve, une merveilleuse définition de nous.”

Ces trois personnages ont une violence en eux qui ne demande qu’à sortir. Faut-il péter les plombs pour être enfin heureux ? Du moins, quand on est un personnage de roman ?
Probablement. Mais c'est inutile de faire tout un raffut. Un pétage de plomb “pour être heureux” – ou pour être plus heureux, disons — c'est souvent un craquement/craquage silencieux et invisible à l'œil nu. C'est un travail sur soi, pas contre les autres. (Hé, je m'exprime comme un gourou à deux balles, là… je devrais monter une secte !) [Rires].

Billie avait reçu quelques critiques sévères, avez-vous deviné pourquoi ?
Non et j'avoue avoir été très blessée (pour elle, pas pour moi) quand on lui a reproché sa grossièreté alors que, de tous les personnages que j'aie jamais créés, elle est (et de loin) la plus élégante, la plus classe et la plus noble de cœur. C'est une reine, ma Billie, une reine ! ( Et puis, cette histoire de grossièreté ne tient pas debout, Coluche disait beaucoup de gros mots et il a fondé les Restos du cœur, d'autres s'exprimaient dans la langue la plus chaste qui soit et ont détourné de l'argent public ou des dons collectés pour lutter contre le cancer ou je ne sais quoi de plus lamentable encore…) Il ne faut pas confondre grossièreté et vulgarité.

“De tous les personnages que j'aie jamais créés, Billie est (et de loin) la plus élégante, la plus classe et la plus noble de cœur.”

À quand un nouveau roman ?
Je ne sais pas. Je suis restée longtemps sans écrire. Mon clavier était cassé. Il manquait la touche Espace.

À quand une nouvelle… nouvelle ?
Elle est en cours. Elle parle d'amour et de trahison. Un sujet très original. J'innove totalement.

Avez-vous d’autres adaptations en cours de vos œuvres pour le cinéma ou la télé ? Écrire un scénario de long métrage ou de série ne vous tenterait-il pas, d’ailleurs ?
Tout me tente, tout ! Le problème, c'est que (sans me comparer à elle sur le plan du talent, bien sûr), je suis aussi paresseuse que Françoise Sagan, mais beaucoup moins dépensière. Elle se rendait au casino et aux courses alors que moi je vais au Casino faire mes courses et elle conduisait une Jaguar Type E alors que je passe le plus clair de mon temps à regarder les gens dans le métro. Pour mon éditeur, c'est une calamité.

“Je suis restée longtemps sans écrire. Mon clavier était cassé. Il manquait la touche Espace.”

Suivez-vous de près l’actualité ? Y a-t-il un événement qui vous interpelle, taraude, navre, émerveille ?
Je suis totalement déconnectée de l'actualité, mais, dans le métro, il n'y a pas un seul visage que je ne regarde pas longuement en me demandant qui se cache derrière et quelle est l'actualité de ce cœur plus ou moins “endormi”.

Enfin, pourquoi ne plus donner d’interview de vive voix ?
Parce que je suis mauvaise à l'oral. J'aime rencontrer les gens, pas faire mon show. Je me suis un peu forcée autrefois, mais maintenant je ne me force plus. J'ai prévenu mon éditeur, il est OK.


Jennifer LESIEUR

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