Festival d'Angoulême : pour Jul, "l'humour a une dimension de connivence"

par Jennifer LESIEUR
Publié le 30 janvier 2015 à 18h07
Festival d'Angoulême : pour Jul, "l'humour a une dimension de connivence"

INTERVIEW – L'auteur de "Silex and the City" a longtemps collaboré à Charlie Hebdo. Historien de formation, le dessinateur se concentre à présent sur des BD plus longues en attendant que des projets de scénarios voient le jour. Toujours avec sa patte : une attention permanente à l'actualité et un humour basé sur le dévoiement de références connues.

Qu'il croque des hommes préhistoriques, des écrivains célèbres ou des présidents de la République, ça fait toujours mouche. Historien de formation, Jul a prêté son trait espiègle à Charlie Hebdo pendant quinze ans, avant de se consacrer à ses albums (La planète des sages, Platon Lagaffe, Mon père ce héron...) et à la série animée dérivée de Silex and the City, diffusée sur Arte. Tout juste arrivé à Angoulême, nous avons discuté avec lui de la relation que nous entretenons avec la caricature et le dessin de presse.

Notre rapport au dessin de presse a-t-il changé ces derniers temps ?
A l'école, maintenant, il y a des cours d'éducation à l'image, ce qui est paradoxal puisqu'on est dans l'overdose d'images depuis une génération. La bande dessinée, le dessin de presse et le dessin en général, font partie de la culture populaire, pourtant très peu de gens, même amateurs, connaissent les noms des dessinateurs. Demandez à un abonné depuis 10 ans au Canard enchaîné de citer trois noms qu'ils voient dans le journal... On le voit chez Ruquier dans la revue de presse des dessins d'actualité, les invités se trompent de nom, ou comprennent le dessin de travers... J'ai toujours été étonné de voir à quel point chacun faisait à sa sauce, avec son propre regard.

Le dessin d'actualité peut-il vous échapper ?
En fait, je me rends bien compte que les dessins que je fais ne m'appartiennent plus complètement. Il y a l'intention que j'y mets, et il y a celle du lecteur. Et quand le lecteur le comprend différemment, c'est instructif quand on fait du dessin d'humour. Mais avec les réseaux sociaux, toute la planète a accès au dessin d'un coup ; il n'y a plus de lectorat, il n'y a plus de contexte, c'est lancé dans une sorte d'espace globalisé, et la majorité des gens qui reçoivent ce dessin n'ont pas les clés pour le comprendre. Par exemple, un même dessin publié dans Charlie Hebdo et dans Minute ne serait plus le même, puisque le cadre le transforme complètement.

Le meilleur gage de proximité, c'est l'humour ?
Oui, dans l'humour, il y a une dimension de connivence. Parce que ça décale le réel, parce qu'il y a des codes, parfois graphiques, parfois de langage, parfois de références à d'autres sphères culturelles. Tout mon travail en BD s'est basé sur le dévoiement de références existantes, en culture populaire ou classique. C'est cette connivence possible qui crée la sensualité, l'efficacité et le plaisir du dessin d'humour. Mais ça peut aussi être dégueulasse : la connivence du dessin raciste, par exemple, entre des gens qui s'allient contre quelqu'un. L'humour, c'est un partage, il y a forcément un lecteur ou un spectateur, il y a au moins deux personnes. On ne se fait pas une blague à soi-même. Que ce soit en BD ou en dessin de presse, c'est le refuge de la morale, en fait !

Où en êtes-vous personnellement ?
Ça fait 4 ans que je ne fais plus de dessin d'actualité. J'avais envie de faire autre chose et le fait d'avoir une série (Silex and the City) permet de développer des personnages, de s'inscrire dans le long terme. D'être moins dans ce côté éphémère, cette brutalité riche et puissante du dessin de presse. Si je dessine, c'est aussi parce que j'ai un plaisir égoïste ressenti par le rire d'autrui. Quand je trouve un gag marrant, j'ai hâte de le montrer à quelqu'un, comme un gamin qui veut le montrer à ses copains. Attendre de voir l'œil de l'autre s'allumer, ça fait partie des grands plaisirs.

Vous sentez-vous plus proche du journaliste, du chroniqueur, du satiriste ?
Maintenant, je fais plus un métier de chroniqueur. La notion de journaliste est très vaste, c'est vrai que les dessinateurs de presse ont droit à la carte de presse, que je n'ai plus d'ailleurs. Moi, je fais des chroniques de notre société, des grandes choses qui s'y passent, en politique, dans les mœurs, dans la production culturelle, le sport, l'éducation... Des rubriques qu'on pourrait trouver dans un journal, sauf que je les développe à travers une famille avec un angle particulier qui est la transposition préhistorique. Quand je fais des albums sur la philo, c'est encore autre chose.

Même si l'actualité est toujours présente...
J'aime bien la profondeur historique, j'aime bien repenser à ce qu'il pouvait y avoir avant, ou encore avant. Et en même temps, ce qui m'intéresse le plus, c'est la vie qui m'entoure, et en quoi le passé résonne encore aujourd'hui dans notre vie. La planète des sages ou Platon Lagaffe, c'est aussi ça, en quoi la pensée des philosophes à travers l'histoire reste vivante, que ce soit dans un open space ou dans le monde. Je travaille actuellement au tome 2 de La Planète des sages avec Charles Pépin, qu'on sortira à Noël, et il y aura cette fois plein de philosophes d'aujourd'hui qui sont au cœur des débats, comme Badiou, Chomsky, Butler... Je vais me farcir tous ces gens-là et ça va me faire du bien !
 


Jennifer LESIEUR

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