Pourquoi le costume devient une espèce en voie de disparition dans le milieu professionnel

par Sibylle LAURENT
Publié le 8 novembre 2019 à 11h43
Pourquoi le costume devient une espèce en voie de disparition dans le milieu professionnel
Source : iStock

POINT MODE - En quelques années, la donne a changé : le sacro-saint costume est devenu une espèce en voie de disparition dans le monde professionnel. Décryptage avec la styliste Caroline Vilstrup.

Il a disparu, et vous ne vous en êtes pas rendu compte. Regardez un peu autour de vous. Où sont les costumes ? C’était pourtant il y a encore quelques années l’uniforme de tous les cadres sup' désireux de marquer leur statut : veste, tailleur pantalon, noir ou bleu marine, des rayures pour les plus aventureux. Il n'était pas question, pour la plupart des commerciaux et banquiers, d'affronter patrons ou clients autrement. Certains ont même pensé qu’Emmanuel Macron, avec son fameux costume tirant sur le bleu, consacré à l'époque comme le summum de l'excentricité, allait donner un nouvel élan à la pièce.

Eh bien non. Il suffit d’ouvrir les yeux, et les chiffres le confirment : en 8 ans, les ventes de  deux boutons, trois-pièces et croisés ont chuté de 58%. Selon des chiffres de l'institut Kantar, en octobre dernier, 1,4 million de costumes ont été vendus dans l’Hexagone de juillet 2018 à juillet 2019, contre 3 millions en 2011. En 2012, 15% des hommes interrogés par l’institut affirmaient avoir acheté un costume dans l'année, ils ne sont plus que 6% désormais. Le costume est devenu une espèce menacée de disparition. Que s’est-il passé ? 

Les Millenials ne veulent pas reprendre les codes de leurs pères
Caroline Vilstrup, styliste

Regardez à nouveau autour de vous : l’open-space est désormais peuplé de jeans-veste-baskets. Point de costume. "Les codes ont changé !", décrypte pour LCI Caroline Vilstrup, stylistes d'Outfittery, service de personal shopper online spécialisé dans la mode homme. "La tendance est venue des Millenials, qui ne veulent pas reprendre les codes de leurs pères. Ils arrivent en jean-baskets. Et cette génération a fait des vagues : nous avons aujourd’hui des clients qui ont la cinquantaine, ont porté des costumes toute leur vie et qui, voyant leurs jeunes collègues venir décontractés, veulent s’y mettre aussi." Les cadres ont d'abord laissé tombé la cravate, puis fait du "mix and match", en portant une veste différente du pantalon, et le costume, relégué à un jour sur deux, a finalement disparu. Ou est désormais relégué à un usage très spécifique : "Quand j'ai des demandes de costumes, et c'est très rare, c'est pour des mariages", raconte Caroline Vilstrup. "Sinon, dans la plupart des cas, le client va dire de lui même 'surtout pas de costard !'" Place, donc, au "business casual", plus décontracté.

La tendance, on s’en souvient, est venue de la Silicon Valley. Steve Jobs et ses cols roulés, Marck Zuckerberg et ses sweats à capuche ont lancé de nouveaux usages. Cette extinction annoncée s'inscrit aussi dans de nouveaux repères. Une volonté de confort, un mélange des frontières avec la vie privée : "Vu le nombre d’heures qu’on passe au travail, aujourd’hui, on a envie d'y être aussi bien que dans sa vie personnelle", dit la styliste. "On le voit : les clients demandent des tenues qu’ils vont pouvoir porter aussi bien pour le boulot que pour une soirée ou en week-end. On change un accessoire, on rajoute une veste, mais on n'a plus une tenue qui ne sert que pour une occasion."

La mode suit les mentalités
Caroline Vilstrup, styliste

La fin du costume reflète aussi les nouveaux rapports en entreprise. "Porter un costume pour incarner une figure d’autorité, marquer une distance avec son équipe, c’est un code qui disparaît de plus en plus", analyse Caroline Vilstrup. "Ce n’est plus ce genre de chef que les jeunes vont suivre dans le management. Nous sommes dans l'ère de la hiérarchie horizontale, les chefs veulent se rapprocher de leur équipe, qu’on leur fasse confiance. La mode suit les mentalités."

Et celles-ci ont changé jusque dans les secteurs les plus traditionnels. "Par exemple : le banquier qui reçoit des clients a son bureau ne va plus être en costume", constate la styliste. "Il va en garder certains éléments, comme la veste ou le pantalon de costume avec la chemise, et ajouter un pull col v, ou un imprimé un peu plus drôle et discret sur la chemise. Cela va lui donner un côté plus accessible." Les jeunes entrepreneurs, eux, vont s’habiller selon leurs occupations de la journée. "S'ils sont devant leur ordinateur, ils peuvent très bien porter un jean, une chemise,  un sweat à capuche. Par contre, s’ils vont voir des clients, la tenue va se différencier un peu : on garde le jean, mais on met le blaser."

Abolir les codes pour attirer les jeunes

Les jeunes veulent du "casual Friday" tous les jours. Au point que pour les attirer, les entreprises ont intérêt à suivre leurs codes. C’est ce qu’avait fait en 2017 la banque d’affaires américaine Goldman Sachs, en permettant à ses ingénieurs de ne plus porter de costume-cravate pour les hommes et de tailleur pour les femmes. "J'ai tendance à penser qu’une entreprise qui affiche un dress code très spécifique va rebuter certains jeunes professionnels, qui ne candidateront pas. Il y a une vraie demande pour s’exprimer, pour montrer sa vraie personnalité." 

Le vestiaire masculin s’ouvre donc, lentement. D’autant que les hommes sont aussi plus sensibles au sujet. "Avec Instagram, avec les influenceurs, ils s'ouvrent à de nouveaux centres d’intérêt, de multiples sources d’inspiration", constate Caroline Vilstrup. "Ils nous envoient des photos instagram, de tel acteur qui porte cette tenue, ils ont une idée de ce qu’ils veulent, et veulent surtout personnaliser leur garde-robe." Avant, on gommait les différences, aujourd’hui, il faut affirmer son identité. 

Des looks tendances pour la rentrée !Source : JT 13h Semaine

De la couleur, du jean troué, du dandyisme

De quoi, alors, ont envie ces hommes libérés ? Le nouveau classique, semble être le "blazer de costume associé à un jean troué". "On voit aussi de plus en plus de demandes pour la couleur. Des couleurs encore classiques – la chemise bleue reste un grand classique -, mais les clients ont envie de tenter, par exemple, un chino coloré avec un haut plus soft, ou un détail, une belle paire de chaussures, qui pourrait être un peu personnalisée."

Sauf que tout révolutionner n’est pas toujours si facile. "Comme l’apport de couleurs dans le vestiaire masculin est assez récent, beaucoup d’hommes ne savent pas comment l’associer !", sourit la styliste. "Et beaucoup cherchent de l’aide. Des cadres qui ont toujours été en costume, ou d’anciens militaires qui sont complètement perdus." Avant c’était simple, il y avait un code strict, défini. Les codes ont changé et tout le monde ne maîtrise pas les nouvelles règles. Un peu de pédagogie est donc nécessaire. "Oui, c’est la liberté, on peut arriver en en jean-baskets au travail, mais quel jean, et quelles baskets, quelle marque, quelle coupe ?", interroge Caroline Vilstrup. "Mais cette évolution est un moyen de découvrir cette nouvelle version d’eux-mêmes, une version améliorée !" Et que les défenseurs des espèces en voie de disparition se rassurent. Le costume ne meurt pas tout à fait, mais sans doute se réinvente. "Aujourd’hui, on est beaucoup sur le style 'sartorialist', un peu dandy, avec des costumes plus travaillés, une élégance à l’anglaise, le mouchoir dans la poche, et le nœud papillon", décrypte la styliste. A vous de jouer.


Sibylle LAURENT

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