"Emmanuelle" sur Netflix : derrière le phénomène de société, le destin brisé de l'actrice Sylvia Kristel

Publié le 1 juillet 2020 à 18h40, mis à jour le 2 juillet 2020 à 11h05
"Emmanuelle" sur Netflix : derrière le phénomène de société, le destin brisé de l'actrice Sylvia Kristel
Source : Netflix

CULTE - Netflix diffuse depuis mercredi le légendaire "Emmanuelle" de Just Jaeckin, sorti en 1974. Un film érotique qui a attiré près de 9 millions de spectateurs dans les salles françaises. Et qui a révélé au grand public Sylvia Kristel, une toute jeune mannequin néerlandaise dont la vie et la carrière ont été marquées à jamais par ce rôle de bourgeoise libertine, icône de la France post-68.

Netflix fait monter la température. Depuis ce mercredi, la plateforme américaine met à disposition de ses abonnés français le mythique Emmanuelle. Si les plus jeunes d’entre eux découvriront sans doute pour la première fois les tribulations érotiques de l’héroïne incarnée par la comédienne Sylvia Kristel, le film de Just Jaeckin a fasciné plusieurs générations depuis sa sortie en salles, en 1974.

Emmanuelle, c’est d’abord un roman à succès d’Emmanuelle Arsan, paru en 1959. Cette Franco-thaïlandaise, de son vrai nom Mayrat Bibidh, y raconte le libertinage de l’épouse d’un diplomate française à Bangkok, et notamment sa relation avec Mario, un homme plus âgé qui l’initie à des plaisirs insoupçonnés.

533 semaines à l'affiche sur les Champs-Elysées

Fasciné par le succès du Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci, le producteur Yves Rousset-Rouard achète les droits de ce texte sulfureux et en confie l’adaptation au jeune Just Jaeckin, un ancien photographe de guerre reconverti dans les portraits de stars. Tourné entre décembre 1973 et février 1974, le film ne plaît pas franchement à la commission de censure qui réclame de nombreuses coupes.

 

La mort inattendue de George Pompidou, et l’arrivée d’un nouveau secrétaire d’Etat à la Culture, Michel Guy remplaçant l’écrivain Maurice Druon, jusque-là inflexible, va permettre à Emmanuelle de sortir le 26 juin 1974, avec une interdiction aux moins de 16 ans. Et c’est le début d’un véritable phénomène de société, en dépit de ses qualités cinématographiques discutables.

Diffusé sur un circuit similaire à celui des grandes comédies populaires de l’époque, Emmanuelle atteint les 745.000 entrées en huit semaines, rien qu’à Paris. On s’y presse, en couple ou entre amis, dans un contexte de libération des mœurs post-mai 68. Sur les Champs-Elysées, le film est programmé pendant 533 semaines sans interruption à l’UGC Triomphe, aujourd’hui disparu.

Lorsqu’il est enfin retiré des écrans en 1985, Emmanuelle a attiré près de 9 millions de spectateurs dans toute la France. Entre temps le film a fait le tour du monde, cartonnant à travers l’Europe, aux Etats-Unis et au Japon. Son succès donne naissance à six suites cinématographiques et une série télé dans les années 1990 tandis que le fauteuil en rotin sur lequel s’assoit l’héroïne à la fin du film, et qui figure sur l’affiche, se vend comme des petits pains.

Bouleversée par une scène de viol

Si Emmanuelle est entré dans l’histoire du cinéma, c’est aussi en raison du destin tragique de son interprète, le mannequin néerlandais Sylvia Kristel, âgée de 21 ans au moment du tournage. Inconnue jusque-là, elle sera associée toute sa carrière à ce personnage de jeune bourgeoise libertine qui enchaîne les expériences sexuelles. Avec les passagers de l’avion qui la conduit à Bangkok, avec son mari volage ou encore avec une expatriée lesbienne… Du jamais vu à l’époque dans un film accessible au grand public.

A l’écran, Sylvia Kristel dégage un mélange de candeur et d’insouciance. La réalité est plus complexe. Violée à l’âge de 9 ans aux Pays-Bas par deux hommes dont l’un de ses oncles, elle sera bouleversée par le tournage de la séquence où elle abusée par le client d’une fumerie d’opium, sous le regard de Mario, interprété par Alain Cluny, célèbre comédien de théâtre. Dans un documentaire diffusé en 2014 sur France 2, Just Jaeckin reconnaîtra lui-même être allé trop loin ce jour-là.

Une véritable descente aux enfers

Après Emmanuelle, Sylvia Kristel tourne dans des films plus traditionnels sous la direction de Jean-Pierre Mocky, Roger Vadim ou encore Francis Girod. En 1981, Just Jaeckin lui confie le premier rôle de son adaptation de L’amant de Lady Chatterley. Avec un succès moindre tandis qu’en coulisses, sa vie s’effondre. Sa carrière peinant à décoller, la comédienne a sombré dans l’alcool et dans la drogue tandis qu’elle enchaîne les échecs sentimentaux, notamment avec le comédien anglais Ian McShane qui partage sa vie pendant cinq ans.

Ruinée après avoir divorcée de son deuxième mari, le metteur en scène Philippe Blot, elle se réfugie aux Pays-Bas dans les années 1990 où elle se lance dans la peinture avec d'interpréter Emmanuelle une dernière fois en 1993. Là-bas, elle retrouve l'amour avec le poète flamand Freddy De Vree. Sa disparition soudaine en 2004 plonge  la comédienne dans un profond désarroi qu'elle raconte dans son autobiographie, Nue, en 2006.

Bientôt une série sur sa vie

Victime d’un AVC en juin 2012, Sylvia Kristel décède quelques mois plus tard à Amsterdam, des suites d’un cancer du poumon, à l’âge de 60 ans. Elle laisse derrière elle un fils, Arthur, né en 1975 de son premier mariage avec l'écrivain belge Hugo Claus. Et une légende dont on n'a pas fini d'entendre parler puisque le producteur français Marc Missonnier (L'Odyssée, Django) vient d'annoncer la mise en chantier d'une série en six épisodes consacrée à la vie de la comédienne.


Jérôme VERMELIN

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