Ingrid Chauvin : "On ne fait jamais le deuil d'un enfant"

Publié le 2 mars 2016 à 19h22
Ingrid Chauvin : "On ne fait jamais le deuil d'un enfant"

INTERVIEW – Dans "A cœur ouvert" aux éditions Plon, Ingrid Chauvin raconte la mort de sa petite Jade, disparue le 25 mars 2014 à l'âge de 5 mois. Un ouvrage bouleversant et courageux dans lequel la comédienne revient sur le drame qu'elle a vécu avec son mari et sur la difficulté de faire le deuil d'un enfant.

Ecrire un livre, était-ce une étape nécessaire pour commencer à faire votre deuil ?
Je n'avais jamais pensé à écrire un livre. Mais quand on ne me l'a proposé, j'ai accepté avec l'espoir que ça allait m'apaiser un peu parce que j'étais enfermée avec cette impossibilité de m'exprimer. Avec le recul, j'avoue que ça m'a fait beaucoup de bien, même si j'ai mis du temps à écrire les premières émotions. Mais une fois que les vannes se sont ouvertes, je ne pouvais plus m'arrêter. Ecrire est rapidement devenu un besoin douloureux.

Faire la promotion d'un livre aussi particulier et intime, n'est-ce pas une nouvelle épreuve ?
C'est tout le paradoxe. On écrit parce qu'on est enfermés dans une douleur et que l'écriture nous fait du bien. En parler aujourd'hui, c'est extrêmement compliqué forcément. Mais c'est un exercice que je me dois de faire. Surtout quand je me rends compte de l'apaisement que je peux apporter autour de moi.

Vous parlez de l'apaisement pour d'autres parents ayant connu la même épreuve ?
Bien sûr. Je réponds à beaucoup de messages de parents qui sont seuls dans cette détresse et qui ne savent pas à qui en parler. C'est un sujet un peu tabou et qui fait peur. On peut être dans l'empathie, mais tant qu'on n'a pas vécu ce drame, c'est impossible de le comprendre. Je suis devenue un peu la porte-parole de ces parents et j'essaie, en toute humilité, de les apaiser avec mes mots. Ça ne guérit peut-être pas, mais ça fait du bien.

A LIRE AUSSI
>> Mort subite du nourrisson : "La culpabilité fait partie du processus de deuil"
>> Mort subite du nourrisson : 3 conseils pour un conseil sans risque

Malgré l'immense chagrin, on a le sentiment que vous n'en voulez à personne.
Je n'ai pas de colère car la douleur est plus forte que tout. Ce qui me reste, c'est cette immense interrogation : pourquoi m'avoir autorisé à donner la vie et à connaître cet immense bonheur que j'attendais depuis tant d'années pour me le retirer si précocement. 

Dans le livre, vous évoquez aussi l'envie d'une nouvelle grossesse.
Évidemment j'en ai très envie, mais est-ce possible de donner la vie quand on porte la mort si lourdement sur ses épaules ? J'ai tellement d'amour inemployé qui ne demande qu'à s'exprimer. Mais ce n'est pas évident. Je sais que je serai une maman très angoissée, forcément.

Vous avez reçu l'agrément pour adopter un enfant. Appréhendez-vous un peu de recevoir le fameux coup de fil ?
Je l'appréhende autant que j'en ai hâte. Poursuivre ce rôle de maman est quelque chose qui m'aide à tenir et à avancer. Penser à des choses positives sur la vie ça fait du bien. Mais quand j'y songe plus précisément, c'est vrai que ça me fait peur. Je me demande comment je vais faire. Mais ce qui doit arriver arrivera.

A LIRE AUSSI >> Ingrid Chauvin, prête à redevenir maman

Arrive-t-on à apprivoiser la douleur avec le temps ?
On le fait parce qu'on n'a pas le choix. Avant que ça n'arrive, on se dit qu'on ne survivra jamais à une telle épreuve. C'est ce qu'on a pensé avec mon mari. On a eu le choix de s'écrouler ou de se prendre par la main pour essayer d'avancer. Comme je le dis dans le livre, il n'y a pas de règles établies pour faire son deuil. Ce qui prime c'est d'être dans l'amour et dans le respect de l'autre.

Est-il possible, selon vous, de faire le deuil d'un enfant ?
Je pense qu'on ne le fait jamais. On apprend juste à vivre avec la douleur et le manque. C'est ce qui fait la particularité de nos vies aujourd'hui, parce qu'on ne sera plus jamais les mêmes.

Vous parlez aussi beaucoup de votre enfance dans le livre. Était-ce nécessaire aussi ?
C'est venu spontanément. C'était important de faire ces allers retours entre les souvenirs du passé et le présent pour raconter mon histoire. Avec le parcours que j'ai eu enfant, on comprend pourquoi j'ai attendu si longtemps pour fonder une famille. C'est parce que je voulais vraiment être prête et offrir un foyer harmonieux à mon enfant.

A LIRE AUSSI >> Découvrez des extrait du livre A coeur ouvert

Qu'ont pensé vos proches et votre mari du livre ?
Mon mari l'a lu avant qu'il soit publié, bien sûr. Il a eu le sentiment de lire vraiment notre histoire. Il m'a trouvée courageuse. Une fois de plus, c'est sa bienveillance qui m'a aidée à écrire.

Justement où puisez-vous la force de continuer ?
Je la puise dans l'amour que me donne mon mari. C'est ce qui fait que je tiens, sinon je ne serai pas là, c'est sûr. Quelque soit la dureté de certains passages, ce livre est un livre d'amour. J'y évoque ces moments tellement uniques et merveilleux que j'ai eu la chance de vivre en devenant maman. C'est une déclaration d'amour à Jade.

Vous avez choisi de continuer à travailler. Vous êtes d'ailleurs en ce moment à l'affiche de la pièce Hibernatus. Était-ce essentiel ?
C'est important de ne pas sombrer et de s'obliger à se remplir la tête, non pas pour occulter mais pour avancer. Le fait d'être sur scène dans un registre comique, ça aide bien sûr même si mon sourire est un masque obligatoire. Je me dis que si je me force un peu, peut-être qu'un jour ça viendra plus naturellement. J'ai envie d’être un exemple pour les gens qui sont trop centrés sur eux-mêmes et qui se plaignent des petits bobos. De leur dire de se concentrer sur les priorités essentielles et d'être heureux surtout.

A LIRE AUSSI >> Ingrid Chauvin reprend le chemin des plateaux

Jade avait une malformation cardiaque, comme ça peut arriver à beaucoup de bébés... 
J'ai appris que les cardiopathies congénitales sont de l'ordre de 1 cas sur 100, ce qui est énorme. Mais on n'en parle pas. Il faut savoir que ce sont des pathologies curables et heureusement toutes les fins ne sont pas tragiques. Je pense à tous ces bébés près de Jade à l’hôpital et j'espère aujourd'hui qu'ils sont là et qu'ils ont une vie plus agréable.

La totalité des droits d'auteur du livre seront reversés à l'Hôpital Necker-Enfants malades. Où en sont les dons pour financer le robot chirurgical pédiatrique ?
Les dons arrivent et on espère pouvoir concrétiser le projet dans un an, ce serait génial. C'est un combat primordial car ce genre de robots existe dans les hôpitaux pour adultes, mais pas en pédiatrie. Il permettrait de sauver pas loin de 200 vies par an, soit un enfant toutes les 48 heures. La priorité est évidente.

A LIRE AUSSI >>  La lettre poignante d'Ingrid Chauvin après la mort de son bébé

Vivre un drame si intime quand on est une comédienne connue, est-ce plus difficile ?
C'est à la fois plus facile et horriblement difficile parce qu'on doit faire face à une presse qui peut être intrusive au pire moment de sa vie. Ça m'a d'ailleurs obligée à dire des choses sur Jade pour rétablir la vérité. Aujourd'hui j'essaie de tirer ce qu'il y a de positif malgré tout et je me dis que ce livre existe et qu'il représente ma fille.

Pensez-vous que vous serez à nouveau heureuse un jour ?
Je l'espère. J'espère ne plus avoir à faire les choses par automatisme. Ce n'est pas encore le cas. Je passe par des périodes de doutes où j'ai l'impression d'être comédienne de ma propre vie. Mais je ne désespère pas de guérir de ça.

A LIRE AUSSI >> Ingrid Chauvin, victime d'une horrible extorsion

A cœur ouvert, de Ingrid Chauvin, aux Editions Plon, sortie le 12 mars, 175 pages, 16,90 euros.


Rania HOBALLAH

Tout
TF1 Info