Pourquoi il est inopportun de parler de "fake news" (et quels termes utiliser à la place)

Anaïs Condomines
Publié le 27 mars 2019 à 13h52
Pourquoi il est inopportun de parler de "fake news" (et quels termes utiliser à la place)
Source : AFP / illustration

A LA LOUPE - Employé à tout-va sur les réseaux sociaux, par les médias et les politiques, le mot "fake news" n'a jamais été aussi à la mode. Pourtant, il couvre une réalité plurielle et complexe. Ce terme dévoyé est ainsi à prendre avec des pincettes, d'autant qu'il existe des options plus précises... et moins politisées. Explications.

Elle est mise à toutes les sauces. Pas un jour, actuellement, sans qu'on entende l'expression "fake news". Dans l'affaire de la rumeur sur fond de racisme qui vise la communauté Rom en ce moment en région parisienne, ce sont les "fake news" que l'on fustige. Quand Marlène Schiappa dénonce un contenu plus ou moins parodique transformant ses propos, c'est encore la faute des "fake news".  Sauf que dans les deux cas, on ne parle absolument pas de la même chose. 

Pourquoi, dès lors, qualifierait-on deux faits totalement différents par le même mot ? Dans les médias aussi, le terme est repris à volonté - y compris sur nos supports. Un usage que nous allons désormais tenter de limiter, en même temps que nous expliquons ici, pourquoi ce terme dévoyé devrait être relégué au second plan. En plus, d'autres choix existent : pourquoi ne pas s'en saisir ? 

Fausses informations : des visages différents

Première raison pour se passer désormais de l'expression "fake news" : les réalités très différentes qu'elle recouvre. Les fausses informations, sur les réseaux sociaux et dans le paysage médiatique, prennent en effet des visages divers. D'ailleurs, il est souvent difficile, pour les cellules de fact-checking dans les rédactions, de poser un tampon "vrai" ou "faux" sur ces informations, car la réalité est souvent plus nuancée que cela. Toujours est-il qu'il existe des formes plus ou moins graves et dangereuses des fausses informations, qu'il convient de savoir différencier pour mieux les combattre. La principale différence, en fait, se situe au niveau de l'intention de celui ou de celle qui partage la fausse information. L'organisme "First Draft", dont LCI a été partenaire dans le cadre du projet "Crosscheck", établit une échelle : 

La mésinformation : il s'agit d'une information erronée, incorrecte, décontextualisée, qui circule, possiblement en masse. Mais derrière ne se cache pas une volonté de nuire. Elles peuvent prendre la forme de canulars. Par exemple : on peut se tromper et, en toute bonne foi, partager un article du Gorafi, parce qu'on ignore qu'il s'agit d'un site parodique. Il arrive aussi que les journalistes eux-mêmes se trompent. Mais ces erreurs, qui peuvent être regrettables, ne servent pas d'intérêts ni de propagande organisée.

La désinformation : il s'agit là aussi d'un contenu faux, manipulé, fabriqué, qu'on propage et partage avec une volonté de nuire ou de servir une idéologie, une position politique. Par exemple : pendant la campagne présidentielle de 2017, des documents impliquant que la candidat Macron avait ouvert un compte offshore ont été fabriqués de toutes pièces puis diffusés sur des sites complotistes, avant d'atterrir sur des réseaux grand public. 

Cette frange-là des fausses informations est dangereuse, car elle est relayée dans ce qu'on appelle des "bulles de filtre" : très concrètement, sur les réseaux sociaux, vous évoluez dans des cercles d'internautes qui pensent plus ou moins comme vous. Ce sont vos propres "bulles de filtre". Si une information passe dans votre timeline Twitter ou sur votre page Facebook, vous avez des chances d'être d'accord avec cette information, et donc de la croire et de la partager sans vous poser davantage de questions. C'est ce qui donne une grande viralité aux fausses informations diffusées dans des buts idéologiques. Une fois qu'elles sortent des bulles de filtre et s'imposent au grand public, le mal est fait.

"You are fake news !" : Un terme politisé

Autre raison de se tenir éloigné du terme "fake news" : sa dimension politisée. Le président des Etats-Unis Donald Trump, par exemple, s'est complètement approprié cette expression. Mais ce qu'il vise par là, ce ne sont pas vraiment les hoax ou informations tronquées qui circulent, nuisant à la bonne marche de la démocratie. Ses cibles, quand il parle de "fake news", sont plutôt... tous ceux qui ne sont pas d'accord avec lui - à commencer par beaucoup de médias - quand bien même ceux ci ne relayeraient aucune fausse information. 

En France aussi, les dirigeants et membres du gouvernement ou de l'opposition n'en finissent plus de sonner la cloche de la "fake news" dès qu'un article ou une déclaration ne leur revient pas. Ce fut le cas par exemple de la patronne du Rassemblement national Marine Le Pen, pendant l'affaire Théo, qui a dénoncé "une immense fake news pour salir la police française".

Quid de l'infox ?

Bon à savoir : le gouvernement Français a lui-même tranché pour sa définition du mot "fake news". Soucieuse de franciser l'expression, la commission d'enrichissement de la langue française a choisi de remplacer de terme par le mot "infox", qui désigne une information "mensongère ou délibérément biaisée". 

Un nouveau mot qui a pour mérite de ne plus reprendre le terme "fake" qui, en anglais, peut signifier "fabriqué", "imité", "copié". Mais qui reprend l'écueil de ne pas faire la distinction entre les informations volontairement diffusées à visée idéologique et les simples erreurs ou confusions. Et la nuance, comme on l'a vu, est pourtant de taille. 


Anaïs Condomines

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