TÉMOIGNAGE - L’actrice italienne Asia Argento a été l’une des premières victimes à témoigner contre Harvey Weinstein pour viol et agression sexuelle. Dans un entretien exclusif pour "Envoyé Spécial", diffusé jeudi 26 octobre sur France 2, elle raconte le drame qu'elle a vécu.
"J'étais une petite fille pleine de rêves convaincue d'avoir l'avenir pour moi. Je pensais être intelligente, forte. Toutes ces choses qui, après le viol, se sont avérées fausses". Dans un entretien poignant accordé au magazine Envoyé Spécial sur France 2, l'actrice Asia Argento est revenue sur le viol dont elle a été victime par le producteur hollywoodien Harvey Weinstein.
"Quand j’ai rencontré Weinstein - en 2004 -, je venais de faire un film pour lui distribué par Miramax. Il m’a invitée dans sa suite dans un palace du Cap d’Antibes [...] Il est allé dans sa salle de bain, en est ressorti en peignoir, avec de la crème. C’était son modus operandi. Je lui ai dit : 'Tu plaisantes ?' Il m’a répondu : 'Je veux juste un massage!'".
C'est à ce moment que l'horreur commence pour Asia Argento : "Il m’a peloté, m’a remonté la jupe, a glissé sa langue entre mes cuisses. Je lui disais ‘non, non’. Je n’étais pas attachée, mais ce mec fait 100 kilos, il était plus fort que moi... J’étais une fille. J’ai compris qu’il n’y avait rien à faire. J’étais coincée et il ne s’arrêtait pas. Il avait son gros visage entre mes jambes. Alors j’ai simulé un orgasme. Quand il a terminé, je me suis assise sur le lit, ma robe de travers, mon maquillage défait. Je lui ai dit : 'Je ne suis pas une pute!'. iIl m’a répondu : 'Ah Ah très drôle, je te ferai un T-shirt avec ça marqué dessus!'".
Il était gros, il était effrayant, il avait cette voix très effrayante, et c’était un des hommes les plus puissants au monde
Asia Argento
Dans l'interview, l'actrice italienne réagit aux critiques venues d'Italie, où ce qu'elle a vécu n'est pas considéré comme un viol. "Que voulez-vous que je réponde, lâche-t-elle. J'ai été violentée. Seuls ceux qui l’ont vécu peuvent comprendre. [...] J’adorerais pouvoir dire que ce n’était pas un viol parce que c’était son pénis et pas sa langue. Mais non. Je sais ce que j’ai vécu. Ça a changé ma vie sexuelle pour toujours. Je n’ai plus laissé un homme me faire ça. Je n’aime pas aller loin dans les détails, mais il le faut pour comprendre le problème. En Italie, on s’imagine que toutes les femmes adorent ça. Mais non. Je n’aimais pas ça avant, je n’aimerais pas ça après."
Dans son entretien au New Yorker, elle disait avoir eu d'autres relations sexuelles avec elle durant les cinq années suivantes. Des relations qu'elle qualifie de consenties, mais disant s'être sentie "obligée" de céder à ses avances. Il y en aura eu trois. "C'était de l'onanisme", pour que les gens puissent comprendre. "Il était gros, il était effrayant, il avait cette voix très effrayante, et c’était un des hommes les plus puissants au monde", ajoute-t-elle dans Envoyé Spécial. "Si je l’avais dénoncé, ma carrière aurait été fichue, ma dignité, finie. J’ai mis ça derrière moi. C’est comme si un éléphant était dans mon couloir est que je le refusais de le voir. Ma perception de tout a changé."
Et d'ajouter : "A partir du moment où il m’a violée, il avait gagné. J’ai perdu tous mes pouvoirs à ce moment. J’avais toujours peur. Pendant les festivals, il me harcelait littéralement".
Imprescriptibilité des crimes sexuels ?
A la fin de l'interview, l'actrice a débattu du sujet avec la journaliste de France 2 Elise Lucet et la secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes Marlène Schiappa."Nous ne serons pas vengées tant que des hommes comme lui ne seront pas en prison. Ce n’est pas une affaire de tabloïd ou de cure de désintox, ce n’est pas une maladie, c’est une affaire de justice. On ne pourra pas arrêter de nous battre tant que ce ne sera pas fait", lance l'actrice. Marlène Schiappa l'a remerciée de "libérer la parole des femmes. "La société ne nous a pas assez entendues sur le sujet."
Asia Argento dit aujourd'hui se battre pour pouvoir un jour porter plainte. Mais son viol remonte a plus de vingt ans, et est donc prescrit en France. Selon l'actrice, "la prescription ne devrait pas exister pour les cas de viols". Mais en France, ce débat n'est pas à l'ordre du jour, lui répond Marlène Schiappa qui présume que ce serait d'ailleurs inconstitutionnel. Et de préciser qu'aujourd'hui, "seuls les crimes contre l’humanité sont considérés comme imprescriptibles".
"Qu'en est-il de simplement allonger ce délai ?", lui demande alors Elise Lucet. Si le projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles de la secrétaire d'Etat prévoit l'allongement du délai de prescription des crimes sexuels contre les mineurs, le sujet des majeurs n'a "pas été encore arbitré par le gouvernement", rétorque Marlène Schiappa, assurant toutefois que le sujet pourrait être débattu dans le cadre du tour de France de l'égalité femmes-hommes.